La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 29

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La conversation s’engagea. Pastel ne demandait qu’à parler et il avait à dire.

— Lorsque le nommé Hervé Martel est venu me trouver, dit il à Fandor, pour que j’aille repêcher dans les cales du Triumphla cargaison qu’il avait assurée, j’ai d’abord été voir le fourbi. Je suis descendu à vingt mètres sous l’eau, et comme de juste, j’ai ouvert mes quinquets. Vous pensez si le père Pastel est arrivé à sa cinquantième année sans avoir fait des plongées, sans avoir retiré du fond de la mer plus d’un bibelot que l’on croyait perdu pour toujours ? Quand je suis remonté, j’ai dit à Hervé Martel :

— Rien à faire, cher monsieur, je pourrais vous demander de l’argent pour entreprendre le sauvetage mais je ne vous en demande pas, car je sais que je n’y arriverais pas. La cale des marchandises est à l’arrière du Triumph, et l’arrière du Triumphest enfoncé dans la vase, soit dit sauf vot’ respect, plus profond qu’un mort de cent dix ans au cimetière de Cherbourg. Ça coûterait bien plus cher de faire les travaux que de payer le dégât. Vos marchandises sont fichues. Laissez-les donc là où elles sont.

— Mais, interrogea Fandor, il me semblait, père Pastel, que depuis quarante-huit heures déjà, on s’occupait de rechercher la cargaison du Triumph ?

— C’est précisément ce qui me fiche en colère. Sacré millions de sabords. Moi je commence par vous le dire, je suis un honnête homme, vous pouvez demander ce qu’on en pense du père Pastel, on vous répondra qu’il n’a jamais arrangé personne. Donc, quand j’ai dit au courtier Hervé Martel qu’il n’y avait rien à faire pour sauver la cargaison du Triumph, je lui ai dit la vérité. Il n’a pas voulu me croire, c’est tant pis pour lui. Un espèce de type que je ne connais pas, dont jamais je n’ai entendu parler, un Norvégien avec un nom à coucher dehors, s’est amené tout d’un coup après moi. Il a fait le boniment à M. Hervé Martel. Il lui a raconté je ne sais quoi. Toujours est-il qu’il l’a embobiné, qu’il l’a décidé à convenir d’un prix de sauvetage avec lui et qu’il a commencé censément les opérations.

— Mais pourtant, père Pastel, le Norvégien a réussi à quelque chose ? J’ai appris que cet après-midi il avait retiré une première caisse, qui contenait une grosse somme en or. On dit même que selon les conventions intervenues, la banque qui fait les règlements du courtier lui a payé aussitôt, en bons et beaux billets bleus, la valeur des trois quarts de la marchandise sauvée, conformément au contrat ?

— Bougre de nom de nom, c’est justement ça qui me fiche en rogne. Je n’y comprends rien de rien. C’est bien sûr que ce Norvégien de malheur a ramené une caisse avec lui et qu’il a touché de l’argent pour, mais quand je vous dis moi, que c’était impossible d’aller la chercher la caisse dans la cale du navire coulé, alors ? Voulez-vous m’expliquer comment il s’y est pris ? Vous le savez vous ?

— Bernique, père Pastel.

— J’vas vous dire, monsieur, tout ça, c’est des trucs pas ordinaires. Le Norvégien a embauché tout un personnel de sauveteurs qui viennent de je ne sais où, et qui ne s’y connaissent pas. On s’en aperçoit rien qu’à les regarder manœuvrer. Alors je me demande s’il n’y a pas là-dedans des combinaisons avec le diable.

— Non, père Pastel, trouvez autre chose, le diable ne renfloue pas.

Le père Pastel se penchait à l’oreille du journaliste :

— Ne cherchez pas. C’est trouvé ou tout comme. Hein, qu’est-ce que vous diriez si je vous racontais que j’ai la conviction que ce Norvégien de malheur est en train de fourrer tout le monde dedans et qu’il fait tout simplement un sauvetage fictif ?

— Un sauvetage fictif ?

— Fictif, oui, répliqua le père Pastel, vous ne savez peut-être pas ce que veut dire ce mot, des fois que vous n’auriez pas beaucoup d’instruction ? Sans doute, que je ne suis pas un savant moi non plus, mais après cinquante ans d’âge, on connaît bien des petites choses. Je m’en vais vous l’expliquer, moi, ce que cela signifie, un sauvetage fictif.

Zut, voilà qu’on les avait interrompus. Des matelots de L’Œuf, le sous-marin attaché au port de Cherbourg.

— Ça va, le père Fouille-Vase ? et les affaires ?

— Rigolez toujours, les gars, n’empêche que j’ai fait deux fois le tour du monde avant que vous ayez fini de téter votre mère. Et c’était encore sur des frégates à voile. Où on se remuait plus que dans vos boîtes à sardines.

— Çà, reconnut un matelot, vous avez raison. Surtout lorsqu’on est embarqué à bord des sous-marins. Y a pas grand chose à faire pour naviguer. On s’en va droit devant soi, sous l’eau, dans l’obscurité. Ça marche comme ça veut. Comme ça peut. Ça fonce au hasard.

— On m’a dit comme ça, les gars, que vous alliez faire bientôt des expériences avec un nouveau projecteur lenticulaire qui permettra de voir sa route à dix mètres sous l’eau. C’est-y vrai cette histoire-là ?

— Tout ce qu’il y a de vrai, répondit le premier des marins, à preuve qu’on va s’en servir demain pour aller reconnaître l’épave que l’on doit faire sauter.

— L’épave ? quelle épave ?

— Celle du Triumphnuisible pour la navigation. Alors ça a été décidé par le service de l’Amirauté. Demain à marée basse, reconnaissance avec L’Œuf, et après-demain sans doute, bombardement avec feux d’artifice sous la mer, histoire de faire rigoler les marsouins.

— Amenez-vous, vous autres, je paye un verre, cria Pastel en se frottant les mains, à la santé de l’explosion ! Tout de même, il y a un bon Dieu, il y a une justice. Ah, on a décidé de faire sauter l’épave, ça, c’est joliment bien. Comme ça, ce sacré Norvégien pourra pas continuer.

Fandor ne l’écoutait plus. Le journaliste avait pris à part un jeune matelot, qu’il interrogeait minutieusement :

— C’est intéressant à voir une plongée sous-marine ?

— C’est selon. Naturellement quand on a l’habitude, on ne fait plus attention, mais pour du jamais vu, c’est intéressant.

— Pendant que L’Œuffera sa reconnaissance, est-ce qu’on continuera les opérations de sauvetage ?

— Naturellement, ce n’est qu’après demain qu’on les interdira si l’on fait sauter le navire.

— Comment s’appelle votre commandant ?

— Le lieutenant de vaisseau de Kervalac.

— Où demeure-t-il ?

Le matelot donna une adresse.

Quelques instants plus tard, le journaliste se levait :

— Il faut, coûte que coûte, songeait-il, que j’obtienne de cet officier l’autorisation de monter à bord. Non, ce lieutenant ne voudra jamais. Il vaut mieux que je télégraphie au ministère de la Marine. Là, j’ai quelques relations, j’aurai plus de chance de réussir.

Fandor ne songea plus, dès lors, qu’à quitter le bar. Mais comment allait-il se dépêtrer de tous ses nombreux et nouveaux amis ? Les circonstances, heureusement, vinrent à son aide. Pastel avait suffisamment bu, il quitta la table, vint sur le seuil.

Et soudain, le visage jovial du sauveteur se rembrunit. Fandor suivit son regard, qui s’était arrêté sur deux hommes qui passaient sur la jetée.

— S’il n’y avait pas entre eux et nous de quoi faire flotter deux bateaux de cinq cents tonneaux, comme j’irais leur dire ma façon de penser à ces gaillards-là.

— Vous les connaissez ?

— Parbleu, oui, fit Pastel, c’est le Norvégien et son second.

— Ah. Vous croyez ?

— J’en suis sûr, affirma le vieux sauveteur.

Mais soudain, Fandor le quittait, courait à toutes jambes, s’efforçant de trouver la passerelle qui lui permettrait d’atteindre l’autre côté du bassin et de rejoindre les deux hommes signalés.

Fandor eut beau courir à perte d’haleine, lorsqu’il parvint sur l’autre bord, les deux hommes avaient disparu.

Pourquoi aurait-il voulu les approcher ? Parce que le journaliste avait reconnu ceux que Pastel prenait pour le Norvégien et son second. Le premier était sûrement l’apache Bébé. Quant à l’autre, inutile de le nommer.

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