La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 9

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— C’est une grave spéculation. Car enfin, si par hasard ces millions étaient volés, si le Triumphse perdait corps et biens, n’étant pas couvert par une assurance, il te faudrait payer et…

— Et je serais nettoyé. Eh oui, ce sont les risques du métier.

— C’est imprudent. Ça t’arrive souvent ?

— Le plus souvent possible. Chaque fois que j’estime que les risques sont illusoires. Bah, qui ne risque rien n’a rien. J’aime l’argent moi, et je l’aime pour les plaisirs qu’il procure. Allons, viens-tu, Maurice ? passons dans mon cabinet, je vais te remettre les cent mille francs que tu veux bien transformer pour moi en beaux et bons titres de rente.

Sur le seuil de la porte, Maurice de Cheviron s’arrêta :

— Eh dis donc, tu ne vas pas me faire assassiner par les revenants ?

— J’espère que non. Tu sais je n’ai rien de nouveau à propos des deux aventures qui se sont passées dans cette pièce.

— Tu n’as pas retrouvé les titres ?

— Non.

— Diable. Et le grand remue-ménage ?

— Pas la moindre idée, ou plutôt…

— Ou plutôt quoi ?

Mais Hervé Martel s’arrêta de parler, comme s’il n’eût pas osé formuler une hypothèse.

— Ou plutôt, mon cher, les idées que je me fais à ce sujet sont si stupides, que j’aime autant ne pas te les dire.

— Mais au contraire, dis. L’autre jour, nous venions de bien dîner, nous étions un peu gais. Certainement nous n’avons pas remarqué quelque chose qui nous aurait renseignés. Ta vieille bonne par hasard, n’aurait-elle pas…

— Rosalie est au-dessus de tout soupçon, et nous avons bien vu mon vieux ce qui valait d’être vu dans la pièce. Non, sais-tu ce que je me dis ?

— Je demande à le savoir.

— Qu’il n’y a que deux explications possibles : un cyclone ou des revenants.

— Un cyclone ne t’aurait pas volé des titres. Des esprits ? C’est bon pour les vieilles femmes.

— Cependant, rappelle-toi combien la pièce était dévastée, comment tout y était brisé, cassé, bouleversé, rappelle-toi aussi qu’il n’y avait personne dans mon cabinet de travail, que personne n’y était entré, que personne n’en était sorti, et que de plus, tout le chambardement avait été opéré en moins d’une seconde. Si ce ne sont pas les esprits, c’est un cyclone, une petite tempête, un petit ouragan. Oh, j’en aurai le cœur net, je saurai ce qui s’est passé, ça je te le promets, quand je devrais y perdre mon latin.

— Tu sauras ce que tu sauras, coupait-il, et je crois bien, pour ma part, que tu ne sauras rien. Si d’ailleurs tu veux mon opinion, je te la donne pour ce qu’elle vaut : il faut admettre les choses, même d’apparence invraisemblable, quand elles peuvent avoir un semblant de vérité. Or, jusqu’à preuve contraire, je resterai persuadé, d’une part, que tes titres ont été bel et bien volés par ta dactylographe, et que d’autre part, c’est ta cuisinière, ou ton domestique, ou l’un des maîtres d’hôtel, qui a chambardé ton cabinet.

— Je mettrais ma main au feu que tu te trompes. D’ailleurs, laissons cela, je vois l’heure qui s’avance et, si nous continuons à bavarder, nous ne ferons encore rien cet après-midi. Veux-tu que je te donnes ces cent mille francs en or ou en billets ?

— Sapristi, comme tu y vas. Eh bien, mon vieux, deux cent mille francs chez toi, dans une pièce où habite un cyclone, où logent des revenants, sais-tu que ce n’est pas prudent ? Allons ! donne-moi les cent mille francs en billets, ce sera moins lourd et je ne tiens pas à emporter des kilos d’or monnayé.

Hervé Martel avait déjà ouvert son coffre-fort, il y prit une liasse de billets de banque, revint vers son ami et, s’asseyant devant la petite table où s’installait d’ordinaire M lle Hélène, la dactylographe, commença à compter les billets bleus :

— Aide-moi, veux-tu, mon vieux Maurice ?

— À ta disposition.

Lentement les deux hommes, prenant garde à ne point se tromper, firent dix liasses de dix billets chacune :

— C’est le compte ?

— Parfaitement c’est le compte, et si la Bourse est bonne aujourd’hui, je t’achèterai du quatre pour cent. C’est encore ce qu’il y a de mieux, pour se constituer une retraite. Je vais te délivrer un reçu tout de suite, car on ne sait ni qui vit, ni qui meurt et je puis être écrasé dans la rue. Mais tu seras assez gentil pour me le renvoyer contre un reçu régulier à mon bureau.

— C’est entendu.

— As-tu du papier à lettres ?

À son tour, Hervé Martel s’approcha de son bureau, penché par-dessus le meuble, il montra le tiroir à son ami :

— Tu vas trouver là-dedans des reçus tout préparés.

Or, au moment précis où l’agent de change, obéissant aux indications de son ami, ouvrait le tiroir du bureau, il sursauta, tendit l’oreille, avait l’air stupéfait.

— Hein ? as-tu entendu ?

— Quoi donc ? Oui ? Il me semble.

— On a soupiré, n’est-ce pas ?

Mais déjà Hervé Martel s’était ressaisi :

— Ah non, pas de blague. J’en ai assez des soupirs de mon cabinet de travail. Ils m’ont déjà coûté assez cher. Oh, et puis je m’en fiche, après tout, puisque tu as les billets dans ta poche, les esprits peuvent bien.

— Les billets ? Non. C’est toi qui les a repris.

— Moi ? jamais de la vie.

Tous deux s’étaient retournés, ils contemplaient stupéfaits la petite table tout à l’heure couverte de liasses de billets de banque, entièrement dégarnie de toute espèce de papier à présent.

Hervé Martel, le premier, retrouva son sang-froid :

— Çà, par exemple, c’est fort. Tu es sûr que tu n’as pas pris ces billets, Maurice ?

— Absolument certain.

— Alors ils sont tombés par terre, ils ont glissé contre le mur.

Hervé Martel déplaça la petite table, la recula, chercha sur le sol.

— Pas du tout, rien n’est tombé, je ne les vois pas. Ah fichtre de fichtre.

Mais Maurice de Cheviron lui aussi, avait retrouvé son sang-froid :

— Ne t’énerve pas, l’aventure est stupide, et nous sommes tous les deux victimes d’une distraction. Parbleu, tu les as remis dans ton coffre-fort.

— Je suis certain du contraire.

Hervé Martel, toutefois, ouvrit le coffre-fort, fouilla :

— Je n’ai rien remis là-dedans. Regarde mon portefeuille est vide.

— Cent mille francs, c’est une somme, et cela vaut la peine qu’on y prête attention. Voyons, tu es sûr, Maurice, de ne pas les avoir pris ?

— Je te dis que j’en suis absolument certain.

L’agent de change machinalement, se fouillait. Non, il n’avait pas les billets sur lui :

— Ils ne se sont pas envolés, que diable, et en tout cas, ils n’ont pas pu sortir d’ici, puisque fenêtres et portes sont fermées.

— Mais bon Dieu de bon Dieu, jurait le courtier, c’est inadmissible cette aventure. Nous étions là tous les deux, et il y avait dix paquets, dix liasses, tu en es témoin. S’il ne manquait qu’un paquet, qu’une liasse, j’admettrais à la rigueur qu’un coup de vent, un mouvement maladroit… Mais nous étions tous les deux loin de la petite table.

— C’est vrai.

Maurice de Cheviron, gagné à l’inquiétude de son ami, montait sur le bureau, soulevait les cadres des gravures, comme s’il se fût attendu à trouver les cent mille francs cachés derrière l’un d’eux.

Rien.

Hervé Martel, de son côté, soulevait la trappe de la cheminée, bouleversait les coussins du canapé. Rien.

— Bon Dieu, c’est à se demander si tu n’avais pas raison tout à l’heure, et si quelque fantôme ?

— Des fantômes ? allons donc, des fantômes ? c’est bon pour les vieilles femmes, tu le disais tout à l’heure toi-même, Maurice. Des fantômes ? ce n’est pas une explication. Pourtant, il n’y a pas à dire, mes cent billets ont disparu en une seconde. Disparu le temps d’ouvrir ce tiroir. Ah, j’en deviendrai fou, ma parole.

— C’est de la prestidigitation, Hervé.

Mais Hervé Martel n’avait guère envie de plaisanter. Au rire de l’agent de change, brusquement, il éclatait en imprécations :

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