La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 37

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La mère Pié s’approcha de son homme, les deux poings sur les hanches, déjà prête à éclater en colère :

— Des idées que je m’fais ? répéta-t-elle, narquoise, des idées qu’tout le monde s’fait alors, car il n’y a plus personne à Saint-Martin qui ne pense comme moi. Je te dis que c’est un mystère ce qui se passe au château, et un mystère grave et qu’il n’en sortira rien de bon. Ah c’est des idées que j’me fais ? On a pas livré peut-être des caisses grandes comme des maisons ?

— Si. Mais…

— Et il n’est pas venu dans le pays, accompagnant ces caisses-là, des individus à drôle de mine ?

— Si encore, mais…

— Et le fils à la Jean-Pierre n’a pas vu un animal extraordinaire qui miaulait et sautait entre les peupliers ?

— Ben sûr que oui, la mère, mais…

— Tiens, tais-toi mon homme, va-t’en sarcler ton jardin, tu me ferais sortir de mon caractère. Ah, c’est des idées que je me fais ? eh bien, raisonne un peu puisque t’es si fort, dis-moi pourquoi que, quand on passe le long des murs du château, on entend des cris, des grognements et des beuglements, on dirait cent veaux ensemble. Et encore, des veaux ne crieraient jamais comme ça. Des idées ? mais tu ne sais pas que la petite du curé, la servante, la Sans-Nom, l’aut’ jour, elle s’est hissée sur le mur, histoire de voir ce qu’on faisait à l’intérieur, et ce qu’elle a vu lui a causé si grande frayeur qu’elle a couru à confesse tout de suite, et que, depuis, elle ne veut plus qu’on lui parle du château, à preuve qu’elle se signe tout le temps. C’est p’t-être bien ordinaire ? Tu trouves que c’est naturel ? Quand dans une propriété où il n’y a, comme qui dirait pas de maîtres, on entend des bruits extraordinaires ? Et le facteur ? C’est naturel aussi qu’il ait sur l’épaule une blessure qu’il ne sait pas seulement comment ça lui est arrivé ? Non, tais-toi le père, ne me réponds pas, va-t’en sarcler, ça vaudrait mieux, c’est pas possible d’être vieux comme toi et d’être si bête. Va-t’en et ne t’avise pas d’aller rôder du côté du château.

La mère Pié, pivota sur elle-même, partit armée d’un balai, faire un simulacre de nettoyage ; le père Pié, descendit au jardin.

Le bonhomme, tout en sarclant ses petits pois, réfléchissait cependant aux paroles de sa femme. C’était surtout par esprit de contradiction qu’il n’avait point voulu convenir qu’il se passait, en effet, très réellement d’étranges choses au château de Saint-Martin.

En réalité, le père Pié, tout comme sa femme, tout comme les habitants du village, était fort étonné, fort surpris par les phénomènes qui, depuis une semaine à peu près, semblaient se succéder dans la vaste et déserte propriété.

Jadis, le vieux château avait appartenu à une noble famille que tous les Saint-Martinais adoraient. Puis, un beau jour, des revers de fortune, la nécessité d’établir les jeunes filles avaient conduit les propriétaires à mettre en vente le château.

De grandes affiches qu’on lisait avec une émotion contenue, avaient annoncé la chose, le notaire du pays avait eu des hochements de tête significatifs, et trois mois après, le bruit s’était répandu que le château était vendu, acheté par un Allemand, disaient certains, par un Anglais, affirmaient certains autres, par une vieille dame, ajoutaient d’autres encore.

On n’en avait jamais rien su. Depuis la vente, du temps avait passé. La propriété était restée déserte, inhabitée. Le nouveau maître, ayant probablement traité à Paris, n’était point même venu l’habiter.

À Saint-Martin, la curiosité lassée, avait cessé de s’occuper du château. On estimait qu’il était maintenant désert pour toujours, qu’il achèverait de tomber en ruines, sans que jamais ses nouveaux propriétaires n’y revinssent.

En raison de cet état de choses, l’arrivée d’énormes caisses amenées à Saint-Martin, sur de robustes camions automobiles que conduisaient des hommes brusques et désagréables, refusant de répondre à toutes les questions, n’avait pas été sans causer une légitime émotion.

La chronique locale manquait souvent d’intérêt, l’arrivée des caisses l’avait nourrie, abondamment nourrie, et chacun s’était entretenu de ce qu’il pouvait y avoir derrière les planches solides qui les composaient.

Or, l’émotion causée par l’arrivée des grandes caisses, n’était pas calmée dans le pays, que des bruits étranges, fantastiques, prenaient naissance.

Des gens, des gens posés, des gens en place, tels que M. le sacristain, M. le facteur, et même M me la buraliste qui, cependant, avaient de l’instruction, affirmaient avoir été témoins de faits extraordinaires.

Longeant les murs du château, ils avaient entendu, disaient-ils, d’épouvantables hurlements, il leur avait même semblé qu’à l’intérieur du parc, des gens couraient, sautaient, bondissaient.

— Sûr et certain, affirmait la buraliste, je ne me suis pas trompée ! Tout contre le mur, le grand mur qui part des trois marronniers, j’ai entendu qu’on sautait et, en même temps, il y avait des cris, non, pas des cris, des hurlements, des grognements si vous le voulez, qui remplissaient la plaine.

Sur un thème pareil, les imaginations excitées des Saint-Martinais avaient naturellement brodé.

Après les racontars des premières personnes, d’autres avaient inventé sans doute des détails surprenants.

Des gars se vantaient d’être entrés au château en franchissant les murs de clôture, très élevés cependant.

Ils racontaient qu’ils avaient vu dans le jardin, dans le parc, des êtres fantastiques, des fantômes liés de chaînes, d’énormes chats qui grimpaient aux arbres, aussi de terrifiantes apparitions d’animaux gigantesques sur la description desquels ils ne s’entendaient pas d’ailleurs. Un beau jour, enfin, l’émoi avait été à son comble.

C’était une chose certaine, le garde champêtre le racontait le soir à l’auberge du carrefour, des coups de fusil avaient été tirés à l’intérieur du parc. Trois coups de fusil, trois coups de feu s’étaient succédé de très près, et avaient un instant, couvert les grognements qui maintenant, surtout le soir venu, se produisaient presque quotidiennement.

Enfin, mais de cela on n’en parlait guère, on le chuchotait plutôt avec un véritable effroi, il paraissait établi que, de la Motte, un village distant de dix-huit kilomètres, chaque soir, à minuit, une voiture se dirigeait vers le château, une voiture extraordinaire, pleine de chairs saignantes, conduite par un homme inconnu dans le pays. Le cheval en galopait toujours, et se rendait au château en laissant sur la route de larges gouttelettes de sang.

Or, tout en sarclant ses petits pois, penché sur le sol, clignotant des yeux, mâchant une chique savoureuse, le père Pié songeait à ces choses.

— C’est vrai, tout de même, pensait-il, qu’on ne sait pas ce qui se passe au château, et qu’il ne ferait pas bon sans doute se risquer à vouloir en franchir les murs.

Tandis que le père Pié monologuait, tandis qu’il rêvait, dans le calme de la matinée, un cri, un terrible cri traversait le silence du jardin.

Le père Pié, en dépit de son rhumatisme, de l’ankylose profonde de ses reins, se redressait :

— Hé ! la mère, c’est toi qui appelles ?

De la maison, la voix de la mère Pié répondait :

— Seigneur. Doux Jésus, viens-t’en vite, mon homme, c’est elle.

Le Père Pié, pour le coup blêmit terriblement.

En raison de toutes les histoires sinistres qui circulaient dans le pays, il n’était qu’à demi rassuré et se demandait pourquoi sa femme l’appelait avec une voix si tremblante, une anxiété si manifeste.

En trottinant, le père Pié rejoignit sa maison :

Mais il n’en avait pas franchi le seuil, que ses yeux s’arrondissaient, sa bouche s’ouvrait, ses mains se joignaient, et lui aussi, au comble de la stupéfaction, s’écriait :

— Ah bonne Vierge, qu’elle est belle.

Devant la mère Pié, tombée assise sur un banc placé devant l’âtre, se tenait une grande et jolie personne, qui n’était autre que l’élégante Irma de Steinkerque.

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