La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 56

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Mais Fandor n’écoutait déjà plus. Que lui faisaient les paroles du juge d’instruction ? Il se moquait bien que sa ruse eût réussi, que personne ne pensât à le soupçonner parce qu’il avait rendu à ses cheveux leur teinte primitive, il se moquait bien même que Nalorgne et Pérouzin eussent eu l’extraordinaire audace, le toupet invraisemblable de conter la fable dont M. Fuselier venait de lui rapporter les échos. Une seule chose torturait Fandor.

Et il demanda, angoissé :

— Mais Juve ? Juve ? avez-vous de ses nouvelles ? J’arrive de voyage, moi. Où est-il ?

Hélas, la physionomie de M. Fuselier se rembrunissait soudain :

— Ah, Juve, fit le magistrat, Juve, c’est abominable. Je n’osais pas vous en parler, mon pauvre Fandor, mais je crois que vous êtes au courant ?

— Il est mort ? il est réellement mort ? sanglota le journaliste.

— Hélas, oui, et il n’y a aucun doute à avoir à ce sujet. Je reviens de la Préfecture, où j’ai rencontré M. Havard, qui est désolé. Pauvre Juve.

Et, après un instant de silence, M. Fuselier ajouta :

— Et cependant, faut-il le plaindre ? Il était paralytique, impotent, il était presque mort. Depuis six mois. Pour un homme comme lui, immobile, l’infirmité était le pire les supplices. Certainement, Fandor, la perte que vous venez de faire est douloureuse, terriblement douloureuse pour vous, mais en ce qui concerne Juve, je me demande s’il ne vaut pas mieux pour lui qu’il soit mort plutôt que de n’être plus qu’un infirme ?

Fandor n’écoutait pas. Fandor sanglotait.

Si M. Fuselier affirmait que Juve était mort, si M. Havard se désolait du décès du policier, c’est que bien réellement il était mort.

À six heures du soir, cependant, tandis que Fandor s’entretenait avec M. Fuselier, au Palais de Justice, d’épais barrages d’agents avaient peine à contenir la foule accourue rue Bonaparte pour contempler les décombres fumants de la maison où Juve avait trouvé la mort.

Dans les rangs pressés des badauds, des réflexions s’échangeaient, des colloques attristés naissaient.

Le peuple de Paris pleurait la mort du grand policier Juve.

Un petit vieillard qui, à coups de coudes, était arrivé à se faufiler au premier rang des spectateurs, s’entretenait avec un homme d’une quarantaine d’années, vigoureux, au visage glabre, et lui faisait part de ses propres sentiments :

— Moi, Monsieur, déclarait le petit vieillard, je trouve qu’on devrait lui faire des funérailles nationales, car enfin d’autres ont eu cet honneur qu’ils méritaient moins que lui. Je serais le Gouvernement que je n’hésiterais pas à décréter que Juve doit être enterré au Panthéon.

Mais l’homme interpellé à ces propos, souriait :

— Il me semble que vous exagérez un peu.

— Non, monsieur, non, je n’exagère pas. Juve, c’était le courage en personne, c’était l’audace, c’était l’honnêteté, c’était la loyauté, c’était le génie, c’était… et puis enfin… Monsieur, si vous jugez que j’exagère, vous devez savoir en quoi j’exagère ? eh bien, dites-le moi ?

L’homme glabre riait de plus belle.

— Peuh enfin, si cela doit vous intéresser, cher monsieur, je ne ferai aucune difficulté à vous donner mon opinion. Je trouve que vous exagérez en parlant de conduire Juve au Panthéon. Il faudrait d’abord que Juve soit mort.

L’homme glabre avait parlé d’un ton si naturel qu’une stupéfaction absolue régnait sur le visage de son interlocuteur.

— Mais vous ne savez donc pas que Juve est mort ? vous ne croyez donc pas que Juve est mort ?

L’homme glabre souriait toujours :

— Ah Juve est mort ? répondait-il d’un ton énigmatique, ah bon. Au fait, vous avez raison. Alors Juve est mort, c’est vrai. Il est tout à fait mort ou il n’en vaut guère mieux.

Et, sur ces paroles incompréhensibles, l’homme glabre, abandonnant brusquement le petit vieillard ahuri, pivotant sur ses talons, se perdit dans la foule.

Cet homme glabre qui venait de décider que Juve « était mort ou du moins qu’il n’en valait guère mieux », si Fandor l’avait rencontré, il lui aurait sauté au cou.

Cet homme glabre, cet extraordinaire homme glabre, c’était Juve, en effet.

Un Juve heureux, content, souriant, le Juve des jours de victoire.

FIN

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