La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 3

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— Monsieur, le soupçon suffit, il me serait impossible de rester une minute de plus.

— Là, là, doucement, ne vous emballez pas. Je n’ai rien dit, en somme, qui soit de nature à vous vexer. Je vous ai demandé des renseignements. Tout à fait naturel de ma part.

— Sans doute, mais ces questions, aujourd’hui…

— Voyons, Mademoiselle, je vous en prie, n’insistez pas. Ces titres, je les retrouverai. Oui, je les retrouverai certainement.

Et pour couper court, Hervé Martel, brusquement, changea de sujet :

— Mademoiselle, au lieu d’écrire la lettre que je vous ai dictée pour MM. Nalorgne et Pérouzin, je vous prie de leur téléphoner de passer me voir, sans faute ce soir, ici, chez moi, à partir de six heures. Je compte que la commission sera faite. C’est très important.

— Vous pouvez y compter, monsieur, dit la jeune fille, qui paraissait avoir repris tout son calme.

2 – NALORGNE ET PÉROUZIN, CONTENTIEUX

— Un prospectus, un autre prospectus. Une demande d’emploi. Voici encore une dame qui voudrait emprunter de l’argent sur garanties. Parbleu, si c’était si facile que ça, nous serions les premiers à le faire. Une feuille de couleur. Ah, ce sont les contributions. Tiens, un mot de Prosper. Vous savez bien, Pérouzin, Prosper, le cocher de notre client, M. Hervé Martel. Encore un solliciteur. Décidément, il n’y a que de ces gens-là.

Le personnage qui monologuait ainsi s’arrêta soudain. Son interlocuteur, qui l’écoutait jusqu’alors sans mot dire, venait de l’interrompre d’un signe de la main.

— Je crois qu’on a sonné, dit l’un des deux hommes.

Nalorgne et Pérouzin, les deux associés, occupaient, rue Saint-Marc, à l’entresol d’une vieille maison, un appartement sur la cour, étroit, misérable, sombre, obscur, dans lequel, depuis quelques semaines, ils avaient installé un bureau d’affaires.

Une plaque sur la porte portait Contentieux, ce qui laissait place à l’imagination.

— Un client ? avait murmuré Pérouzin, enclin à l’optimisme, mais ayant cependant une intonation interrogative.

— Hum, ce serait bien étonnant, dit Nalorgne.

Cependant, par la porte entrebâillée qui faisait communiquer les bureaux des deux associés avec le couloir obscur constituant l’antichambre de l’appartement, la tête hirsute d’un petit groom apparut. Le gamin s’introduisit à moitié dans la pièce, et, sans le moindre respect pour les formules protocolaires, annonça d’une voix déjà grave, déjà éraillée, d’une voix de bon gavroche :

— C’est quelqu’un qui demande à vous parler.

— Lorsqu’un visiteur, expliqua Nalorgne, doctoral, demande à être introduit auprès de ces messieurs, – et ces messieurs c’est nous, naturellement, – vous devez d’abord demander de la part de qui, puis ensuite quel est le motif de la visite ? Avez-vous ces renseignements, Charlot ?

— Non, fit le groom en secouant la tête, je n’ai rien demandé au type qui est venu. Mais ça m’a l’air d’un homme très bien. Il a des bagues à tous les doigts et un costume tout neuf.

— Charlot, nous ne vous demandons pas votre opinion sur la clientèle que nous recevons. Pour cette fois, vous n’insisterez pas, et puisque nous ne savons pas le nom de ce monsieur, nous nous contenterons de le lui demander tout à l’heure, lorsque, sur un coup de timbre, vous serez avisé qu’il faut l’introduire dans notre bureau. Faites attendre.

Le groom, impressionné malgré lui par l’attitude de ses patrons, se retira en traînant les pieds sur le tapis qui montrait la corde.

— Quel peut bien être ce visiteur ? demanda Nalorgne. Pourvu que ce ne soit pas un créancier.

— Mais non, mais non, vous vous faites toujours des idées. Un créancier serait entré d’autorité dans notre bureau, et ce monsieur veut bien attendre.

— Il ne faut pas le faire droguer.

— Vous n’y pensez pas, rien n’impressionne les gens comme de les faire attendre, lorsqu’ils désirent vous voir. Ils s’imaginent qu’on est très occupé. Cela produit un excellent effet.

— Sans doute, sans doute, reconnut Pérouzin, mais supposez qu’il se lasse et qu’il s’en aille.

— Nous l’entendrions bien, et, dans ce cas, on le ferait aussitôt entrer. D’ailleurs, ajoutait-il, notre bureau n’est pas en état de le recevoir.

Agissant sous les yeux stupéfaits de son associé, Nalorgne, avec une activité fébrile, mettait, comme il l’avait dit, « le bureau en état de recevoir le client ». En fait, il entrebâillait les tiroirs, en sortait à moitié des dossiers, empilait sur son bureau des feuilles de papier toutes couvertes d’écriture, qu’il étala négligemment. Il tira d’un casier tout un paquet de vieilles enveloppes, les passa à Pérouzin, en lui recommandant :

— Mettez ça en face de vous. Le client croira que c’est notre courrier de ce matin. Et les hommes d’affaires qui reçoivent un volumineux courrier font toujours bonne impression.

Mieux encore, Narlogne prit dans son sous-main une sorte de plaque en porcelaine sur laquelle figurait en lettres rouges l’inscription : «  Caisse ». Puis il alla au fond de la pièce et, au moyen de deux crochets, fixa la pancarte sur la porte d’un placard.

Cette mise en scène réglée, Nalorgne, après un dernier coup d’œil général, dit à son associé :

— Maintenant, vous pouvez faire entrer.

Avant d’atteindre l’obscur entresol de la rue Saint-Marc, Narlogne avait été prêtre, et Pérouzin avait exercé dans une petite ville de province, les fonctions de notaire. Puis l’un et l’autre, à la suite d’événements sur lesquels ils gardaient la plus parfaite discrétion, avaient été contraints de renoncer à leurs professions respectives, et pendant quelques années, ils avaient complètement disparu de la surface du monde.

Ils devaient se retrouver entre temps à Monaco. Nalorgne et Pérouzin y exerçaient, au Casino, les fonctions d’inspecteurs des jeux, et pendant cette tranche de leur existence, ils s’étaient trouvés mêlés aux aventures dont le célèbre Fantômas était le héros.

Monaco, débarrassé de cet hôte gênant, Nalorgne et Pérouzin auraient pu rester dans l’administration tutélaire de la maison de jeux, mais leur goût du risque répugnait à la monotonie de la surveillance de la roulette et du trente-et-quarante, ils avaient décidé, en conséquence, de venir à Paris et d’y profiter de leurs relations comme de leur savoir pour y monter un « bureau d’affaires ». C’est ainsi qu’ils s’étaient installés rue Saint-Marc, risquant leurs modestes économies dans cette entreprise de Contentieux, où ils faisaient tout absolument, sauf les opérations tenant à la profession qu’ils prétendaient exercer. Sans grand succès, du reste, et la feuille bleue trouvée dans le courrier le matin même, leur signifiant que sous trois jours ils étaient sommés de payer leurs contributions, sous peine de saisie, prouvait qu’ils ne roulaient pas sur l’or.

Cependant, on avait frappé à la porte, et, sans attendre la réponse, l’autorisation d’entrer, quelqu’un, le « client », pénétrait dans la pièce.

— Salut, les copains, s’écria-t-il.

— Prosper, s’écrièrent ensemble Nalorgne et Pérouzin. Ah par exemple, si nous avions su.

— Votre patron vous a donc donné congé aujourd’hui ?

Le cocher sourit l’air satisfait :

— Congé ? Non pas, je suis libre, désormais, voilà huit jours que je lui ai collé ma démission.

— Alors, interrogea Pérouzin avec sollicitude, vous n’avez plus de place et vous venez nous voir pour qu’on vous en trouve une ?

— Très peu, j’en ai soupé de ramasser le crottin de cheval et j’ai mieux que ça comme métier dans la main.

— Le fait est. Vous voilà nippé comme un bourgeois.

— Comme un bourgeois, précisa Prosper, et un bourgeois cossu.

Pérouzin et Nalorgne avaient fait sa connaissance dans le petit restaurant à vingt-trois sous où ils déjeunaient il y a quelques semaines. Mais, par suite de quelles circonstances la situation de Prosper s’était-elle modifiée au point que le cocher, désormais, s’exhibait dans des tenues que n’aurait point désavouées son ancien patron lui-même, l’élégant Hervé Martel ?

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