La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 14

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— Il ne faut pas être surpris, mes chers amis, leur déclara-t-il, lorsque certains particuliers, qui sont victimes d’une désagréable aventure quelconque, tenant de près ou de loin à quelque cambriolage ou chantage savant, ne s’adressent pas à nos services. Vous savez que dans nos bureaux, dans notre administration, on est toujours très consciencieux, plein de bonne volonté, mais quelquefois maladroit, indiscret. Lorsqu’on mêle la Sûreté à ses affaires, on est assuré de l’indiscrétion. J’imagine qu’un homme tel que M. Martel préfère garder tout cela secret jusqu’au jour où il ne pourra plus faire autrement, soit qu’il ait trouvé les coupables des vols dont il est victime, soit qu’il soit impuissant à effectuer lui-même les recherches.

— Moi, je ne comprends pas qu’il hésite, dit Michel. De deux choses l’une : si l’on est victime de quelque chose, on porte plainte, ou alors, si on évite de le faire, c’est qu’on se sent morveux.

— Je vous reconnais bien là, mon cher Michel, avec vos idées nettes, arrêtées, vos grands principes. Mais dites-vous bien que la vie n’est pas une ligne droite que l’on peut suivre à son gré. L’itinéraire de notre existence comporte fréquemment des chemins sinueux que l’on doit suivre, et lorsque la montagne est trop abrupte, plutôt que de la gravir au risque de mille périls, mieux vaut la contourner.

— Vous parlez comme un livre, dit Léon.

— C’est, poursuivit le policier, peut-être parce que j’ai vu beaucoup de choses.

Puis pour convaincre Michel :

— Mon cher, je comprends parfaitement l’attitude de M. Hervé Martel. Un homme d’affaires comme lui, surtout un spéculateur de son espèce, – car ce courtier maritime est un spéculateur –, n’a jamais intérêt à faire connaître au public, c’est-à-dire à sa clientèle, qu’il a subi des pertes importantes. Voyez-vous, les vols, chez ces gens-là, ont toujours un caractère plus ou moins suspect. Et puis, enfin, n’imaginez pas que M. Hervé Martel se désintéresse des pertes qu’il a subies. S’il n’a pas convoqué la police officielle, il a pris à son service des détectives privés.

— Oui, interrompit Michel, il s’est adressé à Nalorgne, à Pérouzin, les anciens inspecteurs de Monaco, que vous avez bien dû connaître, Monsieur Juve ?

— Si je les ai connus !

— En tout cas, Monsieur Juve, dit Léon, ça n’est pas pour durer.

— Je sais ce que vous voulez dire, fit Juve : Nalorgne et Pérouzin vont être admis à la Sûreté en qualité d’inspecteurs auxiliaires.

— Tiens, s’écria Michel, comment savez-vous cela ?

— C’est moi, fit Juve, qui les ai recommandés, sans qu’ils s’en doutent d’ailleurs, à M. Havard.

— Je voudrais bien, s’écria Léon, avoir par eux des renseignements sur le mystère de l’avenue Niel.

Juve ne dit rien, il prêtait l’oreille :

On entendait marcher dans le jardin. Des pas précipités qui faisaient crier le gravier.

Juve conclut l’entretien qu’il avait avec ses deux jeunes collègues.

— Mes chers amis, dit-il, retirez-vous, je vous en prie, j’attends des visiteurs, les voici qui arrivent. Ne vous montrez point. Sortez par la pièce à côté, de façon à ne pas les rencontrer dans l’escalier. J’y tiens énormément.

Puis, comme Léon et Michel prenaient congé :

— Au fait, ça vous intéresse peut-être de savoir qui vient me rendre visite ? Eh bien, ce sont Nalorgne et Pérouzin.

***

— Jean.

— Monsieur Juve ?

— Il n’y a plus de M. Juve en ce moment : c’est le vieux Ronier qui te parle. Comprends-tu ce que cela signifie ?

— Naturellement, je comprends, ronchonna Jean ; je ne suis tout de même pas complètement idiot.

Maussade, l’excellent domestique passa dans le cabinet de toilette attenant à la chambre de son maître. Il en rapporta une perruque blanche, une barbe postiche, ajusta le tout, tendit au policier un miroir :

— Cela vous va, patron ?

— Oui, tu peux les faire entrer.

Nalorgne et Pérouzin venaient rendre visite à leur client, M, Ronier, qui leur avait écrit pour leur demander de collaborer à son futur bonheur.

— La paralysie, expliquait Juve, m’immobilise encore, mais je ne tarderai pas à être guéri, et comme la maladie n’empêche pas les sentiments, que, sans être vieux, je suis quelque peu âgé et fatigué de vivre seul, j’ai pensé qu’il serait agréable pour moi de me marier. Vous, messieurs, qui avez les plus hautes relations dans la société parisienne, vous devez être les hommes les mieux désignés pour trouver l’épouse qui me conviendrait. J’ai quelque fortune, je ne serai pas exigeant pour la dot de ma future femme, il suffit qu’elle soit honnête, respectable et gentille.

— Monsieur, affirma, sur un ton doctoral Nalorgne, qui avait écouté ce préambule avec une superbe gravité, vous ne pouvez pas en effet vous adresser mieux qu’à nous, et d’ores et déjà nous avons votre affaire.

— Tiens, qui donc ?

Nalorgne le foudroya du regard et poursuivit :

— Une jeune fille charmante, monsieur Ronier, qui vous donnera toute satisfaction. Nous la connaissons depuis son enfance. C’est une amie de notre famille, sérieuse, excellente éducation, a toujours travaillé. Elle exerce la profession de dactylographe. Son prénom : Hélène.

— Ah, fit Pérouzin, j’y suis. Elle travaille chez M. Hervé Martel car, M. Ronier, ce grand courtier maritime, le plus connu de la place de Paris, est aussi notre client.

Mais Nalorgne, après avoir fait à Juve un boniment dans les règles, s’arrêta soudain, et il regarda le faux M. Ronier avec une insistance si singulière que celui-ci parut s’en rendre compte :

— Hein ? demanda Juve avec une pointe d’anxiété très bien dissimulée, voilà que vous avez des regrets maintenant, en me voyant. Vous vous dites : cette jeune fille ne voudra jamais épouser un pauvre homme dans un si misérable état.

— Oh, s’écria Pérouzin, ce n’est certainement pas cela que pense mon associé Nalorgne, mais…

Pérouzin également avait fixé le vieillard, et sur sa physionomie s’était peinte une certaine stupéfaction. Il allait poursuivre, Nalorgne l’en prévint :

— Nous ne nous permettrions pas, monsieur, d’avoir une telle opinion sur quelqu’un qui nous fait l’honneur de nous accorder sa clientèle. Certes, le cœur des jeunes filles est un abîme insondable, et nous ne pouvons vous donner, dès aujourd’hui, une promesse formelle d’acceptation. M lle Hélène ne s’engage à rien en faisant votre connaissance, et je suis convaincu que, par sa grâce, son charme, sa douceur et sa touchante timidité, elle fera sur vous la plus délicieuse impression.

Juve tressaillit. Ses espérances étaient exaucées. Nalorgne et Pérouzin s’offraient spontanément à lui faire connaître la personne qu’il désirait voir, car, malgré le peu d’intérêt qu’il avait eu l’air, devant Léon et Michel, de prendre aux mystérieuses affaires de l’avenue Niel, Juve se passionnait pour ces vols extraordinaires, et le célèbre policier, de son lit de douleur, voulait savoir. Il avait entendu parler de cette Hélène, la dactylographe, et il s’était juré de la connaître. Or, voici que la proposition de Nalorgne et de Pérouzin allait singulièrement lui faciliter les choses :

— Amenez-la moi, déclara avec enthousiasme le pauvre M. Ronier, cependant que, graves et dignes, Nalorgne et Pérouzin se levaient pour le quitter.

— Nous ferons notre possible, déclara Nalorgne, pour vous faire connaître M lle Hélène d’ici une semaine au plus.

Nalorgne salua gravement, Pérouzin fit de même, mais au moment de partir, l’ancien notaire, toujours pratique, dit au faux M. Ronier :

— Et alors, cher monsieur, il est encore une petite chose dont nous n’avons point encore parlé : c’est la question des honoraires.

— Vous me les fixerez vous-même, répondit Juve, magnanime, lorsque l’affaire sera conclue.

Les deux agents d’affaires se retirèrent, et Juve, après s’être fait débarrasser de ses postiches, se mit à réfléchir très profondément.

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