La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 31
— Les panneaux sont fermés ?
— Oui, commandant.
— Eh bien, mes enfants, ouvrez les vannes, inclinez les gouvernails, en plongée par fond de dix mètres.
Hélène sentit le navire s’affaisser, couler sous elle, cependant qu’un bouillonnement marquait sa disparition de la surface des flots, cependant que l’on entendait les réservoirs formant contrepoids s’emplir à grands fracas. Étrange, épouvantable, angoissant au suprême degré. Hélène avait un peu pâli, elle serrait les dents, mais ne bronchait pas. Qu’allait-elle voir ? Fandor avait-il eu raison ? Ah, L’Œufpouvait s’enfoncer dans la profondeur opaque des eaux glauques, L’Œufpouvait couler dans le grand océan, ce n’était pas à cela que songeait la fille de Fantômas. Elle se demandait si son fiancé avait eu tort ou raison, si c’était son père, si c’était l’infernal Fantômas, l’auteur des drames qui bouleversaient encore une fois sa vie, qui menaçaient d’éloigner d’elle, une fois de plus, le bonheur. Qu’allait-elle voir ? Après dix minutes peut-être de marche silencieuse, soudain le lieutenant de Kervalac cria un ordre :
— Le projecteur avant droit, pleins feux.
Le visage collé au hublot, Hélène vit tout un fourmillement d’êtres surprenants, des bancs de poissons qui se sauvaient, des poulpes qui tordaient leurs tentacules, des méduses incendiées de mille reflets, une forêt sous-marine dans laquelle L’Œufglissait à vive allure. La jeune fille, toutefois, n’eut pas longtemps le loisir de contempler le paysage de rêve éclairé par le projecteur.
Un ordre résonna :
— Un quart à tribord, les machines à demi-vitesse.
Le petit navire pivota sur lui-même, ralentit sa marche et soudain, dans le silence de sa coque d’acier, une exclamation étonnée retentit :
— Ah sapristi, que diable cela veut-il dire ?
Le lieutenant de Kervalac, de son poste de commandement, avait aperçu quelque chose d’extraordinaire, quelque spectacle surprenant :
— Timonier, ordonnait-il, passez-moi la barre.
Le lieutenant, au gouvernail, manœuvra lentement, savamment, et bientôt, dans l’encadrement rond de son hublot, Hélène vit ce qui avait motivé la surprise de l’officier. L’Œufvenait de parvenir à la hauteur de l’épave du Triumph. Le vaisseau coulé avait dû toucher le fond en s’inclinant sur le flanc. Mais il était tombé sur un fond de vase, et la vase, déjà, l’avait englouti, à tel point que seuls les mâts apparaissaient, dressés dans l’eau, comme plantés sur le fond même de la rade.
Et le lieutenant de Kervalac, du haut de sa tourelle, criait à sa passagère :
— Regardez donc, mademoiselle, c’est extraordinaire. C’est invraisemblable, ce que nous voyons. Le Triumphest déjà à cinq mètres sous la vase, et pourtant le sauveteur norvégien prétendait encore aujourd’hui même que ses scaphandriers atteignaient la cale du bâtiment. Il en donnait pour preuves les caisses d’or repêchées. Miséricorde. Je me demande comment il a pu faire pour les retirer, ces caisses d’or ? En haut, délestez du quart, laissez battre à demi-vitesse.
Le sous-marin, allégé par la manœuvre, regagna la surface.
— Stop, commanda le lieutenant.
Le navire s’immobilisa lentement et de nouveau le lieutenant de Kervalac attira l’attention de la fille de Fantômas :
— Ah bougre de bougre, mais c’est encore plus extraordinaire que n’importe quoi. Regardez, mademoiselle, nous sommes à côté des pontons de renflouement, et, tenez, voyez-vous, en dessous du plus gros, à droite, il y a cinq caisses qui se balancent à bout de cordes. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?
Le lieutenant parlait en toute tranquillité d’âme, car il était à coup sûr fort éloigné de deviner le trouble où ses paroles jetaient sa passagère.
Ainsi, c’était vrai, le sauvetage des caisses d’or était impossible puisque le Triumphétait envasé. Les caisses d’or ramenées à la surface ne provenaient pas de ses cales. Fandor avait eu raison.
— Vous voyez, mademoiselle ? criait le lieutenant de Kervalac.
Mais une détonation l’interrompit, le claquement que produit un coup de revolver.
Un matelot posté à l’un des hublots de l’arrière hurlait déjà, affolé :
— Commandant, une torpille vient sur nous. Trajectoire directe. Commandant, on est foutu.
Ils étaient neuf, et tous les neuf, au mot de « torpille », eurent devant les yeux la vision effroyable de la mort affreuse qui les menaçait. Si la torpille atteignait L’Œuf, ce serait l’explosion formidable, le navire broyé, les hommes déchiquetés, à moins encore que la coque du petit bâtiment pût, par miracle, résister. Mais alors le sous-marin serait atteint dans ses œuvres vives. Il coulerait et, sur le fond de vase tout à l’heure exploré, il irait s’engloutir, vivant cercueil.
— À vos postes ! hurla Kervalac, sans même que sa voix tremblât. À la barre, timonier !
Puis il se précipita, il traversa la cloison étanche de l’arrière, courut au hublot d’où la vigie avait signalé la torpille. Elle n’était plus loin. Sa trajectoire, facile à déterminer, devait l’amener à frapper L’Œufau beau milieu de sa coque. Son mécanisme d’horlogerie fonctionnait à merveille, elle avançait, elle progressait, elle était à quarante mètres, à trente, à vingt. La mort était inévitable. Le lieutenant de Kervalac savait que, dans la position où il était, L’Œufne pouvait se dégager. Au-dessus de lui, se trouvait l’un des pontons de renflouement. Devant lui, les cordes lestées par les caisses formaient une sorte de filet infranchissable. En dessous du sous-marin, enfin, les mâts du Triumphpointaient, prêts à le défoncer s’il se laissait couler.
La mort était de tous côtés. Le lieutenant de Kervalac choisit la mort brutale et franche de la torpille.
— Les vannes ouvertes en grand, hurla-t-il, les machines à toute vitesse arrière.
Alors, providentiellement, la manœuvre réussit. En même temps que le sous-marin coulait, il dévia obliquement. Dans sa chute, L’Œufheurta l’un des mâts du Triumph, mais il réussit à le briser. La torpille frôla le petit bateau, ne l’atteignit point, et, à l’instant précis où L’Œuftoucha la vase, s’y engloutit à moitié, l’explosion formidable eut lieu. Le sous-marin fut secoué en un tourbillon irrésistible, la machine s’arrêta, faussée, le gouvernail cessa d’obéir, les hommes, jetés les uns sur les autres hurlèrent d’effroi.
Cramponné au blockhaus, le lieutenant de Kervalac cria un dernier ordre :
— Lâchez les plombs ! Lâchez les plombs !
16 – LE SUICIDE D’HÉLÈNE
Tout sous-marin comporte en effet un certain nombre d’appareils de sûreté, prévus par les ingénieurs pour remédier, dans la mesure du possible, aux accidents toujours à craindre. D’ordinaire la plongée s’effectue, tant en raison d’un alourdissement obtenu par le remplissage de soutes à eau, que par la manœuvre des gouvernails de profondeur. D’ordinaire, un sous-marin revient à la surface en refoulant, au moyen de pompes puissantes, l’eau garnissant ses soutes, en manœuvrant les gouvernails de plongée, mais on a prévu le cas où, les appareils ne fonctionnant plus, il peut être nécessaire que le bateau soit rapidement ramené à la surface de la mer. C’est pour cela que tout sous-marin comporte, solidement maintenus à sa quille, de très lourdes barres de plomb qui constituent, sous un volume réduit, un lest considérable. Une manœuvre facile permet de l’abandonner. Il importe peu, alors, que les réservoirs d’eau soient ou non évacués, il importe peu que les pompes fonctionnent, du moment que le plomb est lâché, le navire remonte tel un bouchon.
— Lâchez les plombs, avait crié le commandant de Kervalac, et les marins de L’Œuf, au milieu même de leur terreur bien compréhensible, gardaient encore assez de confiance en leur chef pour exécuter cet ordre. Dans le sous-marin désemparé, au milieu des instruments brisés, les hommes s’étaient précipités pour desserrer les boulons. Tandis qu’ils lâchaient les plombs, le commandant de Kervalac se hissait dans le petit blockhaus, son poste de commandement. La violence de l’explosion l’avait jeté contre le tableau de bord. Son front saignait, balafré, mais il ne sentait pas la douleur. L’angoisse lui tenaillait le cœur. Qu’allait-il se produire ? L’Œufallait-il se relever, bondir à la surface ? Était-ce le salut, ou bien, dans quelques secondes faudrait-il se résigner ? Tombé de haut, précipité avec force, L’Œufallait il s’enliser dans la vase ? Prisonnier du sol mouvant, allait-il demeurer là, par trente brasses de fond ?