La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 46
— Des hommes à moi. J’ai eu la fantaisie de me les attacher voici déjà quelques semaines, alors qu’ils étaient fortement compromis avec un escroc de médiocre envergure, un fabricant de fausses traites : l’ancien cocher Prosper. C’est moi qui leur ai suggéré de faire les démarches nécessaires pour entrer dans la Sûreté de Paris. Il est bon, n’est-ce pas, d’avoir plusieurs cordes à son arc ? Vous avez pu vous en rendre compte, Juve, Nalorgne et Pérouzin ne sont pas très intelligents, mais ils ont une habitude passive de l’obéissance et surtout, encore plus peur de moi que de M. Havard. Lorsque Fandor descendra du train, non pas à la gare Montparnasse, car l’on craint des manifestations, mais à la gare de Clamart où s’arrêtera exceptionnellement le rapide, les braves Nalorgne et Pérouzin l’entraîneront dans un terrain vague et l’exécuteront. D’ici là, Juve, il est vraisemblable que la communication téléphonique sera rétablie et que vous aurez pu prévenir votre domestique d’aller chercher les agents pour m’arrêter.
Juve était devenu pâle. Il se précipita à la fenêtre, espérant voir quelqu’un, pouvoir faire un signe, appeler. Hélas, il pleuvait à torrents, la rue était déserte. Soudain, de son quatrième étage, Juve aperçut marchant à pas comptés le sergent de ville de garde, qui, mélancoliquement rasait les murs des maisons d’en face, le capuchon rabattu sur le képi. Juve saisit sur sa table un encrier en verre et le lança dans la rue, où il s’écrasa non loin du sergent de ville, qui relevait la tête. Juve alors, agitant ses bras, poussant des cris inarticulés, fit des signaux désespérés pour signifier à l’agent de monter le plus vite possible. Mais il n’avait qu’un médiocre espoir dans cette tentative. Il connaissait l’apathie consciencieuse avec laquelle les gardiens de la paix font en général, de long en large, leur tour de garde. Il savait combien ils redoutaient dé s’introduire dans les appartements, mais il faut croire que le projectile, dont Juve s’était servi pour attirer l’attention de l’agent de police, avait courroucé celui-ci, car l’homme immédiatement traversait la rue, faisant signe à Juve, qu’il allait monter. Le policier se retourna, Fantômas gisait toujours sur le plancher. Tandis qu’il attendait l’agent, le policier ne demeura pas inactif, il prit une boîte pleine de pointes et un marteau.
— Vous voulez me crucifier ?
— Non. Mais pour être plus sûr que vous ne bougerez pas, je m’en vais vous clouer au plancher comme font les paysans des montagnes lorsqu’ils ont pris une bête malfaisante, la clouent contre la porte de la maison.
Et à grands coups de marteau, qui résonnaient dans l’appartement, Juve enfonçait d’énormes pointes dans les cordes qui maintenaient Fantômas et immobilisaient de plus en plus ainsi le bandit contre le sol. Le sergent de ville, qui n’avait même pas ôté son capuchon, essoufflé, car il avait gravi l’escalier quatre à quatre, apparut sur le seuil de la porte :
— Que faites-vous ?
— Vous savez, je pense, chez qui vous êtes ?
— Oui, fit le sergent de ville, en esquissant le salut militaire, je vous reconnais bien, monsieur l’inspecteur.
— Je suis Juve, écoutez mes instructions, agent ?
Juve, se penchait, ramassa le revolver que Fantômas avait laissé tomber par terre, il le donna au sergent de ville :
— Prenez cette arme, postez-vous en face de cet homme ligoté sur le sol, et ne bougez plus jusqu’à ce que je revienne, j’en ai pour une heure, pas plus. Vous avez tous pouvoirs pour agir. S’il fait un seul mouvement, s’il cherche à se débarrasser de ses liens, première sommation. À la seconde, à bout portant, vous lui cassez le bras gauche. Il faut viser là.
Et Juve touchait du doigt l’épaule de Fantômas qui ne tressaillit même pas.
— S’il insiste encore, l’autre bras. Soyez énergique, mais prudent. Il faut que je retrouve cet homme quand je reviendrai, et que je le retrouve vivant.
— Monsieur Juve, vous pouvez compter sur moi.
23 – LE RÔLE D’UN OIGNON
— Je n’ai jamais été fichu de faire correctement une addition, ça, c’est connu, c’est réglé comme du papier à musique, rond comme une pièce de cent sous, évident comme la bêtise des bourgeois, mais enfin, tout de même, je sais compter jusqu’à trois, or, j’ai été arrêté lundi, nous sommes aujourd’hui jeudi matin, donc voici le troisième jour, largement compté que je gémis dans cette geôle, et sans me livrer à des calculs compliqués, je puis raisonnablement espérer l’arrivée de la lettre de cet excellent Fantômas, de cette lettre que je lui ai dictée et qui va me permettre de me rendre chez Juve pour flanquer à mon vieux traître d’ami un de ces savons numéro un dont j’ai gardé le secret.
Jérôme Fandor se promenait de long en large dans l’étroite cellule qui lui avait été affectée à la prison de Cherbourg. Il y avait en effet quatre jours, ou plus exactement, trois jours et une nuit, que Juve l’avait fait arrêter, se disant que c’était le meilleur moyen d’empêcher Fantômas de retrouver ses documents.
Ces quatre jours de prison, Jérôme Fandor les avait passés, dans ce qu’il appelait lui-même, « une rogne épouvantable ». D’abord, il était furieux contre Juve, il trouvait que le procédé du policier, pour subtil qu’il fût, était empreint d’une abominable rosserie. De plus, il avait tremblé en se voyant confié à la garde de Pérouzin et de Nalorgne, que Fantômas lui avait dit être ses complices. Rassuré contre l’hypothèse d’une agression possible alors qu’il avait été écroué à la prison de Cherbourg, Fandor avait employé le reste de son temps à s’ennuyer, exactement, pensait-il, « comme s’ennuierait une baleine tombée dans un aquarium de poissons rouges », mais plus au large toutefois. N’empêche, le journaliste avait besoin d’air et de mouvement. Doué d’un tempérament éminemment actif, remuant par nature, par besoin, par amour de l’agitation, il s’accommodait infiniment mal de l’existence cloîtrée.
Et puis, la malchance avait voulu que le juge d’instruction commis pour étudier son affaire fût précisément un vieillard pointilleux, méticuleux à l’excès, ami des formes, des belles phrases, qui portait sur les nerfs de Fandor.
— Je vous dis, avait crié, hurlé, répété le journaliste, je vous dis, monsieur le juge, qu’il est absolument inutile de m’interroger, que c’est du temps perdu, de la salive gâchée. Je ne suis pas coupable. Dans trois jours vous en aurez la preuve en main, la preuve écrite, signée. Une lettre arrivera qui me mettra hors de cause, qui vous prouvera ma bonne foi, qui vous expliquera mon rôle, qui vous ouvrira les yeux. Que diable, vous pouvez bien attendre trois jours avant de me demander un tas de choses inutiles. Parbleu, je ne suis qu’un prévenu, attendez du moins qu’il y ait contre moi des présomptions formelles.
— Vous avez été arrêté sur l’ordre de Juve, s’entêtait à répondre le magistrat, Juve était, a été, est toujours votre meilleur ami, si donc il vous a fait mettre en état de détention, c’est que, de bonne foi, il s’est rendu compte du rôle tout spécial que vous jouiez. Le contraire serait inadmissible. Veuillez donc répondre à mes questions et me dire…
Entre-temps, toujours pas de lettre, lorsque enfin la porte de la cellule s’ouvrit :
— Prévenu, dit le gardien, veuillez me suivre. M. le juge d’instruction vous demande.
— Ça va.
***
M. Langlois, tranquillement, cependant, sans se presser le moins du monde, avec des mines de coquette, rangeait sur une tablette précieuse de menus accessoires de bureau. Il disposait avec amour son porte-plume, son coupe-papier, son encrier, son buvard, un canif, le sceau enfin qui lui servait à authentifier ses pièces de procédure.
— Mon Dieu ! pensait Fandor, encore heureux qu’il n’ait pas des crayons bleus et des crayons rouges.
— Monsieur Jérôme Fandor, j’ai, en ce qui concerne votre affaire, un petit peu de nouveau.