La mort de Juve (Смерть Жюва) - Страница 11

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— Si qu’on parlait d’affaires, proposait-il, qu’est-ce que vous avez comme boulot aujourd’hui ? J’ai dans l’idée, je ne sais pas pourquoi, que vous devez avoir quelque chose à me communiquer, pas vrai, Nalorgne ?

Nalorgne s’était assis derrière son bureau. Il tirait d’un tiroir fermé à double tour un petit dossier où il tira un papier qu’il passa à Prosper.

— Voilà une belle affaire.

— Hé, je vois que vous ne vous mouchez pas du pied. Dix mille balles qu’il y a à toucher. Cré cochonnerie, c’est tentant en effet. Seulement, je ne vois pas comment on pourrait procéder.

Le cocher reposait sur le bureau le papier qu’il venait d’examiner. C’était une facture au nom de la maison Norel, constructeurs d’automobiles. Cette facture dûment acquittée, grâce à l’habileté spéciale de Pérouzin, était au nom d’Hervé Martel.

— Cré bon sang, continua le cocher, c’est rien que de le dire, je trouverais ça bien rigolo de me présenter ou de faire présenter cette facture-là à mon ancien patron. Ah, le mec, comme qu’il sauterait, quand ça serait qu’un autre encaisseur, un vrai, viendrait lui demander de payer à nouveau et qu’il comprendrait le truc. Seulement, dame, Nalorgne, je ne vois pas comment du tout opérer ? Avez-vous quelqu’un ?

Le coup que préparaient ensemble le trois voleurs était tentant en effet. Hervé Martel devait payer le lendemain dix mille francs à la maison Norel, dernier versement de l’automobile qu’il avait achetée récemment. Nalorgne s’était procuré le renseignement, avait même réussi à obtenir, en allant acheter une pièce détachée aux usines Norel, un modèle de facture qu’un petit imprimeur avait parfaitement imité, que Pérouzin avait artistement dessiné et Hervé Martel paierait certainement les dix mille francs à qui lui présenterait cette facture irréprochable.

Seulement Martel les connaissait tous trois.

— Avez-vous quelqu’un, Nalorgne ? répéta Prosper. Il y a longtemps, je vous le dis, que nous devrions avoir pris un employé. L’extension des affaires nous y oblige et c’est bien le diable si l’on ne peut pas découvrir à Paris un bonhomme honnête, sérieux, de confiance.

Depuis quinze jours, en effet, les deux associés, sur le conseil de Prosper, inséraient dans les grands journaux de petites annonces, demandant pour encaissements un employé bien rémunéré.

Ils donnaient alors une adresse poste restante, convoquaient les candidats dans des cafés de la périphérie, car ils ne se souciaient guère de révéler leur véritable adresse, mais jusqu’à présent, nul ne s’était présenté qui leur eût donné satisfaction. Nalorgne, en principe, trouvait tous les candidats trop intelligents.

— Très peu de ces gaillards-là, Pérouzin, ils débineraient le truc et nous vendraient à la police.

Pérouzin, lui, trouvait tous les candidats trop bêtes, trop simples d’esprit :

— Je crois, répétait-il, je crois que décidément nous ferions mieux de ne point traiter avec ceux-là. Pas assez débrouillards.

— Bon sang de coquin de sort, jurait l’ancien cocher, c’est tout de même malheureux que vous ne soyez pas fichus de découvrir un loustic capable de nous rendre les services dont nous ayons besoin, je vous ai bien trouvés, moi. Ah sapristi, j’commence à croire que vous manquez de flair. Enfin, qui avez-vous vu aujourd’hui ?

Pérouzin, seul, s’était occupé de la question, car Nalorgne avait été chercher des renseignements sur les échéances de fin de mois.

— Je n’ai vu qu’une seule personne, dit-il, je l’ai vue au Café blancde la place de Courcelles. C’est un petit vieux monsieur, pauvre mais propre, un certain Bertrand, ancien officier, paraît-il, il a l’air très sérieux et il m’a proposé d’entrer chez nous, à l’essai, pour une quinzaine.

— Eh bien, c’est parfait, cela.

— Il a l’air stupide, dit Pérouzin.

— Qu’est-ce que ça fait ?

L’ancien cocher prépara un véritable plan de combat :

— Vous avez son adresse à ce Bertrand ?

— Oui, 9, rue Saint-Antoine.

— Eh bien, Nalorgne va lui écrire de se trouver demain matin, à sept heures, au Café blanc, place de Courcelles. Vous irez tous les deux, Nalorgne et Pérouzin, vous débattrez les conditions de ses honoraires. Il faut avoir l’air sérieux. Puis vous lui donnerez la facture Norel et vous l’enverrez encaisser à huit heures du matin, bien exactement, chez Hervé Martel. Mon ex-patron a horreur de se lever de bonne heure. Il sera furieux qu’on vienne toucher si tôt, il engueulera notre représentant, mais il paiera. Ah, la bonne farce. Moitié moitié, cinq mille balles pour vous, cinq mille balles pour moi. Ça vaut la peine.

Nalorgne et Pérouzin étaient bien de cet avis, mais Nalorgne, cependant, élevait une timide objection :

— Venez avec nous, Prosper, vous verrez l’individu, vous verrez ce Bertrand, s’il vous plaît.

Autant eût valu chanter. Prosper était déjà debout :

— Ta, ta, ta, faisait-il, vous parlez comme un gosse, non, je n’irai pas au Café blanc, inutile. Il vaut beaucoup mieux que je m’en aille rôder aux environs de chez Hervé, si jamais il y avait un coup de Trafalgar. Je vous téléphonerais à votre café, pour vous prévenir d’avoir à revenir d’urgence au Contentieux. Car, bien entendu, vous ne donnez pas l’adresse du Contentieux à ce Bertrand. Vous direz que vous êtes très pressés, qu’il vous rapporte les fonds au café où vous allez, en l’attendant, préparer tout une tournée d’encaissement. Quand il reviendra avec les sous, vous trouverez bien moyen de l’occuper jusqu’au soir et nous verrons ensemble s’il convient alors de l’employer à d’autres expéditions.

— Vous avez raison, disait-il, vous parlez comme un sage.

— Parbleu, je parle d’or.

***

— Ainsi, monsieur Bertrand, c’est bien entendu. Si, pendant huit jours, vous nous donnez satisfaction, si vous êtes ponctuel, régulier, si vous ne donnez lieu à aucune plainte de la part de nos clients qui sont tous des gens respectables, de gros industriels, de riches financiers, nous vous engagerons chez nous aux appointements mensuels de 1.200 francs, qui seront, après un an de loyaux services, élevés à 1.300 francs. Cela vous va-t-il ?

Dans le petit Café blanc, qui fait le coin de la place de Courcelles, un petit café modeste, tranquille, où les consommateurs ne sont jamais bien nombreux, Nalorgne et Pérouzin négociaient, avec M. Bertrand, l’arrangement prochain.

M. Bertrand apparaissait comme un petit vieillard, d’âge indéfinissable, plus près de la soixantaine, cependant, que de la cinquantaine. Il était grand, mais courbé, maigre, il avait une face osseuse, embroussaillée d’une barbe forte et longue, une moustache relevée à la mousquetaire. Sa mise était simple, correcte. Un paletot lustré par l’usage, mais scrupuleusement brossé, un melon que les averses avaient un peu déformé, des bottines de coupe assez fine, bien cirées, mais prêtes à craquer. C’était le type du vieux militaire, vivant chichement d’une parcimonieuse retraite et perpétuellement en quête d’une petite occupation, d’un modeste emploi permettant d’ajouter quelque aisance au strict nécessaire que l’État fournit à ses anciens serviteurs. M. Bertrand, à toutes les paroles de Nalorgne, à tous les gestes de Pérouzin, s’inclinait, saluait, souriait, ne sachant, évidemment, dans sa candeur naïve, comment manifester son contentement et le vif désir qu’il avait d’arriver à une entente définitive avec ceux qu’il n’osait pas appeler encore ses patrons.

— Eh bien, monsieur Bertrand, puisque nous sommes d’accord, au travail. C’est un peu imprudent, ce que nous allons faire, mais vous nous inspirez confiance. Tenez, vous allez entrer immédiatement en fonctions. Voici une facture, une facture de la maison Norel, que nous sommes chargés d’encaisser chez un monsieur. Il est en ce moment huit heures moins vingt, hâtez-vous de vous rendre à cette adresse, car il faut toucher à huit heures exactement. On devra vous remettre dix mille francs. Je n’ai pas besoin de vous recommander de faire attention pour qu’il n’y ait pas d’erreur. En matière de finances, une erreur est toujours désagréable et je dois vous prévenir que mon associé et moi sommes intraitables à ce sujet. Nous ne nous trompons pas dans nos comptes, nous ne voulons pas que l’on se trompe. Allons, dépêchez-vous, monsieur Bertrand, vous en avez pour une demi-heure, trois quarts d’heure au plus, vous nous retrouverez ici, car pendant que vous allez effectuer cet encaissement, nous verrons à établir la liste des courses urgentes que nous aurons à vous donner pour tout à l’heure.

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