La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 5

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— Mon Dieu qu’il est tard, et nous avons encore cinq ou six clients à voir avant le dîner. Vous n’avez plus rien à nous dire ?

— Non, fit d’un ton bourru le courtier, du moment que vous allez faire arranger la cheminée, c’est l’essentiel.

Nalorgne poussait son associé vers la porte, mais soudain, comme ils en franchissaient le seuil, Hervé Martel les rappelait :

— Messieurs ?

— Qu’y a-t-il ?

Ils revinrent sur leurs pas, Hervé Martel s’en fut fermer lui-même la porte qui faisait communiquer son cabinet avec la galerie. Il abaissa même une portière, puis revenant auprès des deux associés, il leur demanda :

— Avant d’être dans les affaires, messieurs, vous étiez, dans la police, si je ne me trompe ?

— Pardon, nous étions inspecteurs généraux de la Sûreté générale de Monaco.

— Je me le rappelle, en effet, fit le courtier d’assurances. Vos silhouettes m’étaient familières, ces derniers hivers, lorsque j’allais dans les salles de la roulette à Monte-Carlo. Bien. Exercez-vous toujours ce… métier ?

— Nous faisons, en effet, déclara-t-il, des enquêtes discrètes, des recherches, dans l’intérêt des familles. Naturellement nous ne travaillons pas pour tout le monde. Mais lorsqu’il s’agit d’un client, d’un client important bien entendu…

— En somme, interrompit Hervé Martel, vous seriez disposés ?

Nalorgne cligna de l’œil, hochait la tête :

— Nous sommes à votre entière disposition.

Tant et si bien que le courtier leur raconta la disparition des dix milles francs de titres, la dactylo qui avait vu le paquet, l’ancien cocher Prosper qui était entré et sorti.

— Tout cela, dit Pérouzin, est extrêmement grave.

— Grave, peut-être. En tout cas l’aventure est compliquée.

— Plus que vous ne le croyez, poursuivit Hervé Martel. J’oubliais de vous dire qu’à un moment donné, nous avons entendu, M lle Hélène, la dactylographe, et moi, comme un profond soupir. J’ai même plaisanté à ce propos, M lle Hélène, lui demandant si elle avait des peines de cœur. Or elle n’avait poussé aucun soupir.

— Voilà, fit Nalorgne, qui est étrange.

— Extraordinaire, dit Pérouzin.

— N’est-ce pas, messieurs, fit le courtier. Pour ma part, je vous avoue que je ne comprends pas, mais là pas du tout. Je ne sais qu’une chose malheureusement, c’est que mes titres ont disparu et que je voudrais bien les retrouver.

— Et vous voulez nous charger de faire une enquête ?

— Ma foi, déclara franchement Hervé Martel, telle est en effet mon intention, mais vous comprenez comme c’est délicat. Je ne tiens pas du tout à ce que la chose s’ébruite. Il s’agit là d’une aventure désagréable qui s’est passée chez moi. Tâchez donc de faire la lumière, mais avec tact et discrétion. Si je ne m’adresse pas à la Préfecture de Police, c’est précisément pour éviter à ceux qui m’entourent, les brutalités de ces messieurs du quai des Orfèvres. Attention, n’est-ce pas, et du tact. Tenez, il y a aussi mon valet de chambre, le vieux Baptiste, qui depuis vingt ans est dans la famille. Bien entendu, je ne l’accuse pas. Mais enfin, l’enquête vous regarde. Agissez, et à bientôt.

— Ah, dit Nalorgne, une fois que les deux nouveaux détectives privés se retrouvèrent dans la rue, nous trouverons et ce n’est pas difficile de dire, dès à présent, quel est le coupable.

— Oui, dit Pérouzin, vous avez raison de dire « le » car dans cette affaire on ne peut pas dire : « Chercher la femme ».

— La femme, non, mais le cocher.

— Oui, nous sommes bien d’accord. Parbleu, la voilà la source inexpliquée de la soudaine fortune de Prosper. C’est lui qui, ce matin encore a dérobé les titres de son ancien patron. Bonne affaire, bonne affaire, nous avons à la fois sous la main le coupable et le plaignant. Et dans les quarante-huit heures, grâce à notre perspicacité, j’aime à croire que le sympathique Prosper couchera au Dépôt.

3 – L’INCOMPRÉHENSIBLE COUP DE VENT

— Vous direz tout ce que vous voudrez mais lorsqu’on sait s’arranger, prendre la vie du bon côté, ne jamais mettre midi à quatorze heures, se persuader que tout s’arrange, avoir le plus souvent possible le ventre à table et le dos au feu, connaître de bons amis, réussir dans sa profession, l’existence est encore une chose charmante. Je porte la santé de notre chère Irma.

Le courtier maritime avait réuni ce soir-là, chez lui, ceux qu’il appelait ses amis de plaisir, par opposition aux autres.

— Chaque jour, disait Martel, je suis obligé de fréquenter mes collègues, courtiers maritimes. Ce sont d’excellentes gens qui me parlent courtage maritime. Or, le courtage maritime m’intéresse de huit heures du matin à six heures du soir. Après il m’assomme. Donc, si j’ai des amis s’occupant de courtage maritime, ils ne m’intéresseront que jusqu’à six heures du soir. Passé ce moment, fini !

En conséquence de quoi, l’assistance, ce soir, ignorait tout des questions de fret, connaissements ou sinistres.

À sa droite, trônait Irma de Steinkerque, grosse bonne fille visant à la minceur demi-mondaine, au coup de fourchette fameux, présence obligatoire à tous les « balthazars ».

À côté d’elle, Maurice de Cheviron, titulaire d’une excellente charge d’agent de change, dont toute l’ambition était de mériter le qualificatif de boulevardier. Il savait les derniers potins du Tout-Paris, fredonnait le refrain en vogue, tutoyait la vedette du music-hall à la mode. Lui aussi possédait un coup de fourchette appréciable et de plus se connaissait en vins.

À gauche du maître de maison, Charley, un petit jeune homme d’un blond déteint, à la moustache tombante, artiste, mais personne ne savait si la musique, la littérature, la peinture, la sculpture, étaient l’occupation dont il attendait gloire et fortune.

Hervé Martel recevait parfaitement.

— Vrai, c’est rigolo, affirmait Irma de Steinkerque, souriant d’un râtelier superbe à une maigre jeune femme blonde coiffée à la Botticelli qui accompagnait Maurice de Cheviron. J’ai déjà remarqué ça. Quand on veut faire un bon dîner, il ne faut pas être plus de quatre ou cinq.

Mais on discutait de la représentation prochaine d’un cirque de gens du monde :

— Vous savez que la petite baronne dansera sur la corde raide ? demanda Cheviron.

— Parbleu, elle a l’habitude des faux pas.

Et comme on riait de cette rosserie non déguisée, Irma qui n’avait pas compris :

— Mais non, c’est pas vrai. Elle marche là-dessus tout à fait bien, comme sur un plancher.

— Décidément, mon cher Hervé, disait Charley, je commence à croire que le courtage maritime est une excellente classe. Depuis que vous avez acheté votre charge, on ne vous reconnaît pas. Auparavant vous étiez silencieux, triste, renfermé.

— Et maintenant, je suis gai comme une petite folle ? Parbleu, vous oubliez, mes amis, que vous me voyez toujours après l’heure fatidique où j’abandonne mes affaires. Moi, je fais de ma vie deux parts, l’une pour le travail, l’autre pour le plaisir.

— Et quelle est la plus grosse ?

Hervé allait répondre, Irma lui coupa la parole d’une plaisanterie, stupide à son ordinaire :

— Cela dépend des dames.

Sur quoi, avec un air de reproche et une face indignée, Rosalie, la vieille domestique, qui, les jours de réception intime, aidait Baptiste au service de la table, quitta la salle à manger après avoir jeté à son maître un regard dédaigneux.

Rosalie ne pouvait souffrir qu’Hervé Martel, un monsieur si bien, un monsieur, reçût de la sorte, « n’importe qui » chez lui.

— C’est des gens qu’on voit au restaurant, affirmait Rosalie.

Mais qui se souciait de ce que pensait Rosalie ?

— Vrai, demandait Irma de Steinkerque à Charley, vous croyez que je pourrais apprendre à danser ?

— Mieux que Terpsichore, affirma gravement le courtier maritime, d’ailleurs, je parie que vous valsez à ravir.

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