La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 8

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Déjà le joyeux Prosper était parti.

— Évidemment, commença Pérouzin, évidemment, ce qu’il fait n’est pas honnête, et notre devoir…

— Oui, notre devoir nous oblige à le faire arrêter… Vous allez chez le commissaire, alors, Pérouzin ?

— Non, c’est vous qui y allez.

— Allons-y ensemble, voulez-vous ?

Ils avaient le chapeau sur la tête, le parapluie en main, quand, soudain, Nalorgne, timidement, remarquait :

— Il y a la banque aussi où il faut passer. La banque pour payer notre loyer.

— J’y songeais.

D’un commun accord, sans se consulter, les deux associés s’assirent. Puis, Nalorgne remarqua :

— Savez-vous, Pérouzin, que je me demande une bonne chose ? Nous avons peut-être tort de dénoncer Prosper en ce moment. Il serait peut-être plus sage d’attendre encore quelques jours, plus nous serons armés et mieux nous pourrons le confondre.

Deux heures plus tard, l’arrestation de Prosper était bien décidée en principe, mais rien n’annonçait qu’elle fût imminente. Ni Pérouzin, ni Nalorgne ne s’étaient rendus au commissariat de police, mais le loyer du « contentieux » était payé.

À sept heures et demie, les deux associés, brossés, lustrés, pommadés, attendaient, assis dans leurs deux fauteuils directoriaux, leur ami Prosper qui devait venir les prendre.

La sonnette retentit.

— C’est Prosper, hein ?

Non, ce n’était pas Prosper, mais une femme en grande toilette, couverte de bijoux :

— Madame Irma de Steinkerque, expliquait déjà Pérouzin qui était allé lui ouvrir, c’est paraît-il, l’amie, la très bonne amie de Prosper et elle a rendez-vous avec lui chez nous.

Pour le coup, la confusion de Nalorgne fut sans limite.

Comment, la belle M me Irma de Steinkerque était la maîtresse de l’ancien cocher ? Devait-il en gagner de l’argent, ce cocher.

— Madame, commença-t-il, nous sommes, mon associé et moi, très heureux, très flattés, infiniment touchés de vous recevoir. Mais, Prosper ne dîne-t-il pas avec vous ?

Irma, elle, en bonne fille qu’elle était, ne se perdit pas en phrases de cérémonie :

— Ça, c’est rigolo, Prosper m’a téléphoné cet après-midi : « Va m’attendre chez mes copains, rue Saint-Marc. » Mince alors. Si je me suis doutée que ces copains-là, c’était vous, vous, les deux louftingues qui vous trouviez l’autre jour en déguisés chez Martel, je veux bien être pendue la tête en bas.

— Asseyez-vous donc, madame, chère madame. Sur ce fauteuil. Tenez vous serez mieux.

En même temps, Pérouzin bourrait de coups de coude son associé :

— Allez dans la cuisine.

Nalorgne l’y rejoignit quelques instants plus tard, il y était rejoint par Pérouzin, très pâle :

— Je lui ai demandé deux minutes pour aller signer le courrier, expliqua Pérouzin. Elle est fichtrement belle, qu’en dites-vous ? Elle est si belle que je pardonne presque à Prosper d’être devenu une crapule si c’est pour l’entretenir. Au fait, Nalorgne, est-ce ce soir, comme nous l’avions décidé, ce soir après dîner, que nous allons faire arrêter Prosper ?

— Jamais de la vie. Nous ne pouvons pas faire ça du moment que sa maîtresse est là. Ça ne serait pas délicat.

— Et puis il y a l’argent, l’argent que nous avons emprunté sur les deux mille francs qu’il nous a remis.

— Et puis, il faut que nous devenions tout à fait les amis de Prosper et de sa maîtresse.

Es en étaient là, lorsqu’un éclat de rire éclata dans la cuisine.

— Ah, ce que vous êtes farces tous les deux, à discuter dans votre cuisine, non, quoi, qu’est-ce que vous faites ? j’m’embête, moi, toute seule.

Irma s’était levée, les avait rejoints à pas de loup :

— Chère madame, protesta Nalorgne au hasard, nous sommes désolés, nous venions voir si notre cuisinière était encore là pour lui commander une tasse de thé pour vous, mais justement…

— Hé, lui répondit Irma avec une parfaite simplicité, vous bilez donc pas. Je ne suis pas une petite évaporée, moi. Le thé, j’trouve que c’est de l’eau chaude, et voilà tout. Et puis, Prosper m’a bien dit que vous étiez des copains, et pas des mecs à la pose. N’vous bilez pas qu’j’vous dis, c’est plus l’heure du thé, d’abord, c’est l’heure de l’apéro. Tiens, justement, voilà Prosper !

5 – CENT MILLE FRANCS DE MOINS

Le repas fut expédié.

«  Viens déjeuner avec moi », avait écrit Hervé Martel à Maurice de Cheviron. Mais les deux hommes étaient pressés l’un et l’autre.

Comme on servait le café, un café bouillant qui refusait de se laisser boire, Cheviron tirant une cigarette de sa poche, entreprit son ami :

— Dis donc, mon vieux, sais-tu que c’est très gentil chez toi. Sans avoir l’air d’y toucher, petit à petit tu as transformé ton appartement. Une véritable bonbonnière. Des toiles de maîtres, des bronzes signés, peste, tu te mets bien.

— Pourquoi veux-tu que je me prive ?

— Je ne veux pas que tu te prives du tout, mais enfin, je t’admire. Tu vis sur un pied qui en dit long. Quand on a une automobile à la porte, une trente-cinq chevaux.

— Quarante, mon vieux.

— Mazette. On sait ce que cela coûte. Bref, on parle toujours des agents de change et des scandaleuses fortunes qu’ils font, je commence à croire que le courtage maritime est une opération encore plus lucrative.

— Il est certain que je ne me plains pas. Sans gagner, comme tu parais le croire, des sommes énormes, je suis content. Le courtage maritime comme tu le dis, grâce au privilège qui réserve les opérations à sept ou huit intéressés, rapporte. Mais que de mal on se donne.

— Est-ce que, par hasard, ton métier n’est pas au contraire un métier de tout repos, un métier de père de famille ?

— Hé non, mon vieux, il faut avoir les reins solides, l’esprit décidé, trois sous d’audace, et quatre sous de culot, je t’assure, pour faire ce que je fais.

— Allons donc. Tu touches des commissions sur chaque affaire que tu apportes aux assurances, tu te réserves un prélèvement. Il n’y a aucun risque à courir.

— Tu te trompes, Maurice, tu te trompes lourdement, expliquait-il. Si, en réalité, je ne m’occupais véritablement que d’apporter des affaires aux compagnies d’assurances et de prélever une commission, tu aurais raison, je ne courrais aucun risque, mais je gagnerais beaucoup moins qu’en osant les petites spéculations et même les grosses spéculations.

— Tu joues ? toi, Hervé Martel, l’homme sérieux par excellence ? tu joues ?

— Hé oui, je joue. D’une façon particulière, mais enfin je joue. Tiens, veux-tu savoir comment ? C’est excessivement simple, et tu comprendras que c’est tentant. Hier, mon vieux Maurice, figure-toi que j’ai reçu la visite d’un gros banquier qui fait venir, pour le compte d’une maison allemande, plusieurs millions d’or monnayé, envoyés d’Amérique en Autriche. Ces millions d’or vont être apportés à Cherbourg par un paquebot anglais, le Triumph, et mon homme me venait voir pour me demander de les assurer contre les risques de mer.

— Bigre. C’est une jolie affaire, la commission…

— La commission, peuh ! Les compagnies d’assurances, en effet, demandent des primes d’autant plus importantes que la marchandise est plus sujette à s’avarier. Autrement dit et toutes proportions gardées, il est plus coûteux d’assurer des oranges que des pièces de vingt francs. Non seulement les oranges peuvent couler en effet, mais elles risquent encore de s’abîmer, ce qui n’est pas le cas des louis. Donc, pour l’assurance de ces millions, la prime qui n’avait à prévoir que les risques de naufrage du Triumpheût été relativement assez faible et ma commission faible aussi.

— Et alors ?

— Et alors mon vieux, c’est là où je joue. J’ai demandé à mon client de me verser une somme représentant le montant des primes d’assurances, puis, estimant qu’il n’y a aucun danger qu’un bateau de l’envergure de celle du Triumphvienne à faire naufrage, j’ai gardé cette prime destinée à une compagnie d’assurances, pour moi, je me suis donc fait moi-même, personnellement, l’assureur des millions. Parce qu’il me plaît de courir un risque, parce que je suis assez audacieux pour le prendre à ma charge, j’arrive à toucher une somme importante, comprends-tu ?

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