La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 45
— Votre prisonnier ? à la condition que vous me preniez ?
— Évidemment.
— Je puis vous tuer. Je vous tuerai dans un instant. Il me suffira d’un geste de mon index.
— En effet.
Fantômas braquait sur Juve le canon de son revolver.
— Et vous ne tremblez pas, Juve ?
— Depuis quand, Fantômas, vos menaces me font-elles peur ?
— Je vais vous tuer.
— Non, fit Juve, vous ne me tuerez pas. Vous avez besoin de savoir, auparavant, où se trouvent les papiers de votre fille.
— C’est vrai, vous me tenez encore.
— Vous voyez bien.
— Voyons, reprit le bandit d’un ton plus doux, êtes-vous disposé à me les rendre ?
— Jamais.
— Je les prendrai donc de force, gronda le bandit.
— Essayez.
— Où sont-ils ?
— Ils sont sur ma poitrine, venez donc les chercher.
De sa main gauche Fantômas, décidé à tout, écarta la chemise de Juve, et le bandit remarqua que le policier portait à même la peau, une ceinture à poches. Toutefois le bandit hésitait.
— Êtes-vous donc si poltron que vous n’osiez toucher le corps d’un paralytique ? Croyez-vous par hasard que cette ceinture contient quelque arme secrète ? Non, Fantômas, ne m’abaissez pas à votre niveau. Je ne suis pas de ceux qui, pour assassiner lâchement, emploient un chapeau-poignard. Je suis loyal, moi. Je vous dis simplement : Fantômas, prenez garde.
— Allons, allons, donnez-moi les papiers de ma fille.
— Prenez-les, Fantômas.
Le bandit, une seconde, hésita, puis résolument, lâchant son arme, qui tomba à terre avec un bruit sourd, il se précipita sur Juve, s’efforça de défaire la ceinture attachée autour de la poitrine de son adversaire.
Mais soudain un cri, un râle épouvantable. Fantômas lâcha prise. Ses deux bras s’écartèrent, son corps penché sur celui de Juve, se redressa brusquement, puis retomba en arrière. Plus vif que la pensée, Juve, au moment où Fantômas s’était penché sur lui l’avait pris à la gorge, serré des deux mains et le policier étranglait Fantômas. Juve le maintenait toujours, lui comprimant la gorge, jusqu’à ce qu’il perdît conscience.
— Enfin, enfin, ce moment tant souhaité est arrivé. Je vous tiens, Fantômas. Voilà six mois, six longs mois que je joue la comédie de la paralysie, que je me condamne devant tout le monde à l’immobilité absolue. Ah, vous avez été dupe comme les autres ? Vous avez cru que Juve était fini ? Réduit à rien ? à l’état de momie, de cadavre ? Pas encore, Fantômas. Et si j’ai la vigueur voulue pour vous maintenir, pour vous tenir ainsi terrassé, un genou sur la poitrine, et les doigts serrés autour de la gorge, c’est parce que, lorsque j’étais seul, j’ai suivi un entraînement minutieux, rigoureux. Je me suis fait des bras, des muscles, des biceps. Jugez-en plutôt.
Fantômas suffoqué, évanoui, à demi-mort, n’entendait rien. Juve, cependant, avec une agilité surprenante, ne se contenta pas d’avoir terrassé momentanément le bandit. Il prit les liens dissimulés sous son matelas, il attacha Fantômas, lui ligota les mains, les pieds, les bras, le ficelant à terre, rendant tout mouvement impossible, puis, satisfait, il regarda son œuvre.
Peu à peu, cependant, le bandit revenait à lui. Il respira profondément, ses paupières vacillèrent, puis, s’ouvrirent ses yeux injectés de sang regardèrent autour d’eux, ils eurent une expression affreuse en s’arrêtant sur Juve :
— Eh bien, Fantômas ? déclara celui-ci.
— Eh bien, déclara lentement le bandit, je m’avoue vaincu, vous aviez raison, Juve, en m’annonçant tout à l’heure que vous me mettiez en état d’arrestation, je suis pris, tuez-moi.
— Non pas, Fantômas, la mort rapide, instantanée, serait un châtiment trop doux. Je n’assassine pas, moi. Je ne tue pas. Nous avons des bourreaux pour cela. Mon rôle est de vous prendre. Mon devoir est de vous livrer à la justice.
Fantômas suivit des yeux le policier qui, traversant à grands pas la pièce, s’approchait du téléphone. Juve décrochait le récepteur. Toutefois, incapable de dominer sa joie :
— Un de mes hommes, mon vieux domestique, est actuellement à deux pas de la Sûreté. Je vais l’appeler. Il ira prévenir M. Havard. Dans dix minutes, je vous aurai remis aux mains des inspecteurs de police.
Machinalement, tout en parlant, Juve appuyait sur le balancier du téléphone, sans réponse.
— Allo, allo, fit-il deux ou trois fois, s’étonnant de ne point avoir entendu obtenir de la téléphoniste, répondre : « J’écoute. >
— Voulez-vous me permettre, Juve ?
— Que voulez-vous ?
— La téléphoniste ne répond pas ?
— Je ne comprends pas.
— Puis-je vous expliquer ?
— Ah bandit, les fils ?
— Je ne me serais pas permis de détériorer le matériel de l’État. Je sais trop à quels ennuis on s’expose. Et si la téléphoniste ne vous répond pas, Juve, c’est de votre faute.
— Vous croyez ?
— Voilà trois mois, Juve, que vous avez quitté votre appartement de la rue Bonaparte pour vous installer à Saint-Germain, dans une charmante villa. Vous avez omis de remplir une petite formalité qui pouvait avoir, qui a d’ailleurs, en ce moment, pour vous, les plus graves conséquences.
— Laquelle ?
— Mon Dieu, fit Fantômas, vous avez tout simplement oublié de payer votre abonnement au téléphone, et l’administration vous a « coupé » comme un vulgaire débiteur insolvable. J’ajoute, pour vous rassurer, que cet état de choses ne durera pas longtemps. Vous vous demandez peut-être comment j’ai surpris ce détail intime de votre vie privée ? Oh, bien simplement, Juve. Tout à l’heure, en bavardant avec votre concierge, je me suis donné pour l’un de vos secrétaires, et cette excellente femme, entre autres paperasses laissées chez elle à votre nom, m’a remis les divers ultimatum de l’administration des Téléphones.
« Non. Ne vous précipitez pas sur le tuyau acoustique. Vous allez gourmander cette pauvre femme. Or, elle n’est pas responsable de votre négligence. J’ajoute même que, pour vous rendre service, et pour l’éloigner, je l’ai chargée en votre nom, tout à l’heure, d’aller payer cet abonnement, d’urgence. Je lui ai remis la somme sur mes fonds personnels. Juve, quoiqu’il arrive, vous vous souviendrez qu’à l’heure actuelle vous me devez cent francs, plus les frais.
— Canaille, hurla le policier.
Fantômas, de plus en plus imperturbable, continuait :
— J’ajoute, que je suis un peu intéressé à voir la communication rétablie, car j’ai donné des ordres pour qu’on me téléphone ici même dans la soirée – vous voyez que j’avais l’intention de devenir votre hôte – un renseignement assez important et que j’attends avec la plus vive impatience.
— Trêve de plaisanterie. Je ne suis pas d’humeur à supporter vos railleries, Fantômas.
Mais le bandit, qui devenait de plus en plus calme au fur et à mesure que Juve s’exaspérait, continua d’un ton persifleur :
— Au fait, Juve, vous ne serez pas de trop.
— Comment ça ?
— Il s’agit de ce pauvre Fandor.
— Quoi ?
— Je vous le disais bien, fit Fantômas, dès qu’il s’agit de Fandor vous dressez l’oreille. Juve, vous m’avez mal jugé tout à l’heure, vous m’avez accusé d’avoir épargné Fandor parce que j’avais peur de mécontenter ma fille. Certaines nécessités empêchent de tenir compte de ces contingences. Fandor d’ici peu de temps ne sera plus de ce monde. J’imagine Juve, que vous ne me traiterez plus de poltron.
Comme un fou, Juve s’était précipité auprès de Fantômas, il le secouait :
— Qu’avez-vous dit encore, misérable ? quel est ce mensonge ?
— Je dis la vérité, Fandor va mourir. Je vois à votre pendule qu’il est six heures moins le quart. Entre nous, elle doit retarder de dix minutes environ. Les dix minutes d’avance que vous m’avez reprochées tout à l’heure. Eh bien, dans une heure trente-cinq exactement, le malheureux Jérôme Fandor, votre ami, aura passé de vie à trépas.
— Fandor, déclara-t-il, est entre les mains de la Justice française, qui n’a pas l’habitude d’assassiner ceux qu’on lui donne à garder. Deux inspecteurs de la Sûreté l’amènent précisément aujourd’hui de Cherbourg à Paris : Nalorgne et Pérouzin.