La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 12
M. Bertrand s’inclina, salua, resalua. Pérouzin le congédia d’un geste superbe :
— Au revoir, mon ami, à tout à l’heure.
M. Bertrand n’était pas sorti que les deux hommes d’affaires se communiquaient leurs impressions.
— J’ai peur, répétait Pérouzin, j’ai peur qu’il ne soit bien bête.
— C’est le type qu’il nous fallait, au contraire. Vous allez voir, mon cher Pérouzin, que dans une heure d’ici nous serons plus riches de dix mille francs, de cinq mille francs plutôt, car il faudra laisser la moitié du gain à Prosper. Ah, il nous coûte cher, Prosper.
***
Une heure plus tard, M. Bertrand, ayant dûment touché les dix mille francs d’Hervé Martel,— car le courtier maritime, n’ayant aucune raison de se défier d’une facture aux apparences régulières qui lui était présentée à la date prévue, avait payé sans la moindre difficulté,— regagnait le Café blanc.
M. Bertrand, sans doute depuis le moment où il sentait dans sa poche la liasse des dix billets de mille francs, avait gagné beaucoup d’assurance, car c’était presque sans timidité qu’il entra dans la petite salle basse.
Or, l’encaisseur en entrant dans la salle, demeura figé de surprise.
La table où Nalorgne et Pérouzin l’avaient entretenu une heure plus tôt, était débarrassée, vide. Pérouzin et Nalorgne n’étaient point dans le café.
— Ça par exemple murmura le digne M. Bertrand, à voix haute et s’adressant à la cantonade, ça, par exemple, c’est un peu fort.
Et il appelait le garçon :
— S’il vous plaît, les deux messieurs qui étaient là tout à l’heure, que sont-ils devenus ?
— Ils sont partis.
— Il y a longtemps ?
— Une demi-heure. Ils ont été au téléphone et ils sont partis.
— Et ils n’ont laissé aucune commission pour moi ?
— Pour vous ? non, pourquoi ?
— Vous êtes certain qu’ils n’ont pas prévenu à la caisse ?
— Dites donc, mademoiselle la caissière, les deux clients qui étaient là tout à l’heure, sont partis sans rien dire, n’est-ce pas ?
— Sans rien dire, affirma la caissière. Est-ce qu’ils n’ont pas payé, par hasard ?
— Si, si, ils ont payé. Seulement, c’est monsieur…
— Eh bien, c’est raide, commença l’encaisseur, figurez-vous que j’ai encaissé pour leur compte dix mille francs, à côté, avenue Niel. Un service que je leur rendais. Ils devaient m’attendre ici, et je ne sais pas leur adresse.
— C’est curieux, en effet, déclara la caissière, et vous ne les connaissez pas ?
— Ils venaient de m’embaucher. Ce sont les directeurs d’une agence commerciale.
— Ils vont peut-être revenir.
— Peut-être. Oui. Je vais attendre.
M. Bertrand commanda un mazagran, mit une grande heure à le déguster, mais ni Nalorgne, ni Pérouzin n’apparaissaient.
À la fin, M. Bertrand s’impatienta ;
— C’est effrayant, murmurait-il, parlant toujours à voix haute et feignant de s’adresser à l’un des garçons, je me demande vraiment ce que je dois faire.
— À votre place, moi, j’irais chez le commissaire. C’est peut-être bien des crapules ces clients-là et on ne sait jamais ce qui peut arriver.
— Ah mon Dieu, vous me faites peur, si c’étaient des escrocs, en effet. Et dire que je n’y songeais pas. Mais pourquoi se seraient-ils enfuis ?
— Est-ce qu’on sait jamais ?
La caissière, elle-même, intervint :
— Allez donc chez le commissaire, monsieur, en tout cas, si par hasard ils reviennent ici, on leur dira que vous avez été déposer l’argent au poste et comme ça vous n’aurez pas d’histoire.
M. Bertrand dut se rendre compte que c’était en effet le parti le plus sage, car il paya sa consommation :
— Eh bien, c’est entendu, madame, je vais au commissariat. Si par hasard ces messieurs revenaient, veuillez les prier de m’attendre.
M. Bertrand, dix minutes plus tard, renseigné par un agent de police, arrivait au poste du quartier. Il avait déjà la main sur la poignée de la porte et se disposait à entrer dans le corps de garde, lorsque des pas précipités retentirent derrière lui. En moins de rien, il se sentait violemment saisi au collet, en même temps qu’une voix furieuse lui hurlait à l’oreille :
— Ah, mon bonhomme, vous revoilà, eh bien, vous n’y couperez pas. Ah sapristi, vous en avez un toupet, vous. Qu’est-ce que vous veniez faire ici ?
C’était Hervé Martel, descendu de son automobile devant le commissariat de police, au moment même où M. Bertrand y arrivait. Hervé Martel était blême de fureur, M. Bertrand blême de rage.
— Mais lâchez-moi donc, criait l’encaisseur, pour qui me prenez-vous ? qu’est-ce que vous avez ?
Puis soudain, il reconnut la personne chez qui il avait été toucher les fonds le matin même :
— Hein ? quoi ? c’est vous ?
— Hé oui, bandit, voleur, escroc, faussaire.
Tandis que, sur le trottoir, les badauds s’amassaient, les agents du poste, tirés de leur somnolence par les éclats de la dispute, se hâtèrent de séparer les deux hommes :
— Allons, entrez, entrez, vous vous expliquerez devant le commissaire.
Devant le commissaire, en effet, les deux hommes s’expliquèrent.
— Monsieur, déclarait Hervé Martel, désignant M. Bertrand, s’est présenté chez moi à huit heures du matin, muni d’une fausse facture de la maison Norel. Croyant avoir affaire à un honnête encaisseur, j’ai naturellement soldé mon dû. Ah, ouitche, il n’y avait pas vingt minutes que cet escroc était parti de chez moi que le véritable encaisseur de la maison Norel se présentait.
— Mais je ne savais pas que ma facture était fausse, protestait M. Bertrand, je ne savais pas que je vous escroquais, et d’ailleurs, vos dix mille francs les voilà. Tenez, je les ai encore sur moi. Je venais les rapporter au commissaire.
***
Mais pourquoi les associés n’avaient-ils pas attendu ce pauvre Bertrand, encore au commissariat en train d’essayer de convaincre ses interlocuteurs ?
M. Bertrand n’était pas parti du Café blancdepuis dix minutes pour aller effectuer l’encaissement qu’on lui avait confié, que Nalorgne et Pérouzin avaient la vive surprise d’entendre un garçon de café crier à haute voix leurs noms :
— Au téléphone, MM. Nalorgne et Pérouzin.
— Allo, cria Nalorgne.
— C’est vous, Nalorgne ? c’est bien vous ? demanda une voix inconnue.
— C’est moi. Que me voulez-vous ?
— Fichez le camp avec Pérouzin, fichez le camp tout de suite, dare dare. Rentrez au Contentieux. Le truc est brûlé. On vous recherche. Allez, débinez.
Ils étaient partis sans demander leur reste.
Nalorgne et Pérouzin, une heure plus tard, car ils avaient fait, par prudence, d’énormes détours, réintégraient leur Contentieux.
— Nous n’avons plus qu’à attendre, disait Pérouzin, Prosper va nous rejoindre évidemment.
— Certainement, nous serons renseignés dans dix minutes.
C’est à trois heures seulement qu’ils entendirent une clef grincer dans leur serrure.
— Voilà Prosper.
Prosper, seul, en effet, possédait une clef de l’officine.
Des pas cependant se faisaient entendre dans le corridor. Puis on traversait le salon d’attente, enfin la porte du cabinet de travail s’ouvrit.
Ce n’était pas Prosper, c’était M. Bertrand. Seulement le M. Bertrand qui entrait dans le cabinet de travail n’avait véritablement rien du M. Bertrand qu’ils avaient vu le matin même au Café blanc. Il était plus grand, moins maigre, il avait surtout une tout autre assurance.
Et puis, voilà qu’il savait les noms des deux associés :
— Bonjour Nalorgne, bonjour Pérouzin, vous allez bien ?
De stupéfaction, ni l’un ni l’autre des deux associés ne répondaient.
M. Bertrand continua :
— Hé, hé, ma parole, seriez-vous devenus muets ? ou encore ne me reconnaîtriez-vous pas ? Vous savez bien qui je suis, voyons ?
Nalorgne, ébahi par l’arrivée de ce visiteur inattendu, se demandant ce que tout cela pouvait signifier, balbutia :
— Vous êtes notre employé, monsieur Bertrand ?… mais comment se fait-il ?