La livree du crime (Преступная ливрея) - Страница 49

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Il se retournait comme s’il eût redouté d’être suivi. De l’intérieur du fiacre, d’où par les portières dont les vitres étaient abaissées, sortaient des coudes et des bras, montaient des râles et des plaintes que couvraient des bruits de voix. De temps à autre une tête blafarde se penchait hors de la portière et semblait chercher, dans l’atmosphère matinale, un peu d’air pur à respirer.

L’équipage se hissa lentement vers les hauteurs de Belleville. Lorsqu’il atteignit la place du Danube, le cheval s’arrêta. Le cocher refusait d’aller plus loin.

— Jamais, grommelait-il, avec une charge pareille, mon carcan ne sera foutu de remorquer la tinette jusqu’en haut de la butte. On a convenu de trois francs pour venir jusqu’ici, aboulez la galette, je ne veux plus rien savoir. Je m’en vas relayer.

— Pousse, mon vieux, dit son voisin de siège, tape sur ta rosse, un dernier coup et quand on sera arrivé, on te paiera un verre avec les copains.

— Regarde donc s’il est fadé mon carcan. Il n’en peut plus foutre une datte. Autant me demander de le crever tout de suite. Allez, débinez-vous, tous tant que vous êtes. J’en ai assez de charrier une marchandise pareille. Savoir d’où c’est que vous venez et si vous n’avez pas fait un mauvais coup.

— Ce que t’es poireau, dit le jeune homme pale et grelottant, on n’a rien fait du tout de mal, c’est un aminche qui s’est trouvé tourner de l’œil, rapport à ce qu’il a rapporté les vertiges quand il tirait son temps aux colonies. On pouvait tout de même pas le coller dans le métro.

— Allez, caltez, mes trois francs et que ça finisse. Autrement, je vous compte plus cher, car ce sera à l’heure.

Sur la place du Danube, jusqu’alors déserte, apparaissaient quelques passants. Les clients du fiacre attardé, qui s’en aperçurent et redoutaient évidemment de déterminer un attroupement, après un bref conciliabule tenu à l’intérieur du véhicule, n’insistèrent pas. Ils sortirent trois du misérable véhicule, s’extrayant avec peine et à reculons par les portières grandes ouvertes. Lorsqu’ils furent dehors, prenant par les jambes et les épaules une quatrième personne qui se trouvait encore à l’intérieur de la voiture, ils la transportèrent sur un banc où ils l’étendirent en attendant. Le garçon pâle, non sans peine, avait réuni, en quêtant auprès de ses camarades la somme convenue avec le cocher de fiacre. Il la lui remit non sans manifester son amertume :

— Tu n’es pas un frère. Bourgeois repu qui veut pas rendre service à l’ouvrier. Plus souvent qu’on te donnera un pourboire. Tâche moyen plutôt de ne jamais te retrouver sur notre route.

Le cocher, indifférent à ses apostrophes, empochait l’argent, non sans avoir, au préalable, vérifié la qualité des pièces.

Il fit claquer son fouet, agita les guides :

— Ça va bien, ça va bien, disait-il, y a pas que vous autres comme clients dans Paris. Heureusement. Sans quoi j’aimerais mieux coller ma démission tout de suite.

***

Tandis que le fiacre s’éloignait, les compagnons du jeune homme pâle, tous vêtus comme lui, tous d’allures suspectes, s’étaient réunis auprès du banc sur lequel gisait, inerte, leur camarade. Autour du cou et du front de ce dernier, on avait noué deux mouchoirs qui, par endroit, se teintaient de sang. Le malade, le blessé, était un vigoureux gaillard aux épaules robustes, à la forte moustache dont la teinte noire tranchait sur la pâleur cadavérique du visage.

— M’est avis, Bec-de-Gaz, murmura le jeune homme pâle, que le Bedeau est bien touché.

Le grand apache, car c’était lui qui figurait au nombre de ces personnages, haussa les épaules :

— On peut pas savoir. Il est solide. Ça peut bien se réparer.

Œil-de-Bœuf, qui se trouvait là aussi, ajouta :

— Faudrait tout de même point le laisser crever comme un chien dans la rue, d’autant plus que si les flics s’amènent, ils sont capables de nous demander de quoi qu’il retourne.

— Et, poursuivait le troisième individu, qui n’était autre que le Barbu, on serait très embarrassé pour leur répondre.

— On est plus qu’à deux cents mètres à peine de sa tôle. On va le prendre par les pattes et le monter jusque dans son plumard, dit Mort-Subite.

Mais, au lieu de suivre les rues, la sinistre petite troupe porteuse de ce demi cadavre s’introduisit par un trou de la palissade, dans le grand terrain vague qui s’étend entre la place du Danube et monte sur le flanc escarpé de la butte, jusqu’en bordure de la rue de la Liberté. L’ascension était pénible, la charge était lourde, on trébuchait dans les trous, on glissait sur de la terre glaise. À plusieurs reprises, les sinistres porteurs durent s’arrêter, déposer leur fardeau sur l’herbe humide jonchée de morceaux d’assiettes, de tessons de bouteilles, de couvercles de boîtes à sardines. Ils s’épongeaient le front, échangeaient quelques paroles brèves et grossières, puis, se relayant des pieds à la tête, ils recommençaient leur promenade. Ils finirent enfin par atteindre la rue de la Liberté, juste en face du passage de la Renaissance. Mort-Subite, envoyé en éclaireur, s’assura que la rue était déserte et sur un signe de lui, ses compagnons la traversèrent pour rentrer de l’autre côté, dans un autre terrain vague qui communiquait avec le derrière des petites masures entre lesquelles se trouve l’étroit passage bitumé.

Mort-Subite poussa d’un brusque coup d’épaule une porte basse qui s’encadrait dans les briques d’un muretin. Puis, le lugubre cortège, non sans peine et non sans secousses, qui arrachaient au patient des cris plaintifs, s’introduisit dans une sorte de courette intérieure à l’odeur nauséabonde.

— Ouf, s’écria Bec-de-Gaz, cependant que Mort-Subite refermait prudemment la porte, on est arrivé, c’est pas trop tôt.

— Ben, ajouta le Barbu, faut croire qu’on est verni. On n’a rencontré personne.

Cependant qu’une fenêtre, au rez-de-chaussée de la masure, s’entrebâillait, une tête de femme, tête tragique, aux cheveux noirs ébouriffés, aux grands yeux bruns inquiets et troublants, se montra :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ah c’est toi, Fleur-de-Rogue ? eh ben, c’est les copains, dit Œil-de-Bœuf, on te ramène ton homme. Il a ramassé une bûche. Faudrait voir à le coller au pieu et à regarder s’il n’est pas trop démoli.

— C’est-y qu’il s’est battu ? C’est-y que vous l’avez crevé ?

— On est pour rien là-dedans, affirma péremptoirement le Barbu, et t’as pas besoin de savoir comment que les choses sont arrivées. On te ramène ton homme, dans l’état où il se trouve, et voilà. Fais-en ce que tu voudras, mais si j’ai un conseil à te donner, c’est de t’en arranger dans ta carrée et de ne pas aller chercher les croque-morts de l’houstot qui pourraient la trouver mauvaise et chercher à se rancarder.

Fleur-de-Rogue avait compris.

— Encore un sale coup, murmura-t-elle, des trucs avec la police et pas moyen de le faire soigner, sans attirer les soupçons des gars de la préfecture. C’est bon, on fera son possible pour le soigner en douce.

Quelques instants après, dans une chambre misérablement meublée, le Bedeau était étendu sur un matelas jeté au milieu de la pièce. Fleur-de-Rogue avait immédiatement organisé le logement qu’elle occupait avec son amant en une infirmerie provisoire, et divisé le lit commun en deux, attribuant la plume moelleuse de sa literie au blessé, cependant qu’elle se réservait la paillasse et une vieille couverture.

La maîtresse du Bedeau se pencha sur son homme, dénoua avec précaution les linges qui lui enveloppaient la tête, dissimulant ses blessures. Elle ne put retenir un cri d’horreur lorsque celles-ci furent mises à nu. La tempe droite du Bedeau était démesurément enflée, une tache noire de sang extravasé s’étendait depuis le milieu du front jusqu’en haut de l’oreille, couvrant l’œil, la pommette. Cependant, l’oreille elle-même, toute sanguinolente, pendait à moitié arrachée. Plus bas, à l’attache du cou et de l’épaule, c’était une entaille large et profonde, par laquelle, entre deux caillots déjà formés, coulait un sang noir. Avec une serviette qu’elle trempait dans de l’eau froide, Fleur-de-Rogue étancha les impuretés qui s’étaient mêlées à la blessure, des brindilles de paille, du sable, de la terre :

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