La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 35
— Ah, ah, fit le policier, eh bien, toutes mes félicitations. Qu’est-ce que vous avez ? qu’écoutez-vous donc ?
—Êtes-vous seul, monsieur Ronier ? N’avez-vous reçu personne depuis quelques jours dans votre villa ?
— De qui parlez-vous ? D’un homme ? d’une femme ?
— La visite d’un homme.
— Eh bien, non, à part mon vieux domestique et vous, je n’ai reçu aucun représentant du sexe mâle.
— C’est que nous sommes chargés d’une arrestation.
— Oh, oh, fit Juve, et de qui donc s’agit-il ?
— Il s’agit, commença Pérouzin…
Mais Nalorgne lui coupa brusquement la parole :
— Du cocher Prosper, Monsieur Ronier, déclara-t-il, du cocher qui jadis était placé chez cet infortuné M. Hervé Martel, dont vous avez dû apprendre la fin tragique.
— Je sais, en effet, qu’il a été assassiné, je l’ai lu dans les journaux.
En réalité, c’était par un télégramme de Fandor que le faux M. Ronier avait été mis au courant.
Les associés, cependant, paraissaient fort désireux d’écourter leur visite et brusquement, sans préambule, ils prirent congé de Juve :
— À bientôt, monsieur Ronier, meilleure santé.
Ils étaient à peine sortis qu’Irma Pié, dite de Steinkerque, réapparaissait. Elle était bouleversée :
— Ah monsieur Ronier, je vous demande bien pardon, mais je me suis mal conduite.
— Une fois de plus.
— Oui, je me suis permis d’écouter à la porte ce que vous disaient ces messieurs. Et j’ai appris que l’on cherchait toujours le cocher Prosper. Hélas, j’étais déjà au courant des poursuites exercées contre lui, mais ma conscience va sans doute m’obliger à parler bientôt, à tout dire à la justice.
— Ah, fit Juve, subitement intéressé, que savez-vous donc ?
— Je sais, fit Irma, où il se cache. C’est une coïncidence extraordinaire, mais Prosper se trouve à quelques kilomètres du village de Saint-Martin, où habite ma famille. Précisément, comme je vous le disais, monsieur Ronier, je compte y partir demain pour aller voir mes parents. Que croyez-vous que je doive faire ? Faut-il aller raconter à la Sûreté ce que je sais ? Dois-je attendre, au contraire ?
— Attendez, chère madame, ne révélez rien encore, toutefois, faites-moi un plaisir, au lieu de partir demain pour Saint-Martin, partez donc ce soir.
— Oh, ce sera bien volontiers, monsieur Ronier. Vous savez, n’est-ce pas, ce que je veux aller demander à ma famille, ce sont les papiers qui me permettront peut-être un jour de devenir la femme légitime de quelqu’un qui… de quelqu’un que je…
— Jean, aidez donc Madame, ordonna le policier, à revêtir son manteau. Elle est très pressée. Il faut qu’elle s’en aille tout de suite.
Sitôt la demi-mondaine éloignée, le domestique vint retrouver son maître.
— Jean, il n’y a plus une minute à perdre. Vous allez téléphoner aux Ambulances Urbaines, il faut tout de suite une automobile pour me transporter.
— Vous voulez partir ?
— Non, je pars.
— Paralytique comme vous l’êtes ?
— Paralytique comme je le suis.
— Et où allez-vous ?
— À trois cents kilomètres d’ici, au fin fond de la Normandie.
***
Cependant, Nalorgne et Pérouzin s’étaient disputés en sortant de chez Juve :
— Quand il y a une gaffe à faire, vous êtes là !
— Je ne comprends rien, répondit Pérouzin, à vos perpétuels mystères. Nous avons obtenu de notre chef, M. Havard, de changer notre mission et il nous a chargés, au lieu de courir après le cocher Prosper, d’aller procéder à l’arrestation de ce Jérôme Fandor, l’auteur désigné par la rumeur publique, du mystérieux attentat ourdi contre le sous-marin, l’assassin présumé de la malheureuse Hélène. Nous sommes venus chez Juve qui s’obstine à se faire appeler M. Ronier, afin de déterminer si Fandor n’était pas caché chez lui et voilà tout.
— Vous alliez dire à Juve, poursuivit Nalorgne, le but de notre visite ?
— Eh bien, où était le mal ?
— Toujours votre indiscrétion proverbiale, Pérouzin. Du moment que Fandor n’était pas chez Juve, nous n’avions pas besoin d’ébruiter le but de notre mission.
— Mais, qu’allons-nous faire, maintenant ?
— Mais nous allons prendre le premier train pour Cherbourg. C’est là que doit être l’assassin, c’est là que nous l’arrêterons.
— Dieu vous entende, Nalorgne.
***
— Tiens, qui vient là ? En face de moi, dans cette glace ? Quel est donc ce monsieur si brun, avec cette grosse moustache ?
Le promeneur qui monologuait de la sorte éclata soudain de rire :
— Parbleu, c’est moi. Il faut pourtant que je m’y fasse. C’est égal, je suis joliment bien grimé puisque je ne parviens même pas à me reconnaître lorsque je me rencontre ou lorsqu’un miroir me renvoie mon image.
Le personnage qui monologuait ainsi devant une devanture de magasin, dans la rue principale de Cherbourg n’était autre que Jérôme Fandor. Le journaliste était méconnaissable en effet. Fandor avait teint sa chevelure blonde en noir d’ébène. Il avait peint les sourcils, peint le visage, grossi sa moustache en y ajoutant de grosses touffes de poils, si bien que le jeune homme paraissait à présent âgé d’au moins quarante-cinq ans, soit quinze ans de plus que son âge.
— Parfait, parfait, se répétait Fandor, puisque moi-même je m’y trompe, les autres ne seront pas plus malins que moi. Grâce à ce savant camouflage je m’en vais pouvoir poursuivre mes enquêtes au milieu de ceux qui me recherchent, et cela en toute sécurité.
— Pardon, monsieur, le cent cinquante de la rue de la Marine, s’il vous plaît, c’est où ?
Or, qui interrogeait ainsi l’ami de Juve camouflé en quidam ? qui, sinon les inénarrables Nalorgne et Pérouzin.
— Bon, se dit le journaliste, en voilà une rencontre. Qu’est-ce qui peut bien amener mes deux gaillards rue de la Marine ? et au numéro cent cinquante, mon domicile, encore ?
Déjà, Pérouzin, le spécialiste des gaffes, s’était chargé de répondre :
— Nous recherchons un malfaiteur car nous sommes agents de la Sûreté de Paris.
— Et ce malfaiteur s’appelle ?
Nalorgne voulut empêcher Pérouzin de répondre. En vain.
— Il s’appelle Jérôme Fandor.
— Comme ça se trouve, dit Fandor, avec le foudroyant esprit d’à propos dont il avait déjà donné tant de preuves. Moi-même je suis détective attaché à la Sûreté de Cherbourg.
— Un collègue, fit Pérouzin.
— Vous l’avez dit, fit Fandor, lui rendant son shake hand, messieurs, je suis décidément charmé de faire votre connaissance.
— Monsieur et cher confrère, demanda Nalorgne, est-ce que par hasard, vous vous occuperiez de la même affaire que nous ?
— Si je m’en occupe, mais je ne fais que ça. J’ai même des renseignements très précieux à vous communiquer. Nous n’avons rien à craindre. Le personnage que vous recherchez ne quittera pas Cherbourg de si tôt. Et si vous voulez m’en croire, nous allons entrer dans ce petit café, et sceller, en cassant le cou à une bonne bouteille, l’entente cordiale de la Sûreté parisienne et de la police de Cherbourg.
Après avoir protesté pour la forme, Nalorgne et Pérouzin acceptèrent. Une fois attablé avec les deux associés, Fandor demanda :
— Avez-vous déjà pris contact avec les autorités de la ville ?
— Pas encore. Nous pensions aller voir le commissaire de police d’ici un instant.
— Inutile. Sa femme est en train d’accoucher, justement. On ne l’a pas vu au bureau depuis quarante-huit heures, et après, faudra arroser ça. Mais puisque vous n’avez vu personne en ville, comment avez-vous donc appris l’adresse de Jérôme Fandor ?
— Ah çà, déclara Pérouzin, c’est parce que nous ne sommes pas des imbéciles.
— Je ne l’ai jamais cru, assura Fandor, mais encore ?
— Eh bien, déclara Nalorgne, c’est à la Poste qu’on nous a renseignés. Nous avons fait connaître notre qualité au receveur et, sans lui dire le motif pour lequel nous désirions rencontrer M. Fandor, nous nous sommes fait indiquer son domicile. Il y viendra d’ailleurs bientôt et c’est là que nous le pincerons.