La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 41
Jérôme Fandor avait eu une extraordinaire inspiration en se roulant dans le plâtre. Il s’était souvenu de l’extraordinaire audace dont avait jadis fait preuve un écarteur devenu fameux dans les populations landaises. Fandor, tout jeune homme, alors qu’il était encore Charles Rambert, avait assisté à des courses landaises données à Mugron, petit village des environs de Saint-Sever. Il y avait vu le fameux Marin Premier et avait été frappé d’un de ses tours de force. Marin Premier, tout de blanc habillé, descendait dans l’arène, écartait une première fois, par une passe savante et rapide, une vache sauvage fonçant à tout galop sur lui, puis, alors que la bête revenait, folle de rage, les cornes en avant, il sautait sur un socle de bois, prenait une pose de statue, restait immobile. Et alors, frémissante, mais domptée, tandis que l’assistance haletait devant le drame qui paraissait inévitable, la vache, lancée à fond de train sur la fausse statue, se campait sur ses quatre pattes, labourait le sol, s’arrêtait net devant le pierrot et s’éloignait, calmée.
— Pourquoi, diable, s’était dit Jérôme Fandor, pourquoi diable, les lions ne se laisseraient-ils pas prendre à une ruse qui abuse les vaches sauvages ? Il est vrai que les lions sont les rois des animaux, mais les rois sont souvent imbéciles. Essayons.
Il avait essayé. Une première fois, grâce à sa ruse, grâce à l’immobilité absolue qu’il avait su conserver, il avait échappé au lion, mais voilà qu’il était à nouveau en présence d’une bête féroce, voilà que c’était une panthère qui lui barrait la route, une panthère dont les chaudes prunelles s’allumaient de convoitises.
— Bougre de bougre, se répétait Fandor, pendant les quelques secondes où la bête le dévisageait, bougre de bougre, il y a quelque chose à quoi je n’avais pas songé, c’est que mon épaule et ma jambe saignent. Si le minet s’en aperçoit, je suis sûr de passer à l’état de souris.
La panthère pourtant, après avoir galopé, ne marchait plus qu’à pas lents. Son échine souple avait des ondulations traîtresses, son ventre rasait le sol, sa tête oscillait lentement, elle reniflait.
— Allons, saute, bébé, pensait Fandor, dont le cœur battait à grands coups. Si tu dois m’ouvrir la gorge, j’aime encore mieux que tu fasses vite.
Son vœu n’était pas formulé, que la panthère, ramassée sur elle-même, se détendait soudain, elle sauta à la gorge du journaliste.
— Fichu, se dit Fandor.
Mais, tandis que le corps souple de l’animal décrivait une courbe gracieuse, Fandor qui se roidissait terriblement pour ne pas s’enfuir, pour demeurer immobile, crut voir la panthère donner un coup de rein comme si elle eût voulu l’éviter. La bête avait-elle été frappée tout d’un coup par la rigidité du gibier ? Fandor fut frôlé seulement par les pattes du félin. Ébranlé, il tomba. Il eut encore le sang-froid de tomber sans quitter sa pose, de tomber d’un seul bloc, comme tombe une chose, comme tombe une statue.
Et la panthère s’éloigna.
Quelques secondes plus tard, Jérôme Fandor se releva. Une course insensée le transporta sur le perron monumental du château de Saint-Martin, Allait-il l’atteindre ? Devrait-il une fois encore tenter la périlleuse aventure de la fausse statue ? Et si la porte du château était fermée, s’il ne pouvait pénétrer dans la demeure ?
L’allée que suivait Fandor débouchait devant une grande pelouse occupant toute la largeur de la façade de l’habitation. Fandor était à peine à moitié de cette pelouse qu’il entendait derrière lui un galop terrible. Sans doute, il s’était relevé trop vite et il avait fait trop de bruit.
Il resta une cinquantaine de mètres. Il les franchit à une allure de champion olympique. Avant que la bête l’eût rejoint, il avait atteint le perron, il en escaladait les marches, il se jetait sur la porte d’entrée, il en saisissait la poignée. La porte était ouverte. Fandor eut juste le temps de se glisser à l’intérieur de la demeure mystérieuse et de claquer la porte sur lui. Le battant se refermait que, d’un bond prodigieux, la panthère venait se heurter rudement contre elle, puis retombait sur le sol avec un feulement furieux.
Fandor, déjà, avait retrouvé son sang-froid.
— Ça, ma petite, gouailla-t-il, tu peux gueuler si ça te fait plaisir, c’est toujours pas toi qui me mangeras, et ça c’est l’essentiel.
Fandor était-il hors de danger ?
20 – LE PACTE AVEC « LE MAÎTRE »
Fandor avait à peine fermé la porte en esquissant un pied de nez, que d’autres préoccupations lui faisaient oublier les dangers auxquels il venait d’échapper :
— Cette fois, je suis dans la place, murmura-t-il, et comme je ne sais pas l’accueil que l’on m’y réserve, attention.
Le vestibule dans lequel Fandor venait de pénétrer était, ainsi qu’il arrive souvent dans les vieux châteaux, une sorte d’énorme salle au plafond en ogive, aux allures de corps de garde et dans laquelle descendait un monumental escalier à double révolution dont la balustrade de pierre, ajourée, témoignait de splendeurs anciennes. Aucun meuble, aucune tenture, rien qui pût annoncer la présence de l’Homme.
— C’est le château des Mille et une Nuits, grommela Fandor, promenant soigneusement sur les murs le pinceau lumineux de sa lampe de poche, c’est le château de la Belle au Bois dormant, et pourtant je pourrais bien y vivre mon dernier nocturne.
« Bah, murmura Fandor après quelques instants d’hésitation, quand on est enfoncé dans la boue, il n’y a qu’un moyen d’en sortir : y patauger. En ce moment, je me fais assez l’effet d’être en plein dans un guêpier. Tâchons de nous y conduire le mieux possible, pour en sortir au plus vite.
Dédaignant les salles du rez-de-chaussée, il monta. Sa lampe de la gauche, un poignard de la main droite, car il n’avait pas retrouvé son revolver, Jérôme Fandor se mit en devoir de gravir les marches du grand escalier. Il ne prenait point la peine d’étouffer le bruit de ses pas. Au contraire, il semblait satisfait d’éveiller dans le château des échos qui se répercutaient dans le lointain des corridors.
— Si Fantômas m’entend, se disait le journaliste, il va certainement me sauter dessus. J’aime mieux tout de suite que plus tard, je préfère la lutte à l’attente.
Sur le palier du premier étage, Fandor cependant s’immobilisa brusquement.
— Ah, crédibisèque !
Cloué sur le sol, penché en avant, aux aguets, Fandor semblait éprouver une terrible émotion. Puis, il se précipita en furieux le long d’une galerie, qu’il parcourut sans aucune précaution, appelant :
— Hélène, Hélène.
Fandor, du palier, avait cru entendre une plainte continue. Au bout du corridor, en effet, à un angle de la galerie, il découvrit le carré lumineux d’une porte entrouverte. Fandor fut en un éclair à l’entrée de cette chambre. Il ne s’était pas trompé, c’était bien de là que partaient les sanglots.
Hélène, atrocement pâle, dans un grand lit, secouée par la fièvre, appelait, qui ?
— Hélène, Hélène, m’entendez-vous ?
Comment lui venir en aide ?
— Fandor, gémit-elle.
Or, tandis que le jeune homme jetait un regard rapide dans la pièce sommairement meublée, meublée en hâte, Fandor tressaillit.
Collé contre le mur, juste au-dessus de la petite étagère surchargée de flacons, il venait d’apercevoir un papier dont la suscription était surprenante au plus haut point :
Pour Fandor.
Fantômas savait donc qu’il allait venir.
Fandor lut d’abord sans comprendre.
La notice indiquait minutieusement les soins à donner à la jeune fille, les potions qu’il fallait lui faire prendre d’heure en heure, et dont les fioles étaient là, toutes prêtes.
Et Fandor, insoucieux du danger, se transforma en garde-malade.
La nuit passa lente et froide. Fandor était au chevet de la jeune fille. L’aube rougeoyante alluma des reflets sinistres dans la pièce. Puis le grand jour se fit. Des angélus tintèrent aux clochers voisins. Fandor était toujours au pied du lit d’Hélène, sa montre en main, surveillant le sommeil fiévreux de la malheureuse.