La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 13
Nalorgne n’acheva pas.
Avec une inconcevable rapidité, M. Bertrand, tout en éclatant de rire, un rire bruyant qui emplissait l’étude, jetait à la volée son chapeau, arrachait une perruque couvrant son crâne, arrachait sa moustache, sa barbe, se redressait et, en même temps, sa main s’armait d’un revolver.
— Votre employé, faisait-il, vraiment, vous croyez que je suis votre employé ? ah, la bonne plaisanterie, non, mes amis, je ne suis l’employé de personne, je suis le Maître.
Et comme Pérouzin et Nalorgne, terrifiés par le revolver braqué sur eux, tremblaient de tous leurs membres, l’inconnu achevait :
— Je suis le maître, mes amis, le maître de tous et de tout. Le meilleur des maîtres, le maître qui, désormais, aura sur vous droit de vie et de mort, qui vous punira terriblement si vous le trompez, vous récompensera magnifiquement si vous marchez droit. Allons, regardez-moi bien. Me reconnaissez-vous ?
Ils regardèrent cet homme d’une quarantaine d’années, grand, mince, souple, à la figure énergique, à la face rase, intelligente. Il parlait d’une voix posée, d’une voix de commandement qui n’admettait pas de réplique :
— Regardez-moi bien, Nalorgne, et Pérouzin, car, à partir d’aujourd’hui, je vous le répète, vous êtes mes lieutenants dévoués, très dévoués, vous m’entendez ? Car, j’ai non seulement droit de vie sur vous, mais encore, après ce que je sais, il me serait facile de vous livrer à la police, vous et Prosper, Prosper, qui sera mon troisième lieutenant dans quelques minutes. Prosper, dont j’ai imité la voix au téléphone pour vous faire quitter le petit Café blanc. Allons, vous me reconnaissez maintenant, je suppose ? Non ? eh bien, je me nomme et comprenez bien qu’il s’agit pour vous d’être sages, je ne suis pas M. Bertrand, M. Bertrand n’a jamais existé, je suis le Roi du Crime, le Maître de l’Effroi. Et vous, désormais, vous êtes mes complices. Remerciez-moi, car lorsque Fantômas fait l’honneur à quelqu’un de s’associer à sa fortune, ce sont des actions de grâce qu’on lui doit.
7 – JUVE SE CACHE
Saint-Germain, résidence estivale, est également une ville fort agréable à habiter en hiver.
Ce matin-là, le temps était clair et froid. Avenue des Violettes, un vieux domestique s’occupait à astiquer avec conscience la plaque de cuivre d’un bouton de sonnette.
Il fut soudain interrompu dans son travail par la voix claire et forte d’une femme qui l’interpellait :
— Et alors, monsieur Jean, ça va toujours ? et votre patron, monsieur Ronier ? comment se porte-t-il, ce matin ?
— Merci, merci bien, vous êtes bien honnête de vous occuper de nous. Oui, ça va toujours.
Mais la marchande de lait insistait :
— Et ses douleurs, à M. Ronier ?
— Eh bien, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse à ses douleurs ? ce sont des douleurs comme les autres, il en souffre et ce n’est pas pendant l’hiver qu’il faut espérer qu’il se remettra. D’ailleurs, qu’est-ce que cela peut bien vous fiche, à vous, la santé de mon patron ?
— Là, là, fit la brave femme, vraiment, vous n’êtes pas à prendre avec des pincettes, monsieur Jean, quel caractère, grand Dieu ! Pour ce qui est de m’en fiche, bien sûr que je m’en fiche, si vous allez par là, et si je demande des nouvelles de M. Ronier c’est pas par curiosité, mais histoire de savoir comment il se porte.
Le domestique ne répondait pas. Il venait d’apercevoir à l’extrémité de l’avenue, deux hommes jeunes encore, aux allures d’anciens militaires qui, peu à peu, se rapprochaient de lui.
— Voilà les neveux de Monsieur, fit-il, d’un ton plus doux, en s’adressant à la marchande de lait.
Mais celle-ci, après s’être arrêtée un instant, poussa sa voiturette dont les cahots de la route firent tinter les bouteilles.
Les deux hommes que Jean avait qualifiés de « neveux de son patron », firent un petit salut amical et protecteur au serviteur bourru, puis franchirent la grille de la villa et, en habitués qui connaissent les aîtres, entrèrent dans la maison.
Cependant qu’ils étaient leur pardessus, l’un d’eux dit à son compagnon :
— Vraiment, cela me fait de la peine chaque fois que je viens ici pour le voir. Quand je pense que c’était un homme si actif, si vivant, et que depuis plus de trois mois son état n’a fait qu’empirer.
— Comme c’est vrai, mon cher Léon, le patron ne va pas bien.
— Ah Michel, ce que c’est que de nous. Un mauvais coup, comme ça, ramassé au hasard et vous voilà cloué sur un lit, immobilisé, paralysé.
— L’esprit est encore bon, l’intelligence toujours ouverte, vive.
— Oui, mais les jambes ? plus rien à faire.
Les deux hommes montèrent au premier étage, frappèrent à la porte. Une voix puissante leur répondit :
— Entrez.
Ils pénétrèrent tous deux dans une vaste chambre au milieu de laquelle se trouvait un grand lit où était étendu un homme au visage énergique, au teint coloré, à la chevelure grisonnante. Était-ce bien l’oncle de ces deux jeunes gens, comme l’avait dit le domestique ?
Ces derniers, en effet, à peine dans la chambre, esquissaient une sorte de salut militaire, et d’un ton à la fois joyeux et respectueux ils s’écrièrent :
— Bonjour Juve, comment allez-vous ?
C’était Juve, en effet, étendu sur son lit de malade. Juve que son domestique, fidèle à la consigne, déclarait à tout venant s’appeler M. Ronier et dont les neveux n’étaient autres que les inspecteurs de la Sûreté, ses jeunes collègues, Léon et Michel. Qu’était-il donc advenu à Juve ? Pourquoi le vaillant lutteur se trouvait-il ainsi terrassé par le mal, étendu sur un lit, véritable loque humaine ?
Quelques mois auparavant, alors que Juve et Fandor poursuivaient Fantômas et finissaient par le démasquer à l’agence Thorin, le bureau de placement où les domestiques étaient cambrioleurs et assassins, Fantômas, patron de cet affreux établissement, avait, au cours d’une lutte, frappé Juve, à la tête, d’un coup de manche de poignard. Longtemps le sympathique policier était resté sans connaissance. Puis il avait éprouvé des troubles dans les centres nerveux. Les médecins qui le soignaient avaient diagnostiqué une paralysie momentanée qui, disaient-ils, ne tarderait pas à disparaître. Les jours s’étaient écoulés. L’état général de Juve redevenait excellent, mais, hélas, ses membres lui refusaient tout service. Les jambes ne le soutenaient plus, c’est à peine s’il pouvait se servir de ses bras, et avec quelle difficulté.
Ah, le coup avait été terrible pour le vaillant policier, et dans son entourage on avait été atterré de le voir ainsi. Fandor, l’inséparable de Juve, atteint d’une dépression, avait disparu de Paris.
Quant à Juve, il n’avait pas craint, chose incompréhensible, extraordinaire, de donner tout d’abord une très grande publicité à son état de santé. Il avait dicté lui-même des bulletins de santé où il ne se ménageait pas. Était-ce là une folie de malade ? Jusqu’au jour où Juve avait interdit de donner le moindre renseignement sur son compte, avait quitté Paris, s’était fait transporter à Saint-Germain, dans une petite villa qu’il louait et où désormais il vivait ignoré, sous le nom de M. Ronier, avec pour seule compagnie son fidèle domestique Jean.
Juve toutefois recevait quelques visites dont celles de Léon et Michel. Les deux inspecteurs venaient à Saint-Germain tant pour tenir le célèbre policier au courant de leurs affaires, que pour obtenir de lui des avis précieux. Car, ainsi que le disait Michel : si les membres de Juve désormais se refusaient à tout service actif, l’intelligence restait entière.
Ce matin-là, Léon et Michel avaient beaucoup de choses à dire au policier.
Et d’abord d’une affaire délicate dont ils avaient eu connaissance par des indiscrétions, affaire qu’ils appelaient « Le mystère de l’avenue Niel ».
Léon et Michel s’étaient étonnés d’apprendre que des disparitions s’étant produites dans l’appartement d’un courtier maritime, Hervé Martel, ce dernier n’avait pas porté plainte alors qu’on s’attendait à lui voir faire intervenir la police. Qu’en pensait Juve ?