La livree du crime (Преступная ливрея) - Страница 52
Ce n’est pas, en vérité, uniquement pour donner satisfaction à l’opinion que Juve s’habilla en hâte et partit pour Les Lilas. Le policier se souciait fort peu de ce que l’on est convenu d’appeler « l’opinion », qui avait une importance capitale aux yeux de M. Havard. L’opinion, c’était, pour Juve, quelque chose de négligeable au regard de la conscience, et c’était en s’aidant de sa conscience que Juve se promettait d’apporter tous ses soins à la nouvelle enquête qu’on lui confiait. Depuis longtemps, en effet, Juve considérait que les crimes le plus souvent ne sauraient être considérés comme formant autant d’affaires nettement définies et distinctes. Il jugeait et l’expérience lui avait à maintes reprises donné raison, que les affaires sont reliées entre elles, qu’elles dépendent les unes des autres, que les criminels appartenant au monde de la pègre se connaissent, se renseignent entre eux, ont des affinités, des rapports, ce qui fait qu’il est toujours intéressant, dans l’étude d’une affaire, de ne point oublier les constatations établies au cours d’une enquête se rapportant à une autre affaire.
— Célestin Labourette, songeait Juve, tout en s’habillant, Je connais ce nom, mais du diable si je peux préciser où je l’ai entendu pour la première fois. Célestin Labourette, un marchand de cochons ? m’a dit M. Havard.
Et puis, soudain, Juve se souvint. Célestin Labourette, mais oui ! Au Crocodile, le gros qui disait : « Parfaitement, je suis marchand de cochons, gros marchand de cochons, comme qui dirait le roi des marchands de cochons. »
Maintenant qu’il y pensait, d’ailleurs, c’est ce même soir, avec Backefelder, qu’il avait vu Adèle et Chonchon, sans compter le maître d’hôtel : Bébé. Crédibisèque, il ne fallait pas beaucoup de flair pour sentir les traces de… Ne nous énervons pas.
***
Au commissariat de police des Lilas, le collègue de service ne lui laissa même pas le temps d’ouvrir la bouche :
— Eh bien, mon cher, pour une fois, je crois que vous arrivez comme les carabiniers d’Offenbach. Il n’y a plus rien à trouver. Le coupable est sous les verrous. Par conséquent, j’imagine que, grâce à ses aveux, grâce aux dénonciations de ses complices, nous saurons tout.
— Eh bien, c’est parfait, la besogne va nous être simplifiée si réellement l’un des assassins est déjà sous les verrous. En somme, que s’est-il passé ? que savez-vous ? comment avez-vous été prévenu ?
— Voici en deux mots l’affaire. Hier soir, vers onze heures, j’étais en train de signer des rapports, des papiers administratifs, lorsque tout d’un coup, le brigadier de garde a frappé à la porte de mon cabinet. C’est un homme en qui j’ai toute confiance, sérieux, habile, connaissant son métier. « Monsieur le commissaire, m’a-t-il déclaré, il y a l’agent Perrier qui vient de rentrer au poste et qui raconte une histoire extraordinaire. »
J’ai fait entrer l’agent Perrier et il m’a raconté, en effet, des choses extraordinaires. Au beau milieu de sa faction, alors que, suivant sa propre expression, il ne « songeait à rien du tout », il a entendu des cris, puis des coups de revolver provenant d’une petite villa voisine. Mon agent a aperçu une grosse femme vêtue de façon un peu voyante qui s’enfuyait en toute hâte, cependant qu’à la porte d’entrée une autre femme lui criait :
— Reviens donc, Chonchon, es-tu bête. C’est pas à nous qu’ils en veulent. C’est les poteaux.
— Alors, qu’a fait l’agent Perrier ?
— Il a écouté.
— Mon Dieu, il aurait dû se précipiter dans cette maison.
— C’est là où la chose devient tout à fait cocasse. L’agent Perrier s’est convaincu qu’il y avait toute une bande de cambrioleurs occupés à l’intérieur de la maisonnette. Il a entendu des bruits de pas, des bruits de voix, puis des lumières ont passé aux fenêtres, enfin un remue-ménage extraordinaire à cette heure avancée de la nuit.
— Et alors, l’agent Perrier est entré dans la maison ?
— L’agent Perrier n’est pas entré, il était seul, il se serait fait tuer. Non. Il a eu une heureuse inspiration. Il est revenu au poste pour donner l’alarme et c’est à ce moment que j’ai décidé d’intervenir. Averti, j’ai immédiatement pris cinq hommes avec moi et nous nous sommes élancés vers la maison. Nous allions atteindre la grille. À ce moment précis, nous avons vu un homme qui en sortait sur la pointe des pieds, si j’ose m’exprimer ainsi, et prenait les plus grandes précautions pour n’être pas découvert. On l’a ceinturé, mis hors d’état de nuire. Rien qu’à sa façon de s’habiller, c’est visiblement un des apaches qui ont attaqué la villa.
— Et qu’a-t-il dit ?
— Rien. Depuis son arrestation, il s’enferme dans un mutisme absolu.
— Nous verrons à l’interroger tout à l’heure. L’arrestation faite, comment avez-vous opéré ?
— Comme il le fallait, j’ai laissé deux de mes hommes avec le prisonnier qui avait les menottes, en leur enjoignant de le conduire au poste où il est encore. Puis, avec les trois agents restants, j’ai sonné à la grille de la villa et je suis entré.
— Il n’y avait plus personne ?
— Comment le savez-vous ?
— Dame, si vous avez sonné pour vous annoncer.
Un silence. Le commissaire était maintenant au paroxysme d’une colère contenue. N’empêche, il fallait répondre. Les règles de la politesse administrative l’exigeaient :
— Nous sommes entrés et nous nous sommes précipités aussi vite que nous l’avons pu dans la petite maison. Nous sommes arrivés juste à temps pour apercevoir un groupe d’hommes qui sautaient le mur du fond du jardin. Ils se sont enfuis à travers les terrains vagues derrière, emportant, si nous l’avons bien vu, un corps, quelqu’un, un blessé.
— Et vous les avez poursuivis ?
— Nous avons fouillé la maison, d’abord.
— Ah ?
— Et c’est alors que nous avons trouvé dans la salle à manger le malheureux propriétaire de la villa. Célestin Labourette, à demi-mort, criblé de coups de couteau, baignant dans son sang et si terriblement atteint qu’à l’hôpital où je l’ai fait immédiatement transporter, on désespère de le sauver. Défense de l’interroger.
— Vous n’avez rien trouver d’autre ?
— Si, dans la cave, une petite lampe électrique allumée.
— Et c’est tout ?
— C’est tout. Je ne vous parle point des meubles cambriolés, un petit coffre-fort forcé, des dégâts.
— Eh bien, tout cela me semble parfait, voyons l’homme que vous avez arrêté, dit Juve.
Le commissaire envoya chercher l’homme arrêté. Juve se carra dans le fauteuil de cuir, prépara un carnet et, le crayon à la main, s’apprêta à prendre des notes.
Dans le couloir, on entendait le gardien qui pressait son prisonnier :
— Avance donc, sacré nom.
Puis, la porte du cabinet du commissaire s’ouvrit. Juve était placé juste en face. C’est lui qui, le premier, devait apercevoir celui qu’on allait introduire.
Et Juve éclata de rire. Un rire énorme. Pas du tout conforme au personnage dont il était venu tenir le rôle au commissariat des Lilas.
— Qu’avez-vous ? demanda le commissaire.
— Vite, lui répondit Juve, faites-moi le plaisir de détacher cet homme. Les clefs de ces poussettes, tout de suite, ou je me fâche, crédibisèque.
— Mais…, firent le Commissaire et le gardien de la paix, vous n’allez pas détacher cet homme.
— Bougre de nom d’un chien, dépêchez-vous donc. Puisque je vous dis que c’est Jérôme Fandor, de La Capitale, aussi innocent que moi. Faut-il être bête pour l’avoir arrêté et pris pour un apache.
***
Une heure plus tard, Fandor, mis en liberté grâce à l’insistance de Juve qui, cependant, pour convaincre le commissaire de police de l’imbécillité de son arrestation, dut téléphoner à M. Havard, le policier et le journaliste étaient attablés dans une petite salle proprette et pauvre formant l’arrière-boutique de l’un des restaurants des Lilas. Devant eux, fumaient deux grands bols de chocolat et ils mettaient à mal, avec entrain, une corbeille de brioches. Juve, tout yeux et tout oreilles, écoutait Fandor qui, enfin, consentait à le mettre au courant de ses propres exploits.