LArrestation de Fantomas (Арест Фантомаса) - Страница 15
— D’où venez-vous ?
— De Pantruche.
— De quoi ?
— Excusez-moi, j’ai pas l’habitude de causer à des flics de province. Pantruche ça se trouve sur les bords de la Seine, entre Saint-Denis et Montrouge.
— C’est bon je vous mets en état d’arrestation.
— Vraiment, voilà déjà cinq minutes que vous m’avez passé les menottes, je commençais bien à m’en douter.
Les douaniers cependant se consultaient avec les gendarmes :
— Nous allons, dit le sergent des douaniers, continuer nos recherches le long de la côte. Qu’est-ce que vous faites de ce gaillard-là ?
— Je vais détacher deux hommes et le faire conduire immédiatement, non pas au poste de la pointe Saint-Mathieu comme les autres, mais à la prison de Brest.
Et le brigadier désignant Œil-de-Bœuf, ajouta :
— Voyez ces mains rouges, ces taches de sang. Son affaire est claire, il est inculpé d’assassinat.
— Ah, mais nom de Dieu, pas de blague, fit Œil-de-Bœuf, faudrait voir à ne pas m’en coller sur le dos, plus que ma brouette ne peut en charrier : mettons que j’aie visité le pante, histoire de savoir s’il avait du pèze. Quant à ce qui est de l’avoir refroidi, la gueuse et les cailloux s’en sont bien chargés tout seuls. Non, très peu, d’avoir zigouillé le mec, au revoir, messieurs.
— Inutile de nier. Nous savons ce que nous disons. Il se peut que ce malheureux officier ne vous ait pas opposé une bien grande résistance, mais tout nous prouve que c’est vous qui l’avez assassiné. Au surplus, le juge d’instruction appréciera.
— Ah, nom de Dieu, tas de vaches, vaches que vous êtes, hurla Œil-de-Bœuf au comble de l’exaspération.
Mais, décidément, le brigadier ne se laissait pas intimider. Il choisit deux robustes gaillards parmi ses hommes.
— Je vous le confie. Vous savez les ordres. S’il fait du tapage, un bâillon, s’il résiste, le cabriolet, et s’il n’est pas content avec ça, s’il essaie de s’échapper, deux balles dans la peau.
Le brigadier se penchant vers le sergent de douane, d’un air entendu :
— On a reçu des ordres ce matin, liberté pleine et entière pour traiter cette racaille comme elle le mérite. Je ne regrette qu’une chose, c’est qu’on ne l’ait pas démoli tout de suite, ça ferait moins d’histoires, et il y en aurait un de moins.
— Bougre de bougre, pensa Œil-de-Bœuf, lançant un regard mauvais au brigadier, cette brute-là n’a pas l’air de vouloir rigoler. Eh bien, on va tâcher de faire son petit saint Jean. C’est égal, inculpé d’assassinat, alors que j’ai simplement retourné les poches à un macchabée c’est raide ! Je trouve qu’il cherre dans le mastic, ce brigadier de malheur.
Quelques minutes plus tard, les deux gendarmes entraînaient leur prisonnier. La petite troupe des douaniers conduite par le sergent et le brigadier, continuait ses recherches. Nul ne s’était aperçu de la disparition de Loulou Planche-à-Pain, et, Œil-de-Bœuf, depuis qu’il savait qu’on allait le conduire à la prison de Brest, était bien le dernier à s’en préoccuper.
***
Cependant, cette sinistre matinée s’achevait par une victoire relative des autorités.
Non seulement on avait appréhendé l’individu qu’on allait inculper d’assassinat, mais encore dans le poste du phare de la pointe Saint-Mathieu, on gardait à vue, baïonnette au canon, une demi-douzaine de rôdeurs mal réputés sur la côte, puis des apaches parisiens, qui n’étaient autres que le Barbu, Carfoux, Rouquinot, enfin la mère Toulouche, qui se lamentait à l’idée qu’après avoir passé quatre ans dans une maison centrale, elle retombait après quinze jours de liberté aux mains de la justice de son pays, qui, disait-elle avait toujours manqué d’égards pour ses cheveux blancs, et ne s’était jamais montrée très tendre pour l’excellente personne qu’elle était.
7 – QUATRE JOURS DE VOYAGE
Dans une chambre proprette, toute tapissée d’un grand papier à fleurs, dont les fenêtres étaient closes par un rideau de cretonne à grands ramages qui tamisait mal le jour, Fandor venait d’ouvrir les yeux. Le journaliste était rompu. Après une nuit mouvementée comme celle qu’il avait vécue, il avait d’ailleurs bien le droit d’être fatigué et il allait s’accorder l’autorisation de demeurer encore un peu au lit, à demi sommeillant, à demi éveillé, lorsque la voix de Juve vint le tirer de sa torpeur.
— Café ou chocolat ? Qu’est-ce que tu désires, Fandor ?
Fandor se redressa, se pencha, regarda sur le lit voisin Juve qui, assis, achevait de s’habiller en laçant ses bottines.
— Café ou chocolat, répéta le journaliste, vous en avez de bonnes, Juve. Ah ça, vous imaginez-vous, par exemple, que nous sommes à l’hôtel Continental ?
— Non, Fandor, nous sommes à l’hôtel de Brest.
— Justement, et les petits déjeuners sont uniformes. D’ailleurs vous connaissez mes goûts, Juve : ni café, ni chocolat, passez-moi une cigarette.
Le policier obtempéra au désir du jeune homme et Fandor ayant allumé l’indispensable rouleau de tabac, fuma béatement et se sentit peu à peu envahi d’une douce satisfaction.
— Mon vieux Juve, déclara bientôt le journaliste, sautant à son tour au bas de son lit, me voici tout à fait confortable. Bigre de bigre, qu’en pensez-vous ? cela fait du bien de dormir.
— Je ne dis pas non.
— Alors, Juve, si nous nous recouchions ?
— Non, ne nous recouchons pas, levons-nous, au contraire. Tu oublies, que diable, qu’il nous faut aller visiter M. Noyot, le juge d’instruction.
Là-dessus Fandor s’avoua vaincu. Bien qu’en rechignant un peu, il s’habilla en hâte.
Comment Juve et Fandor se trouvaient-ils à l’hôtel de Brest ?
Comment les deux héros avaient-ils échappé à l’effroyable catastrophe ?
Les deux amis avaient eu la bonne fortune en réalité, au moment où ils tombaient à l’eau, d’être accrochés par des épaves qui flottaient et qui les avaient empêchés de se noyer.
***
— Allons, lambin, as-tu bientôt fini de faire ta raie et d’adresser des œillades aux Brestoises qui passent sous nos fenêtres ?
Juve pressait Fandor, qui, un peigne en main, semblait regarder avec une profonde attention la petite place sur laquelle était dressé l’hôtel. Mais Fandor ne tint aucun compte de l’observation du policier. Au lieu d’achever de se peigner, il souleva le rideau de vitrage, appela Juve :
— Venez donc, pardieu, je ne me trompe pas, ce sont eux.
Juve était accouru à l’appel de Fandor :
— Ma foi, tu as raison. Les choses se compliquent. Pourquoi diable Ellis Marshall et Sonia sont-ils ici ? Cela me donne à penser.
— À penser quoi, Juve ?
— Dépêche-toi.
Le journaliste fut prêt en un clin d’œil.
Les deux hommes quittèrent le petit hôtel pour prendre la direction du Palais de Justice où les attendait le juge d’instruction. Fandor, les mains dans les poches, la cigarette aux lèvres, semblait parfaitement insouciant. Le policier allait tête basse, roulant de sombres pensées. Bientôt même Fandor essaya de faire parler Juve :
— Mon bon ami, la présence d’Ellis Marshall et de Sonia m’intrigue. L’autre jour, en les rencontrant, nous supposions que tous les deux, en leur qualité d’agents diplomatiques, s’occupaient, comme nous, de suivre le Skobeleff. Mais maintenant qui suivent-ils ? Est-ce que, par hasard…
— Tais-toi donc, bavard, je t’ai dit que nous ne devions plus parler de cela. D’ailleurs, tu te trompes peut-être, Ellis Marshall et Sonia sont sans doute à Brest pour un motif très simple. Tu oublies qu’on leur a volé une auto ?
— Ah diable, c’est vrai, vous croyez qu’ils sont ici pour porter plainte ?
— C’est bien possible.
Au Palais de Justice, on ne les fit point attendre. Le juge commis pour enquêter sur le naufrage du Skobeleff, un certain M. Noyot, était homme ponctuel, précis, méticuleux, respectueux des formes et d’une grande exactitude.
À peine Juve eut-il fait passer sa carte, qu’il donnait l’ordre d’introduire les deux hommes :