LArrestation de Fantomas (Арест Фантомаса) - Страница 62
— Embarquez-le, ordonna Juve, à la porte.
Il s’agissait de M. Rosenbaum aîné, et c’était de chez lui qu’avec un beau sang-froid Juve faisait chasser l’industriel.
Mais pourquoi Juve était-il si en colère ?
Que faisait le policier, à genoux, dans la cour de la cristallerie, et à ce point nerveux, qu’indifférent à tout protocole, oubliant même qu’il se rendait coupable d’un véritable abus de pouvoir, d’une violation de domicile, il ordonnait en effet de chasser M. Rosenbaum ?
Juve ne semblait nullement prêt à se calmer.
Toujours à genoux, et tandis qu’on expulsait M. Rosenbaum aîné, Juve criait :
— Ah ! nom de Dieu, mais on ne trouvera donc pas une lanterne ? une bougie ? les minutes pressent, les secondes.
Près de lui, silencieux, effarés par son courroux, abrutis par sa vivacité, deux hommes qu’on distinguait mal dans l’ombre levaient les bras en signe de désespoir.
— On en cherche partout, on va vous apporter de la lumière tout de suite.
— Ça ne sera pas malheureux.
Du bout de la cour, en effet, un homme surgit qui s’avançait en courant aussi vite qu’il le pouvait, tenant un falot à la main, se précipitant vers Juve et suivi à distance par d’autres hommes qui couraient aussi.
— Voilà de la lumière, annonça le personnage qui rejoignit Juve.
Le policier arracha presque le falot.
— Nom d’un chien, jura-t-il encore, je n’arrive pas à m’éclairer. Et puis, quel drôle de système.
— Juve, passez-moi la lanterne ?
— Oui, c’est cela, prenez-la, monsieur Havard, et, je vous en prie, haussez un peu la flamme.
M. Havard, car c’était M. Havard en personne qui, dédaigneux de toute hiérarchie, et aussi affolé que Juve en apparence, venait d’apporter un falot au policier, haussa la flamme de la lampe. Juve enfin vit à peu près clair.
— Eh bien ? interrogea M. Havard. Lisez-vous les chiffres ?
Juve, dans l’auréole de lumière que dessinait le falot tenu par le chef de la Sûreté, apparaissait penché sur la barre graduée d’une large bascule.
— Oui, enfin, je crois que je vois.
Et puis brusquement, Juve se rejeta en arrière, saisi d’une émotion folle.
Il sauta presque au cou de M. Havard, il lui étreignit les mains à les broyer :
— Quatre-vingt-huit kilos, hurla Juve. Je vous le disais bien. Quatre-vingt-huit kilos. C’est sans réplique.
M. Havard répondit d’une voix blanche, d’une voix qui disait combien il était frappé par les paroles de Juve :
— Quatre-vingt-huit kilos ? Vous êtes sûr de ne pas vous tromper, Juve ?
— Absolument certain.
— Alors, c’est définitif, en effet.
— Oui monsieur Havard, oui, c’est absolu. Quatre-vingt-huit kilos. Bon Dieu, que je suis content. Quatre-vingt-huit kilos. Alors qu’il devrait en peser tout au plus soixante-cinq. Soixante-six à la rigueur.
— Mais ces chiffres-là, Juve, où les avez-vous dénichés ?
— Je les ai trouvés dans un de mes dossiers, ce matin, je vous l’ai dit. Quatre-vingt-huit kilos. Monsieur Havard nous n’avons plus une minute à perdre.
M. Havard, comme hypnotisé lui aussi, bégayait à son tour :
— Quatre-vingt-huit kilos, en effet. L’écart est trop grand pour qu’il ne soit pas significatif. Juve, c’est peut-être la plus belle enquête que vous ayez jamais faite, que vous terminez ici, par ce coup d’éclat. Quatre-vingt-huit kilos.
Juve, qui lorsqu’on le complimentait commençait à trouver que l’on perdait son temps, coupa la parole à M. Havard :
— Agissons, dit-il.
— Oui, agissons, dit M. Havard.
***
Pourquoi Juve était-il, en compagnie du chef de la Sûreté, dans la cour de l’usine des frères Rosenbaum ?
Pourquoi se penchait-il sur une bascule ? Que signifiait ce poids de « quatre-vingt-huit kilos » qui lui donnait une telle joie ? Quelle était sa mystérieuse importance ?
Juve, quelques heures avant, à Paris, s’était fait conduire auprès du chef de la Sûreté.
— Monsieur Havard, avait déclaré le policier qui savait que son chef ne s’étonnerait pas des plus extraordinaires propositions dès lors qu’elles étaient faites dans l’intérêt du « service ». Monsieur Havard, je viens vous chercher, j’ai un taxi-auto en bas. Prenez votre chapeau et filons.
Interloqué par la demande de Juve, M. Havard, naturellement, avait demandé :
— Où m’emmenez-vous ? qu’est-ce qui vous prend ?
Mais Juve secoua la tête :
— Il ne me prend rien, disait-il. J’ai plutôt envie de prendre quelqu’un à l’endroit où je vous emmène. Ma foi, c’est bien simple. Je vous emmène à Feignies.
— À Feignies ? vous êtes fou ? Sur la frontière belge ? Pour quoi faire ?
— Pour arrêter Fantômas.
M. Havard n’en avait pas demandé plus.
Il connaissait trop Juve pour ne pas se douter que si le policier venait le trouver, il devait s’agir de choses graves.
Juve n’était pas homme à entreprendre un voyage sans nécessité absolue et puis, il prononçait le nom de Fantômas.
M. Havard sonna, donna deux ordres rapides, annonça son absence, prit son chapeau, descendit avec Juve, monta dans le taxi-auto du policier.
— Allez-vous m’expliquer maintenant ?
— Non, dans le train.
C’était seulement, en effet, après que le train eut démarré, alors qu’il était certain par conséquent que M. Havard ne pouvait plus l’abandonner, ne pouvait plus se refuser à l’accompagner, que Juve consentit à fournir quelques explications au chef de la Sûreté.
Il tira de sa poche son portefeuille, y prit la note qu’il avait le matin même trouvée dans le dossier étiqueté « Souverains », il la montra à son compagnon en soulignant d’un trait d’ongle un détail probablement essentiel.
Or, M. Havard ne comprenait rien, tout d’abord, à la manœuvre de Juve.
— Eh bien, quoi ? faisait-il, un peu nerveux. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est une fiche sur le tsar ? Et ce que vous montrez, c’est le poids du souverain ? Soixante-cinq kilos ? Quelle importance y attachez-vous ?
— Une importance capitale.
— Laquelle, bon Dieu ?
Juve rit de son petit rire énervant, le petit rire dont il accompagnait généralement ses triomphes les plus sensationnels.
— Avec ce renseignement, disait-il, ou je me trompe fort, ou nous allons arrêter Fantômas.
Et comme M. Havard le regardait interloqué, se prenant à douter que Juve fût dans son bon sens, le policier enfin consentit à parler un peu plus clairement :
— Voici mon plan, disait Juve, voici ce que je crains. Voici ce que je crois.
Juve, net, précis, usant de cette concision qui faisait sa force, rappelait à M. Havard la terrible lutte qui s’était livrée, entre lui et Fantômas à propos du portefeuille rouge.
— Depuis la perte du Skobeleff, dit Juve, nous n’avons pas eu un instant de répit. Pas un, si ce n’est à partir du moment où j’ai eu le portefeuille rouge entre les mains, à partir de la parade d’exécution d’Œil-de-Bœuf qui m’a valu de retrouver le portefeuille.
— Eh bien ?
— Monsieur Havard, après avoir été trop mal, toutes ces affaires marchent trop bien.
— Ce qui signifie ?
— Ce qui signifie que, pour moi, si Fantômas ne m’a pas poursuivi, si hier j’ai pu dormir en paix chez moi, rue Bonaparte, si le prince Nikita arrive vivant à Feignies, c’est que Fantômas a préparé quelque coup formidable, c’est qu’il a trouvé moyen de duper une dernière fois le prince Nikita.
— Ah çà, qu’imaginez-vous donc ?
— Un piège inouï. Ceci, en deux mots : le prince Nikita ne va pas avoir affaire au tsar, il va se trouver en face de Fantômas.
À ces mots, M. Havard, dans le compartiment du rapide, secoué par la vitesse, se dressa debout, littéralement stupéfait :
— Vous êtes fou, vous êtes fou. Vous supposez que Fantômas va prendre la place du tsar ?
— J’en jurerais.
— Une imposture de cette importance est impossible, voyons.
— Tout est possible à Fantômas.
— Sans doute, mais…