La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 32

Изменить размер шрифта:

Le lieutenant de Kervalac colla le visage au hublot de la tourelle. Le manomètre était cassé, aucun appareil ne lui permettait de se rendre compte des mouvements de son navire. Les projecteurs électriques eux-mêmes s’étaient éteints. Allait-on remonter ? allait-on rester dans la vase ?

Voix du second maître :

— Tout est paré, mon commandant. Mais je viens de casser les boulons. Un peu plus, les plombs ne fonctionnaient pas.

— Laissez aller.

Les plombs lâchés, le sous-marin vibra, frémit. Le long de sa coque de bronze aux formes effilées un glissement lent se fit entendre. On eût dit que quelque chose de soyeux frôlait la coque, qu’une caresse la faisait frissonner.

— Tout le monde à l’avant, cria le commandant, se persuadant que le navire avait dû toucher par l’arrière.

Mais un hourrah lui répondait. Avant même que la manœuvre eût été exécutée, brutalement, L’Œufs’était redressé. Échappant à l’emprise des vases, il bondit à la surface avec une vitesse sans cesse accrue, à la façon d’un ballon qui s’enlève.

— Hourrah !

Les neuf hommes de l’équipage, qui, tout à l’heure, n’avaient même pas paru se rendre compte que la mort les tenait dans ses mains décharnées, applaudissaient à la remontée du sous-marin.

Très pâle, le lieutenant se contenta de donner les ordres nécessaires :

— Aux machines, battez avant.

— Les machines ne fonctionnent plus, commandant.

— Très bien, timonier, les gouvernails de plongée à l’altitude.

— Les gouvernails sont brisés, commandant.

Cela, c’était la réponse suprême. Dans quelques secondes, L’Œufatteindrait la surface des eaux, mais ce ne serait plus l’élégant et rapide navire que le lieutenant de Kervalac était si fier de commander, mais une épave.

— À quelle heure la mer basse ?

— À minuit, commandant.

— Fort bien. Nous sommes en pleine mer descendante, nous irons au large.

Il ajouta, pour rassurer l’équipage :

— J’aime mieux ça.

Le commandant de Kervalac n’avait point fini de parler, que L’Œuffit un tel bond qu’il renversa matelots et officiers. Le petit bateau, émergeant des profondeurs de la grande rade, avait dû arriver à une extrême vitesse à la surface, sauter presque à la façon d’un cachalot, puis retomber. Maintenant, la houle le prenait, le balançait, le secouait comme un bouchon.

Le lieutenant de Kervalac, résigné, se cramponnait au blockhaus, demanda :

— Le panneau d’avant fonctionne-t-il encore ?

— Oui, commandant.

— Qu’un homme de bonne volonté, alors, essaie de monter sur le pont et de faire des signaux. On nous verra peut-être des pontons de renflouement.

Un homme de bonne volonté ?

Les dix marins s’avancèrent.

— L’honneur au plus jeune, commanda en souriant le lieutenant de Kervalac. Le Goffic, allez prendre le poste de vigie.

— Bien, commandant.

Dans l’angoisse du naufrage, dans le souci des ordres à donner pour sauver le bâtiment, pour sauver les hommes, le jeune officier avait oublié sa passagère. Le présence de cette femme lui revint soudain à l’esprit. Qu’était-elle devenue ? qui donc avait tiré ce coup de revolver qui avait précédé d’une seconde la découverte de la torpille ?

— Visitez la coque, commanda le lieutenant, voyez les cloisons arrière, Premier maître, assurez-vous de la personne qui nous accompagnait.

Tandis que les hommes enlevaient le plancher à claire-voie formant le fond du sous-marin pour s’assurer que nulle voie d’eau ne s’était formée, le premier maître se rendait au compartiment arrière du submersible.

Et c’est avec une angoisse nouvelle que le lieutenant de Kervalac l’entendit jurer.

— Quoi ? qu’est-ce encore ?

— Notre passagère. Elle s’est tuée. Elle s’est fichu un coup de revolver dans la poitrine.

Le matelot ne se trompait point. Au moment même où la malheureuse Hélène avait aperçu les caisses immergées qui lui apprenaient le nouveau crime de son père, elle n’avait pu supporter son désespoir, la honte.

La jeune fille, en une seconde, avait eu l’impression que ses plus chers espoirs étaient ruinés une fois encore, que d’insurmontables obstacles allaient encore la séparer de Fandor, que si elle revenait vivante à Cherbourg, il lui faudrait trahir son père ou son fiancé.

Hélène n’avait pas hésité : elle avait tiré un revolver de sa poche, revolver qui ne la quittait jamais, son seul espoir d’une paix dernière. Elle avait fait feu. Et, au moment même où le matelot annonçait : « Une torpille, mon commandant », Hélène s’écroulait sur le plancher du sous-marin, la poitrine ensanglantée.

Le lieutenant de Kervalac, cependant, en entendant annoncer que la passagère s’était tuée, avait sursauté.

— C’est affreux. Est-elle morte ?

— Elle respire encore, mon commandant, mais c’est tout juste.

— Portez-la dans la chambre des machines. Faites au mieux.

Or, de violents coups ébranlaient la carcasse sonore. La vigie signalait quelque chose :

— Sauvés, nous sommes sauvés, cria soudain le jeune commandant, on nous a vus.

Le lieutenant de Kervalac, en effet, par les vitres du blockhaus, apercevait une barque arrivant, à force de voiles, droit sur L’Œuf.

C’était assurément un des canots accrochés aux pontons de renflouement, un homme le manœuvrait, il avait dû être témoin de l’accident de la torpille –  si c’était un accident —, il avait vu remonter le sous-marin, s’était douté qu’il était désemparé et maintenant il venait à son secours.

Le lieutenant de Kervalac, le premier mouvement de joie passé, retrouvait tout son sang-froid. C’était d’une belle voix de commandement qu’il ordonnait :

— Allons, les enfants, tout le monde à son poste et du calme. Mécaniciens, prenez d’abord la blessée. Passez-la à Le Goffic, il faut qu’elle embarque la première. Quartier-maître, préparez un filin, on va nous donner la remorque, nous irons faire l’accoste le long des pontons.

***

— Hisse !

— Laisse aller !

Une corde jetée du sous-marin fut habilement saisie par l’homme qui manœuvrait la petite barque. En un tour de main, celui qui venait sauver l’équipage de L’Œufavait enroulé le cordage au pied du mât de sa barque. L’Œufet le bachot furent bientôt bord à bord.

— Un accident ? demanda le matelot.

— Un accident, répondit Le Goffic.

Et mis au courant par les camarades qui lui parlaient par le panneau, Le Goffic ajouta :

— Attends, mon gars, tu vas nous donner la remorque tout à l’heure, mais pour plus de sûreté, on va d’abord te passer quelqu’un. Fais attention, c’est une dame et elle est blessée.

C’était une manœuvre extraordinaire, folle d’imprudence, merveilleuse de témérité que Le Goffic réussit avec l’aide de ses camarades. Hélène, sans vie, sans mouvement, délirante, fut hissée par le panneau. Les marins bretons, s’agrippant à la coque de L’Œuf, trouvèrent prise sur le bronze lisse et luisant, réussirent enfin, en dépit des lames moutonneuses, en dépit de la houle grandissante, à passer la blessée à bord de la barque.

— File du câble, dit le sauveteur, ou bon Dieu, on s’en va chavirer.

La houle grandissait en effet. De minute en minute, les lames se creusaient davantage et elles commençaient à se coiffer de blanc, à mettre ce bonnet d’écume qui présage la formation des tempêtes, des vagues déferlantes et mauvaises.

Le Goffic, dans le vent, transmettait les ordres qu’il recevait de l’intérieur du sous-marin :

— Je te file dix brasses de corde. Arrime-nous à ton arrière et souque ferme, tâche de nous faire ranger près des pontons.

La réponse du matelot sauveteur se perdait dans le vent, mais il avait dû comprendre, il orienta sa voile, le sous-marin avança.

Or, tandis que sur les appels pressants du commandant de Kervalac, Le Goffic, trempé, épuisé, redescendait à l’intérieur du bateau, il se passait une scène étrange :

Оригинальный текст книги читать онлайн бесплатно в онлайн-библиотеке Knigger.com