LArrestation de Fantomas (Арест Фантомаса) - Страница 13
— C’est bien, monsieur, mais gouvernez au plus près, vous allez apercevoir, j’imagine, le phare de la pointe.
Il n’avait pas fini de parler que derrière le comte Piotrowski apparaissait le lieutenant Alexis.
— Mon Commandant, demanda le jeune officier, comment dois-je piloter ? J’ai deux feux par tribord, ce doit être la passe, et cependant à bâbord j’aperçois encore deux autres feux dans la brume, deux feux qui sont certainement les feux de position de deux barques, car ces feux se balancent au rythme de la houle.
Le comte Piotrowski demeura muet, déférent. Fantômas ordonna :
— Il faut être prudent, messieurs, ces parages sont dangereux. Puisque vous apercevez à bâbord deux navires, gouvernez droit dessus, nous sommes certains, d’avoir la mer ouverte et, dans une heure, si la brume ne s’est pas levée, nous mettrons en panne.
Les deux officiers se retirèrent. Fantômas, semblait déjà vouloir reprendre la conversation interrompue lorsque soudain il bondit en avant. Il ne laissa même pas à Juve et Fandor le temps de se mettre en garde. Déjà ils étaient violemment frappés au visage par l’extraordinaire bandit.
— L’heure de la vengeance sonne, hurlait Fantômas.
Atteints en plein visage, Fandor gisait sur le canapé.
Juve, assommé, se cramponnait à la muraille, la face couverte de sang.
Les événements se précipitaient.
Fantômas, d’un bond, avait laissé la cabine. Un effroyable vacarme avait retenti. Le plancher se dérobait sous Juve et Fandor jetés l’un sur l’autre sous les meubles qui s’écroulaient.
— Malédiction, criait Juve, et Fandor jurait.
Il y eut un grand raclement contre la coque. Le Skobelefftout entier se disloqua, semblait-il. Puis des coups de feu, des sifflets, des cris.
— Fichu, dit Juve en secouant la porte fermée à clef, Fandor, nous coulons.
Il ne put ajouter un mot. La cabine venait d’effectuer un « tonneau » complet.
— Nom de Dieu, cria le policier, au sein du tumulte, et le portefeuille ?
Juve se traîna vers l’angle de la petite pièce. Tout en causant avec Fantômas, Juve, en effet, merveilleux de sang-froid, avait parfaitement aperçu, posé sur une étagère, le fameux portefeuille rouge qu’il était venu chercher au péril de sa vie. Et maintenant même que le Skobeleffsemblait s’enfoncer dans l’abîme, c’était vers ce portefeuille que Juve s’élançait.
Indifférent au bouleversement des choses, Juve atteignit enfin la serviette de maroquin. Ses doigts crispés s’incrustèrent dans le cuir, cependant que, pour retenir Fandor, il mordait à pleines dents le collet du veston du journaliste.
Et alors, avec l’instantanéité des catastrophes, la cabine où demeuraient prisonniers les deux amis était défoncée par une énorme lame, une douche d’eau crevait les murailles, enlevait la fragile prison des deux hommes.
Sans même en avoir conscience, tandis que le Skobeleff, éventré par un récif, coulait, Juve et Fandor, balayés par la houle étaient jetés à l’eau, roulés par le courant, entraînés dans la mer disparue sous la brume.
6 – UN CADAVRE MAQUILLÉ
Entre la mer et le haut de la falaise, deux êtres fuyaient la pointe Saint-Mathieu. Jean-Marie l’équarisseur et Fleur-de-Rogue, la farouche fille d’Ouessant.
— Jean-Marie, disait Fleur-de-Rogue, voici le jour qui se lève, c’est l’heure de nous en aller, il ne faut pas rester longtemps dans leur voisinage.
— Penses-tu que les gendarmes oseraient se risquer ici, pour venir nous cueillir ?
— Non, c’est la mer qui m’effraie. Vois-tu par le large, comme elle est grise et moutonneuse, sûr qu’elle médite encore un mauvais coup. L’affaire de cette nuit n’a pas dû lui plaire, et aussi vrai que je suis ici, je suis certaine qu’elle se vengera. Écoute comme elle gronde, et puis, vois donc, vois donc là-bas ?
D’un geste terrifié, la farouche Bretonne montrait un paquet lourd qu’une lame agonisante était venue jeter sur un petit rocher : c’était un cadavre, encore un, dont l’Océan ne voulait pas, encore une victime du naufrage du Skobeleff, que la mer restituait à ses auteurs.
— Allons nous-en, dit Fleur-de-Rogue, j’ai peur.
Jean-Marie n’était pas rassuré non plus.
Fleur-de-Rogue savait où retrouver les autres membres de la bande qui, après le naufrage, s’étaient éparpillés comme une volée de corbeaux.
Quant à Jean-Marie, il s’était décidé à regagner le manoir de Kergollen.
L’apache-équarrisseur avait été embauché par Dame Brigitte, en qualité de jardinier, il occupait là un poste facile, était ignoré des gens de la ville, passait inaperçu auprès de la police et cela lui convenait à merveille.
Dame Brigitte, au surplus, et les deux hôtes qu’elle avait recueillis la veille au soir, avaient dû passer une nuit pleine d’inquiétude.
Peut-être convenait-il pour Jean-Marie d’aller s’en enquérir et de leur fournir, avec la plus parfaite hypocrisie, des renseignements de témoin oculaire ?
Mais, soudain, Jean-Marie fit un brusque écart, et se dissimula derrière un tronc d’arbre. Il venait de voir sortir de la propriété, un homme en uniforme.
Or, la seule vue de l’uniforme troublait toujours l’énigmatique jardinier du manoir de Kergollen.
L’uniforme était sombre, orné d’un galon d’or, la tenue d’un officier de marine : ce doit être un naufragé du Skobeleff, se dit l’amant de Fleur-de-Rogue.
Visiblement, l’officier russe cherchait à passer inaperçu.
C’était un tout jeune homme de dix-huit à vingt ans au plus. Son visage imberbe était d’une beauté régulière, il avait un teint de pêche, encore qu’un peu hâlé par l’air de la mer.
Curieux de sa nature, Jean-Marie remit à plus tard le moment de rentrer au manoir et suivit des yeux la promenade hésitante de l’officier. Celui-ci portait sous le bras un gros paquet de linge. Pourquoi ?
Après plusieurs allées et venues incertaines, il finit cependant par pénétrer dans une chaumière en ruines, isolée au milieu de la falaise.
Jean-Marie hésitait à s’approcher de cette masure, car il lui aurait fallu traverser un terrain dénudé.
Mais, de loin, il attendait, se disant que l’officier, sans doute, ne tarderait pas à sortir.
Au bout d’un quart d’heure, quelqu’un sortit de la cabane. Mais ce n’était plus un officier ni même un homme, c’était une femme.
La femme disparut, on ne vit plus d’officier, et Jean-Marie ne conserva que le souvenir d’une jupe, celle de la petite Naick, servante de Dame Brigitte.
Mais il était temps de regagner le manoir.
À peine, toutefois, Jean-Marie eut-il disparu derrière un repli de terrain que du côté opposé à la falaise arrivait un homme marchant à grands pas. Vêtu de noir, sur ses épaules un long manteau drapé à l’espagnole. Le visage dissimulé sous un grand feutre noir, et quiconque aurait vu se profiler sur l’horizon cette silhouette imposante, n’aurait pu retenir un cri d’effroi. Cet homme ne pouvait être que Fantômas.
L’insaisissable bandit s’était-il donc échappé du naufrage du Skobeleff ?
Ses vêtements étaient secs et propres. Le monstre avait donc dans le voisinage un asile secret, un domicile ignoré de tous, où il avait pu, alors que ses compagnons se débattaient dans les flots, prendre quelque repos et réconfort ?
Fantômas, sans souci de se faire apercevoir ou remarquer, longea le bord de la falaise, souriant. C’est que Fantômas pensait que parmi ces morts, ainsi ballottés au gré des flots, se trouvaient ses deux implacables ennemis : Juve et Jérôme Fandor.
Fantômas, cependant ramassait quelque chose et le considérait avec anxiété. C’était une casquette d’officier, la coiffure d’un aspirant de marine.
Qu’était-il donc advenu d’Hélène ? La malheureuse jeune fille dont Fantômas n’avait plus de nouvelles depuis l’explosion du navire avait-elle péri dans les flots ?
— Ah, si cela était, gronda Fantômas.