La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 2
D’un geste rapide, elle alla au canapé d’angle où elle avait déposé sa fourrure.
— Vous avez froid, Mademoiselle ?
La jeune fille sourit :
— Mais oui, Monsieur, il ne fait pas très chaud chez vous.
Hervé Martel sonna Baptiste :
— Voyons, comment se fait-il que cette pièce soit si mal chauffée ? On gèle, ici.
— Monsieur sait bien que la cheminée ne va pas. J’en ai déjà fait l’observation à monsieur, il y a quelques jours. Monsieur devrait écrire aux gérants.
— Vous avez raison, fit-il. J’avais oublié.
Puis, se tournant vers la dactylographe, cependant que le domestique se retirait :
— Voulez-vous prendre note, Mademoiselle, d’écrire aux gérants : MM. Nalorgne et Pérouzin, rue Saint-Marc. Vous chercherez le numéro dans le Bottin. Dites-leur que la cheminée ne marche pas, qu’ils viennent la vérifier, que je compte sur eux, d’urgence. C’est noté, n’est-ce pas ?
— Oui, Monsieur.
— Bien, Mademoiselle. Encore une lettre, au Comptoir National, une lettre que vous recommanderez. Voulez-vous noter ?… « Messieurs, je vous envoie par ce courrier dix titres au porteur, de mille francs, portant les numéros ci-après… »
Hervé Martel ouvrit un tiroir, en retira un petit paquet soigneusement ficelé qu’il posa sur le bureau placé le long du mur, tout à côté de la petite table où travaillait la sténographe.
— Vous y ferez attention, Mademoiselle, ces papiers ont de la valeur. Lorsque vous aurez pris les numéros, que vous indiquez dans votre lettre, vous voudrez bien faire expédier ces papiers en lettre recommandée. Qu’est-ce qu’il y a ?
— C’est Prosper, c’est le cocher de Monsieur, qui vient comme ça pour son certificat, dit Baptiste.
— Qu’il entre.
Le cocher pénétra dans la pièce en saluant gauchement. M. Hervé Martel tournait le dos au serviteur et à la jeune fille. Il était allé à un petit secrétaire, à l’opposé du cabinet, et rédigeait le certificat demandé par le cocher.
— Tenez, Prosper, fit-il lorsqu’il eut achevé, voilà votre affaire. Désormais, vous avez toutes les qualités. D’ailleurs, ce que je dis, je le pense. Je regrette vivement votre départ.
Prosper, se confondant en remerciements, allait entreprendre une longue conversation, mais Hervé Martel, en homme d’affaires habitué à éconduire les raseurs, trouva le mot aimable et cependant définitif pour le reconduire jusqu’à la porte de son cabinet.
— Continuons, Mademoiselle.
Hervé Martel dicta deux ou trois lettres, donnant des rendez-vous d’affaires, puis :
— Cette lettre, Mademoiselle, vous ne l’écrirez pas sur du papier de la charge, mais sur du papier personnel. Écrivez :
Madame Irma de Steinkerque,
Ma chère amie,
Nous nous réunissons, quelques joyeux camarades, chez moi, avenue Niel, après-demain soir. J’espère que vous serez des nôtres. On dînera sans cérémonie, à huit heures… Répondez-moi bien vite que vous êtes assez gentille pour nous charmer de votre présence.
Votre bien affectueusement dévoué.
— Vous ajouterez en post-scriptum… Après tout, non, fit-il, je ne peux tout de même pas vous dicter cela. Quand la lettre sera faite, vous me la donnerez avec l’enveloppe, je mettrai le post-scriptum à la main.
M lle Hélène sourit mais ne broncha pas, et comme M. Hervé Martel ne disait plus rien :
— Est-ce terminé ?
— Oui, fit Hervé Martel. Allez me taper ce courrier au bureau et n’oubliez pas de me le rapporter à signer avant l’heure du déjeuner.
Et, tandis que la jeune fille, méticuleusement, reformait le rouleau de ses feuilles de papier :
— Eh bien, quoi, Mademoiselle Hélène, vous avez de graves chagrins ? des peines sentimentales ?
— Pourquoi donc, Monsieur ?
— Mais vous soupirez d’une façon qui vraiment dénote une tristesse extraordinaire.
— Moi, Monsieur ? mais je n’ai nullement soupiré.
— Tiens, c’est étonnant. J’étais persuadé. Enfin il vaut mieux, n’est-ce pas, que je me sois trompé ?
La jeune dactylographe sourit gracieusement. Puis, subitement, une idée lui vint.
— Pardon, Monsieur, le paquet de titres que je dois emporter pour le faire recommander. Où est-il ?
Hervé Martel se dirigea vers le bureau sur lequel il avait placé les papiers. Tout à coup, il s’arrêta net :
— Vous les avez pris, Mademoiselle, ces titres ? Ils étaient là-dessus il y a quelques instants,
— Il m’a semblé les voir, en effet, Monsieur. Mais il faut croire que je me suis trompée, puisqu’ils n’y sont pas.
— C’est exact, ils n’y sont pas. J’aurais cependant juré que…
— Ma foi, moi aussi.
— Je sais bien que je suis distrait, mais à ce point-là cependant.
Le courtier regarda autour de lui, souleva les coussins de son canapé, remua quelques dossiers, entrouvrit deux ou trois fois le tiroir dans lequel il avait mis, quelques jours auparavant, les titres en question, et qu’il croyait bien avoir repris. Mais il ne retrouva rien.
— Voyons, c’est impossible, grogna-t-il. Vous faites erreur, ou moi. Ou alors, je me trompe, ce paquet n’est pas bien gros. Regardez donc si, par hasard, dans vos feuilles de sténographie.
La jeune fille défit vivement le rouleau de papier. Les titres n’y étaient pas. Cependant que la jeune fille rougissait, quelque peu agacée, Hervé Martel semblait de plus en plus préoccupé, et sur sa physionomie très franche, très mobile, ses impressions se manifestaient très nettement.
— C’est curieux, grommela-t-il encore, absolument invraisemblable.
Jusqu’alors, Hervé Martel était allé et venu dans la pièce, en proie, semblait-il, à une impatience fébrile. Brusquement, il s’arrêta, considéra la jeune fille.
— Enfin, dit-il en se croisant les bras, ne trouvez-vous pas cela extraordinaire ?
— Mais si, Monsieur, dit Hélène.
— N’est-ce pas, reprit le courtier, c’est extraordinaire. Ces titres n’ont pas pu s’en aller tout seuls. C’est à se demander si quelqu’un ne les a pas pris ? À la rigueur, on pourrait penser à Prosper, au cocher, mais il me semble qu’après son départ les titres étaient encore là. Qu’en pensez-vous ?
— Je n’ai pas fait attention, mais il me semble, en effet, que vous avez raison.
— J’ai raison, mais alors ?
Et son regard interrogeait la jeune fille, qui ne broncha pas. Après un silence, elle dit :
— Il est temps que je parte, Monsieur, si vous désirez que je vous rapporte votre courrier avant l’heure du déjeuner.
— En effet. Allez, Mademoiselle.
Mais à peine avait-il dit ces mots qu’il se ravisait :
— Mademoiselle Hélène, appela-t-il.
— Monsieur ?
— Mademoiselle, un petit renseignement, s’il vous plaît ? J’ai omis de vous le demander lorsque vous êtes entrée comme dactylographe il y a six mois, et chaque jour je voulais le faire, puis je l’oubliais. J’ai tellement de choses dans la tête…
— De quoi s’agit-il, Monsieur ?
— Oh, rien, figurez-vous que je n’ai pas votre adresse. Il est nécessaire, n’est-ce pas, que j’aie votre adresse. Supposez que j’aie quelque chose d’urgent à vous dire.
— J’habite 114, rue Lepic, Monsieur.
— Rue Lepic ? C’est à Montmartre cela, n’est-ce pas ? Et alors, vous venez de là tous les matins, à pied ?
— Oui, Monsieur.
— De Montmartre à la Bourse, ce n’est pas très loin. Et alors, rue Lepic, vous habitez avec votre famille, vos parents ?
— J’habite seule, Monsieur.
Mais, soudain, le rouge monta au front d’Hélène qui se rapprocha d’Hervé Martel :
— Monsieur, demanda-t-elle avec un frémissement dans la voix, pourquoi me posez-vous ces questions ? Est-ce que ?
— Mais que voulez-vous dire, Mademoiselle ?
— C’est un interrogatoire ? n’est-ce pas. Ces titres que vous ne retrouvez pas ?
— Mais non, Mademoiselle, je vous affirme. Rien ne me permettrait de formuler sur vous un tel soupçon. Ah, c’est très ennuyeux, évidemment, ce qui arrive. Mais enfin, je n’ai aucune raison.