La main coupee (Отрезанная рука) - Страница 69

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Pour un peu, M. de Vaugreland aurait été tout disposé à appeler Ivan Ivanovitch et à lui remettre les trois cent mille francs qu’il demandait.

À ce moment, un chef des jeux passa à côté de M. de Vaugreland.

Celui-ci l’appela :

— Vous voyez cette table, fit-il, cette table de roulette où se trouve ce monsieur qui perd tant ?

— Parfaitement, reconnut l’employé, ce soir, M. Ivan Ivanovitch fait des différences considérables.

M. de Vaugreland, hagard, considéra son subordonné. Il balbutia, pensant tout haut plutôt qu’il ne donnait un ordre :

— Ne pourrait-on pas le faire gagner ?

Le chef des jeux se contentait de sourire, fort éloigné de comprendre toute l’angoisse qui inspirait ces propos au directeur du Casino.

— Ah, fit-il en souriant, il faudrait alors pouvoir commander à la chance, être maître du hasard.

Il ajouta, changeant de sujet de conversation :

— Nous avons une belle chambrée, ce soir, monsieur. Jamais le casino n’a fait de si superbes recettes.

M. de Vaugreland, incapable de maîtriser son émotion, coupa court à l’entretien, pirouettant sur ses talons.

Peu lui importaient les recettes ce soir là.

Soudain son cœur faillit s’arrêter de battre.

M. de Vaugreland avait perdu de vue Juve et Fandor, mais il ne quittait pas des yeux Ivan Ivanovitch.

Or, celui-ci, brusquement, venait de quitter la table de roulette.

L’officier chancelait comme un homme ivre. Il parut hésiter tout d’abord, ne sachant trop de quel côté se diriger.

Machinalement, il se passa la main sur le front. Il épongea les grosses gouttes de sueur qui ruisselaient le long de ses tempes. Il s’avança, traversa la pièce, encombrée de foule et s’en vint dans la galerie.

M. de Vaugreland, qui le suivait de loin, eut un léger soupir de satisfaction, car il aperçut alors Juve dissimulé dans l’encoignure d’une fenêtre. À côté de lui se trouvait Fandor. Un peu derrière ceux-ci, se tenaient Pérouzin et Nalorgne, affectant des airs indifférents, mais prêts à s’abattre sur l’officier si celui-ci faisait un mouvement.

Était-ce l’instant décisif ? Ivan Ivanovitch venait de regarder sa montre.

Il se dirigea la tête basse vers l’escalier qui conduisait aux bureaux de l’administration. Comptait-il se rendre chez le directeur, qu’il n’avait pas remarqué dans la salle et croyait sans doute à son cabinet ? Si telle était l’intention de l’officier russe on pouvait espérer qu’une explication interviendrait. Depuis plus d’une heure déjà qu’il était au Casino, rien d’anormal ne s’était produit, peut-être avait-il décidé de surseoir au bombardement, peut-être n’était-ce qu’une menace ?

Mais alors qu’il émettait cette pensée optimiste – car on croit aisément ce que l’on désire – M. de Vaugreland dut changer brusquement d’opinion.

Il recula d’un bond, étouffa un cri de terreur, s’appuya le long d’un mur pour ne point défaillir, ses jambes molles ne le portaient plus.

Ivan Ivanovitch, soudain, venait de rebrousser chemin.

L’officier s’était précipité vers une fenêtre ouverte et regardait au dehors. Cette fenêtre, par-dessus les jardins donnait sur la mer et à ce moment précis, Juve, Fandor, les inspecteurs, le directeur du Casino, dont les regards, machinalement, avaient suivi celui de l’officier, voyaient au large un spectacle extraordinaire.

L’imposante et lourde masse que faisait sur les flots la silhouette du Skobeleffavait grossi, se rapprochant de terre. Les feux du navire étaient allumés, les lumières fusaient à travers les sabords et une grosse fumée noire s’échappait des cheminées.

Qu’allait-il se passer ?

Hélas, si le Skobeleffavait désormais reçu l’ordre de bombarder le Casino, nulle puissance au monde ne pourrait l’arrêter.

Une abjecte terreur s’était emparée du directeur. Déjà il voyait le pittoresque immeuble dont il avait la haute direction, chanceler, s’écrouler. Ses ruines fumantes, ensevelissaient sous les décombres la foule des malheureux qui entouraient les tables de jeu ou allaient et venaient dans les galeries, dans l’Atrium, flirtant, plaisantant, gais, insouciants, tout à la joie de vivre. Mais le plus surpris de tous, c’était – en apparence du moins – Ivan Ivanovitch.

L’officier, tout d’abord interdit, avait ensuite levé les bras au ciel, dans un geste d’affolement.

Puis, ne pouvant plus se contenir, cessant de dissimuler, il se précipita, enjambait la fenêtre, sauta dans le jardin.

Les inspecteurs s’élancèrent sur ses talons.

Il n’y avait pas à en douter, c’était assurément le signal, c’était l’heure précise où le drame devait commencer.

— Ah, jura Pérouzin, tu n’échapperas pas et si nous y passons, tu y passeras le premier.

L’ex-notaire n’avait pas achevé, qu’un coup de revolver retentissait.

Juve, à bout portant, venait, en effet, de tirer sur Ivan Ivanovitch.

Mais le policier s’arrêta, interdit, stupéfait…

Il avait tiré en pleine poitrine et Ivan Ivanovitch courait encore.

Juve n’avait pas le temps de se demander longtemps qu’elle était la cause de cette invulnérabilité ? Elle n’était d’ailleurs qu’apparente. Une seconde après retentissait un second coup de feu, puis un troisième.

C’étaient les inspecteurs du Casino qui avaient tiré et, cette fois, l’officier russe, s’arrêta brusquement, chancela une seconde, puis tomba sur le sol, perdant son sang de toutes parts. Le malheureux se roulait dans la poussière, en proie à des souffrances épouvantables. Il n’avait pas été tué sur le coup.

Juve se précipita vers lui :

— Ivan Ivanovitch, qu’avez-vous fait ? qu’alliez-vous faire ? interrogea-t-il vos ordres sont-ils donnés ? répondez avant de mourir. Le Skobeleffdoit-il bombarder le Casino ?

Mais le moribond ne semblait rien comprendre à l’interrogatoire de Juve.

Sur son visage déjà blême, s’appliquait le masque de la mort. Cependant qu’il vomissait son sang, il articula d’une voix imperceptible :

— Ah, c’est l’expiation, je meurs, j’expie.

— Juve, hurla une voix, à la fois tonitruante et terrifiée.

C’était Fandor qui appelait le policier :

— Juve, regardez, c’est effroyable, c’est fou. Ah, regardez, Ivan Ivanovitch est mort et pourtant Ivan Ivanovitch se sauve. Oui, nous avions raison l’un et l’autre, ils étaient deux, ils sont deux.

Juve, sans souci du moribond qui exhalait ses derniers râles, se précipita au côté de Fandor.

Le journaliste était monté sur un banc, du haut duquel on découvrait un superbe panorama sur la mer.

Or, voici que dans le pinceau lumineux qu’envoyait le phare sur le Skobeleffafin de comprendre les mouvements qu’effectuait le grand cuirassé, venait de se silhouetter une baleinière menée par six marins qui ramaient vigoureusement. Debout à l’arrière de la baleinière, à la place du commandement, se trouvait Ivan Ivanovitch… un autre Ivan Ivanovitch.

Et celui-là était revêtu d’un uniforme, il allait rejoindre le navire.

Qu’allait-il se passer à bord ?

***

Pendant que se déroulait cet épisode qui apprenait enfin au policier et au journaliste qu’il y avait deux Ivan Ivanovitch, solution, hélas, connue trop tard, solution qui faisait que l’un d’eux, probablement l’innocent, gisait désormais, raidi par la mort. Juve, machinalement, examinait son revolver et se demandait pourquoi sa balle n’avait pas atteint l’infortuné officier russe lorsque, le premier, il avait visé sa poitrine.

Or, Juve s’apercevait qu’à part une cartouche désormais brûlée et dont la balle évidemment avait été retirée, le barillet de son arme était vide.

Non. Il contenait une feuille de papier, où il lut ces mots :

«  La fille de Fantômas vous épargne un crime et fait son devoir en sauvant son père. »

— Fandor, s’écria Juve, lis ça.

Le journaliste s’approcha :

— La fille de Fantômas, déclara-t-il, sauve son père, parbleu, Juve, l’officier qui désormais se rend à bord du Skobeleffn’est assurément personne d’autre que Fantômas.

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