La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 27

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Celle-ci, après avoir reçu les hommages qui lui étaient dus en sa qualité de jolie femme, sonna la bonne :

— Apportez donc l’apéro, ordonna-t-elle, c’est le meilleur moyen de causer.

Puis, se tournant vers Nalorgne et Pérouzin, elle minauda :

— Vous prendrez bien un petit vermouth, n’est-ce pas ?

Irma de Steinkerque ajoutait :

— C’en est du bon. Prosper me l’a fait acheter et il s’y connaît. Au fait, c’est lui que vous veniez voir, sans doute ?

— Oui, mais vous aussi…

— Écoutez, fit-elle, ce n’est pas pour vous renvoyer, bien au contraire, vous me feriez même grand plaisir en acceptant de déjeuner avec moi, mais je dois vous dire que je serai toute seule, car Prosper est absent, absent de Paris.

— Ah, s’écrièrent ensemble Nalorgne et Pérouzin, qui se regardèrent alarmés.

Une même pensée, en effet, leur venait à l’esprit : du moment que Prosper était absent, cela corsait singulièrement les soupçons que les deux amis pouvaient avoir à son sujet, relativement à l’assassinat de M. Hervé Martel.

Diable, l’affaire devenait de plus en plus grave et Nalorgne, d’un signe imperceptible, fit comprendre à Pérouzin que celui-ci désormais devait se taire, éviter de prononcer la moindre parole compromettante.

Irma de Steinkerque, cependant, se faisait de plus en plus aimable. Et après avoir offert l’apéritif à ses hôtes, elle insista tellement que ceux-ci, qui n’étaient jamais hostiles aux économies, acceptèrent de déjeuner en sa compagnie.

— D’ailleurs, leur avait déclaré la jolie femme, avec une nuance de tristesse, croyez que votre présence me fera bien plaisir, car je vous avoue que je m’ennuie toute seule et je le suis souvent. Prosper est un drôle de type, c’est un gentil garçon, sans doute, mais enfin, il a des manières si bizarres.

Lorsque le déjeuner, un peu avancé, eut délié les langues et mis de la cordialité dans l’air, Irma reparla de son amant :

— Mais au fait, déclara-t-elle soudain, puisque vous êtes venus le chercher ce matin, c’est que vous aviez sans doute quelque chose à lui dire. Je ne sais pas exactement où il est, mais cependant, si vous y teniez, on pourrait savoir.

— Non, ne nous dites rien.

— Pourquoi ? demanda Irma.

— Parce que, dit Pérouzin, nous avons tout intérêt à ne pas nous rencontrer.

— Eh bien, vous êtes de drôles de types, vous. Vous venez, censément, pour voir un ami, vous avez l’air enchantés de ne pas le rencontrer, vous ne voulez pas savoir où il se trouve.

— Ça, dit alors Nalorgne, ce sont des mystères qu’il ne vous appartient pas d’approfondir. Je vous demande même une chose, c’est de garder le secret sur notre visite.

Steinkerque était de plus en plus intriguée. Nalorgne se rendait compte que pour ne pas éveiller les soupçons de son esprit, il fallait à toute force trouver un motif à leur venue. Mais ce motif ne se précisait pas nettement à son esprit. Et cette fois, ce fut Pérouzin qui sauva la situation :

— Vous nous disiez tout à l’heure, chère madame, combien l’existence perpétuellement seule vous était désagréable ?

— Oh, ce n’est pas tant d’être seule qui m’ennuie, c’est surtout de changer. Vous comprenez bien dans mon métier l’existence n’est pas toujours drôle. On fait sa vie avec un homme, on s’y habitue pendant huit jours, puis tout est à recommencer avec un autre. Moi qui suis au fond une femme tranquille, une femme d’habitudes, il me faudrait une affection durable.

— Je vois ce que c’est, il vous faudrait un mari ?

— Ça serait le rêve, naturellement, mais ça ne se trouve pas comme ça sur un bord de trottoir, les maris.

— Qui sait, on pourrait peut-être vous trouver ça.

Tant et si bien que les deux associés en vinrent à lui parler du vieux M. Ronier.

— Un petit vieux bien propre, voilà ce qu’il me faut, vous avez tout à fait raison, s’écria Irma enthousiasmée.

Et Pérouzin qui ne voyait pas plus loin que le bout de son nez, donnait à la demi-mondaine tous les renseignements possibles et imaginables sur le futur mari qu’il lui destinait. Mais, se disait Nalorgne, pendant ce temps, était-ce bien prudent de mettre en rapport Juve et la cocotte ? D’ailleurs, tant pis, le vin était tiré et Irma leur déclarait :

— Je vous jure bien que si cela réussit, je vous ferai un royal cadeau. Dix mille francs, au moins.

Pour remercier ses amis, elle voulait de toute force leur communiquer l’adresse de Prosper, et elle cherchait fébrilement dans un paquet de lettres, une enveloppe dont le timbre de la poste lui aurait indiqué la région tout au moins où il se trouvait.

Les deux autres ne voulaient rien entendre :

— Non, non, nous n’avons pas besoin de savoir où est Prosper, nous ne le voulons même pas.

***

Le lendemain, Jean vint dire à Juve :

— Patron, c’est une dame qui désire vous voir, elle prétend, comme ça, qu’elle est envoyée par l’agence Nalorgne et Pérouzin. Ce serait pour une affaire confidentielle.

— Parbleu, Jean, je sais qui c’est : une charmante jeune fille que m’envoient mes amis au sujet d’un mariage, car je ne t’ai pas encore annoncé, Jean, que je vais me marier. Comment la trouves-tu ?

— Qui, patron ?

— Eh bien, la charmante jeune fille qui demande à me voir ?

— Charmante, enfin, et jeune fille, c’est à savoir. Pour moi, j’aime autant vous dire, cette personne qui vous demande, avec les panaches qu’elle a sur la tête et le plâtre de toutes les couleurs qu’elle se colle sur la figure, je crois plutôt que c’est une vieille grue.

— Ah ? fais-la donc monter.

— Dans votre chambre ?

— Dans ma chambre. Tu ne voudrais tout de même pas que je descende la recevoir au salon ?

Quelques instants plus tard, le vieux domestique introduisait dans l’appartement de Juve une personne élégamment vêtue, à la silhouette un peu trop majestueuse sans doute.

— C’est bien à M. Ronier à qui j’ai l’honneur de parler ? demanda-t-elle.

— En personne.

D’un coup d’œil, le policier avait donné raison à Jean : la personne n’avait rien de la « charmante jeune fille » qui était en réalité la fille du Roi de l’Épouvante. Juve, certes, ne s’était pas attendu à voir paraître celle-ci, qu’il savait à Cherbourg, mais comment et pourquoi s’en présentait-il une autre ? Décidément, ces Nalorgne et Pérouzin étaient de véritables agents d’affaires de comédie. Allaient-ils faire défiler ainsi chez Juve toutes les célibataires de Paris ?

La visiteuse, toutefois, se présentait avec son plus aimable sourire :

— J’ai appris, monsieur, déclarait-elle, que vous vivez seul et retiré et que bien souvent l’existence vous paraît pénible. Je m’intéresse, par pure sympathie d’ailleurs, aux personnes souffrantes, isolées, malades et c’est pourquoi je me suis permis, sur la recommandation de mes amis, Nalorgne et Pérouzin, de venir vous rendre une petite visite.

La visiteuse tendait à Juve une lettre, que celui-ci, vu la faiblesse de ses mains, ne parvint pas à décacheter.

— Voulez-vous me permettre ?

— Volontiers. Si j’osais vous prier, madame, de me lire ce que m’écrivent nos amis, j’ai si mauvaise vue.

Elle s’assit et lut à haute voix :

Cher monsieur Ronier, La personne qui vous apportera cette lettre se recommande à toute votre sympathie. Comme vous vous en apercevez facilement elle est jeune et belle et son caractère a la qualité de ses traits charmeurs.

Vous qui rêvez d’une paisible existence conjugale, vous trouverez auprès d’elle tous les avantages de la vie bourgeoise. Nous vous la recommandons en toute connaissance de cause, c’est une amie de nos familles, nous la connaissons depuis son enfance…

Juve faillit rire à ce passage, mais Irma, elle, ne put se contenir :

— Ah les vaches, s’écria-t-elle, toujours des vannes.

Puis, se rendant compte de l’impair qu’elle commettait, elle rougit.

— Pardonnez-moi, monsieur, dit-elle, mais ça m’a échappé.

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