La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 30

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15 – SUR « L’ŒUF »

Fandor tira sa montre de sa poche, hésita une seconde, puis se décida à entrer dans le petit café de modeste apparence que désignait à l’attention des passants une enseigne tricolore : «  Au Vaisseau Amiral ».

— Cinq heures, monologuait le jeune homme, je suis en avance d’une bonne demi-heure, et je vais m’ennuyer comme un rat mort en attendant Hélène. Mais qu’y faire ?

— Monsieur désire ?

— Rien du tout, répondit Fandor au garçon, donnez-moi un café pour vous faire plaisir.

— La verseuse pour un, à l’as.

Fandor était plongé dans de profondes méditations, lorsqu’un second serveur s’approcha de lui, la cafetière en main :

— Nature, monsieur ?

— Eh, nature, si vous voulez.

La tasse remplie, Fandor pensait enfin pouvoir être tranquille. Il se trompait, il lui fallut encore refuser un alcool.

— On ne me fera jamais croire, avait dit le sauveteur, qu’on peut retirer les caisses d’or du trou d’eau où elles sont tombées. Si le Norvégien ramène des caisses à la surface, c’est qu’il procède par supercherie, mais je ne croirai jamais que ce sont les caisses d’or du Triumphqu’il repêche.

Pour Fandor, cela avait été le trait de lumière.

— Admettons, se disait le journaliste, que Fantômas soit, comme il est indubitable, le sauveteur norvégien. Admettons, comme l’affirme Pastel, que les caisses d’or du Triumphsoient impossibles à repêcher. Que va faire Fantômas ? Son contrat dit : deux cent mille francs par caisse d’or. Hé, hé, la somme en vaut la peine. Si Fantômas pouvait immerger de la fausse monnaie, repêcher cette fausse monnaie, puis réclamer pour chaque caisse la somme convenue, le joli bénéfice. Sans risque d’ailleurs car personne ne pourrait avoir l’idée que les caisses repêchées ne sont pas les véritables caisses expédiées de New York. Il est certain que Fantômas a pris toutes ses précautions pour que ses caisses à lui soient absolument identiques aux véritables.

Fandor était d’autant plus convaincu que le Roi du Crime devait être le fameux Norvégien, que le matin même, à la direction du port, Fandor avait appris que l’on allait faire sauter l’épave du Triumphqui gênait la navigation. Or, le pseudo sauveteur norvégien, ce sauveteur que Fandor ne pouvait pas rencontrer, car il restait perpétuellement à bord de ses pontons, ce sauveteur-là avait fait de pressantes démarches pour obtenir que l’on reculât la date de l’explosion du Triumph.

— Parbleu, se disait Fandor, c’est Fantômas, et il est naturel qu’il cherche à faire durer.

Fandor revoyait dans son esprit l’enchaînement logique par lequel il s’efforçait de faire cadrer tous les faits qui se produisaient, lorsqu’il sursauta, arraché à sa rêverie par le contact d’une petite main qui se posait sur son épaule :

— Vous, Hélène ?

— Moi, Fandor.

Un regard muet, un long regard s’échangea entre les deux jeunes gens qui, depuis quelques jours, depuis la mort du malheureux Hervé Martel, se voyaient avec facilité et cependant ne s’habituaient pas à pouvoir se rencontrer librement, à pouvoir s’aimer en paix, sans crainte d’extraordinaires cataclysmes. Le courtier mort, Hélène avait été priée par le fondé de pouvoirs d’Hervé Martel, qui avait provisoirement pris la charge en main, de demeurer à Cherbourg pour le tenir au courant des opérations de sauvetage tentées. Fandor, de son côté, s’était multiplié, avait fait déménager la jeune fille, l’avait installée dans une maison de famille tranquille. Et, depuis lors, des jours extraordinaires passaient, où Fandor et Hélène se rencontraient souvent, discutaient âprement du passé, s’efforçaient de prévoir l’avenir et sentaient le présent leur échapper.

— Qu’avez-vous ? Ne niez pas, vous êtes aujourd’hui plus préoccupé que ces jours derniers ? demandait Hélène à Fandor.

— Ma pauvre amie, il ne faut pas m’en vouloir, mais j’ai peur, j’ai peur de ce qui va se passer.

— Peur de quoi ?

— De vous faire mal.

— Vous allez me causer un chagrin ? Pourquoi ? Comment ? Mon Dieu, est-ce que vous sauriez quelque chose sur mon père ? Vous croyez que mon père est mêlé au meurtre d’Hervé Martel ? Vous croyez que Fantômas agit ou va agir ? Allons, répondez.

— Je suis certain de ce que j’avance, commença Fandor.

Il dit alors tout ce qu’il soupçonnait des machinations du faux Norvégien et des caisses d’or camouflées.

— Me croyez-vous ? demanda-t-il pour finir, et, d’une voix vibrante, Hélène répondit :

— Non, Fandor, pas du tout.

Et la jeune fille était sincère. Ce qu’inventait Fandor, ce que Fandor imaginait, Hélène ne pouvait pas l’admettre. Cela lui semblait à la fois trop monstrueux et trop compliqué.

— Je vous croirais, Fandor, si je pouvais admettre que mon père eût su d’avance que le Triumphallait couler. Il aurait pu, alors, je l’admets, préparer la fausse monnaie, mais vous oubliez que le naufrage de ce bateau est dû au gros temps, à la mer démontée, que mon père, par conséquent, ne peut pas en être rendu responsable, et qu’il n’aurait pas eu le temps de préparer la fausse monnaie. Je vous croirai, Fandor, quand j’aurai vu, de mes yeux vu, le sauveteur, et quand je me serai persuadée que c’est…

— Écoutez, Hélène, je tiens à agir loyalement avec vous. Ce que je vous ai dit, j’en suis certain, mais je n’en ai pas de preuve, Cette preuve, je vais pourtant vous la fournir. Écoutez-moi bien. Vous savez que la direction du port veut faire sauter l’épave du Triumph. Ce soir même, d’ici une heure, un sous-marin, L’Œuf, va aller reconnaître la situation et préparer l’opération. Au prix de mille difficultés, j’ai obtenu de Paris l’autorisation d’embarquer à bord. Il est certain que celui-ci passera sous les pontons de renflouement. Je ne doute pas qu’au cours de sa croisière, quelqu’un de prévenu ne puisse acquérir la certitude rigoureuse de ce que j’avançais tout à l’heure. Eh bien, voulez-vous embarquer à ma place, aller à ma place chercher ces preuves que vous me demandez ? Je ne vous demande pas de m’aider à m’emparer de votre père, je vous demande d’aller loyalement acquérir la conviction que je n’invente rien, que je ne me suis point trompé, que j’ai raison de le poursuivre.

***

Hélène venait d’arriver à bord du sous-marin L’Œufet le lieutenant de Kervalac, bien que surpris de l’autorisation donnée par le ministère de la Marine, n’avait fait aucune difficulté à l’admettre dans son petit bâtiment, étant assez amusé par l’idée qu’il allait piloter une femme sous les flots.

— Mademoiselle, expliqua le lieutenant, conduisant Hélène à l’un des compartiments étanches de l’étroit bâtiment, vous n’avez certainement jamais effectué de plongée. Vous m’excuserez par conséquent de vous donner quelques indications sur la façon dont vous devez vous acquitter de votre rôle de passagère. Vous allez vous installer sur ce pliant, je regrette de n’avoir pas mieux à vous offrir, mais notre installation est rudimentaire. Par ce hublot, vous pourrez observer, sur la droite du bâtiment, tout ce qui se passera, car L’Œuf, que j’ai l’honneur de commander, est muni de puissants projecteurs qui permettent d’explorer le fond de la mer assez facilement. Enfin, je vous recommande de ne pas bouger, quoi que vous entendiez, sauf si je vous en donne l’ordre. J’ajoute que vous ne courez aucun risque, que vous ne devez éprouver aucune émotion, mais enfin deux prudences valent mieux qu’une, et il n’arriverait jamais d’accident à bord des sous-marins si chacun exécutait exactement les consignes.

Le lieutenant de Kervalac, abandonnant sa passagère au poste qu’il lui avait assigné, se dirigea vers le blockhaus où le périscope allait lui permettre de diriger son bateau.

— En avant, doucement.

L’hélice trépida, la coque de noix gagna le milieu de la passe.

— En avant, à toute allure.

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