La livree du crime (Преступная ливрея) - Страница 14

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— Mon pauvre Bec-de-Gaz, je suis bien désolé à l’idée que tu vas me quitter pour le champ de navet.

— Encore un saladier ? Œil-de-Bœuf.

— Encore un, Bec-de-Gaz.

Cependant que ce dialogue s’échangeait à une table, à l’autre, dans un groupe mystérieusement composé du Bedeau, de Mort-Subite et de Fleur-de-Rogue en pleine lune de miel avec le redoutable sonneur, on buvait discrètement et copieusement aussi, car on était riche, à la santé de celui qui, quelques heures auparavant, venait de semer l’or dans les bouges où se terraient jusqu’à la nuit les apaches du quartier. Et c’était la santé de Fantômas que l’on portait, car l’Empereur du Crime, conformément à sa promesse de la veille, leur avait donné de l’argent à tous.

— Et ça n’est pas fini, avait-il déclaré au Bedeau qu’il avait pris à part, ça ne fait que commencer. D’ici quelques jours la bande des Ténébreux sera reconstituée et alors on verra ce qu’on verra.

Cependant, dans la rue sombre, sur le bord des terrains vagues, deux femmes discutaient mystérieusement. C’était Marie Bernard et la vendeuse de fleurs, que la pègre désignait sous le surnom de la Guêpe, en raison de la finesse de sa taille.

L’excellente mère de famille, la digne épouse du terrassier expliquait à la jolie fille :

— Crois-tu que ce n’est pas incompréhensible cette affaire-là ? Mon loyer n’est pas payé et ceux des locataires non plus, et pourtant, on a toutes donné un acompte à la dame de l’Œuvre qui vient tous les trois mois, à M me Gauthier. Le proprio a fait savoir que du moment que l’Œuvre n’avait pas raqué, c’était nous autres qu’on devait le faire, ou bien alors qu’on serait vendus.

— Cela m’étonne beaucoup, déclara-t-elle, puisque M me Gauthier a touché l’argent, elle a dû payer, elle a payé.

Mais, à ce moment même, un groupe de femmes et d’enfants s’ameutaient au coin du passage de la Renaissance sous l’inspiration du chemineau Bouzille :

— La voleuse, la voleuse, criait-on sur l’air des lampions, cependant que la voix du chemineau, dominant le tumulte, hurlait :

— Je connais son adresse, c’est rue des Mathurins. Allons-y les aminches, et comment qu’on va lui faire un chahut à celle qui vole l’argent du prolétaire.

La petite troupe tapageuse s’éloignant du terrain vague parvint au carrefour de la place du Danube, méditant de pénétrer dans le métro. La police veillait, son attention avait été attirée par les clameurs. Et, en dépit des protestations, des explications confuses qu’elles donnèrent, les braves ménagères furent dispersées, tandis que Bouzille, la forte tête de la bande, l’homme qui dirigeait l’expédition, était, malgré ses protestations et ses discours, conduit au poste.

La Guêpe savait maintenant à quoi s’en tenir.

Et la jolie fleuriste considérait d’un air désolé la pauvre mère de famille qui pleurait toutes les larmes de son corps à l’idée qu’elle allait peut-être être expulsée le lendemain. La Guêpe, lentement, fouilla dans sa poche, en sortit une poignée de monnaie qu’elle déposa dans la main de son amie :

— Prends, dit-elle, et ne dis rien.

— Mais, s’écria Marie Bernard, c’est de l’or, rien que des pièces d’or. Tu me donnes trop, la Guêpe, et puis, d’où vient cette fortune ?

— Prends, cet argent est pour toi.

Puis, la fleuriste, craignant sans doute d’en avoir trop dit, s’éloigna à grands pas, laissant Marie Bernard interdite derrière elle.

La Guêpe, toutefois, s’en allait le cœur plus léger ; l’or qu’elle venait de donner charitablement à l’infortunée mère de famille lui avait brûlé les doigts jusqu’alors, car il provenait du partage, et le Bedeau, trésorier de Fantômas s’était chargé de le lui remettre. La Guêpe y avait droit. N’avait-elle pas appartenu aux Ténébreux, naguère ? Elle n’avait pas osé refuser.

6 – UNE FILATURE

— Ouf, fit Juve.

Le policier, anéanti, se laissa tomber sur le grand fauteuil de cuir, seul meuble confortable qui se trouvât dans son bureau de travail. Il venait de remonter les quatre étages de son appartement de la rue Bonaparte et il s’apprêtait à goûter, avec une évidente satisfaction, le charme de quelques heures de repos.

Il était deux heures de l’après-midi. Depuis plusieurs jours, l’inspecteur de la Sûreté n’avait pas arrêté, multipliant ses enquêtes, organisant ses filatures, allant, venant interrogeant, s’efforçant de faire la lumière sur le mystérieux drame qui avait ému non seulement les habitants de la villa Saïd, mais encore tout l’élégant quartier de l’avenue du Bois-de-Boulogne et de l’Étoile.

La veille, alors qu’il était en pleine enquête, Juve avait été soudain appelé au dehors de l’hôtel habité par Rita d’Anrémont et l’infortuné Sébastien. Un de ses agents lui apportait une carte sous enveloppe fermée et Juve s’était précipité hors de l’hôtel, puis de la villa, pour se rendre au coin de la rue Pergolèse.

Là, un homme l’attendait à qui le policier serra chaleureusement la main :

— Fandor, mon bon Fandor, s’était écrié Juve, que deviens-tu ? que se passe-t-il ? As-tu donc quelque chose d’urgent à me dire ? Tu connais l’affaire dont je m’occupe ?

— Naturellement, répliqua le journaliste, et c’est pour cela que je viens, ou plutôt pour autre chose. Mais j’ai comme une vague idée qu’il y a un lien… Juve, je viens de voir lady Beltham et je sais où elle demeure.

— Lady Beltham, eh bien, en voilà une affaire.

Le journaliste, à mots rapides, lui dit la rencontre qu’il venait de faire, le matin même, la découverte que la trésorière de l’Œuvre des Loyers, la pieuse M me Gauthier, de la rue des Mathurins, n’était autre que lady Beltham.

Juve et Fandor en étaient arrivés à cette conclusion le soir même : sitôt que Juve aurait terminé ses interrogatoires à la villa Saïd, ils s’en iraient tous deux rue des Mathurins, se feraient recevoir de gré ou de force par la grande dame, et, tablant sur ce fait qu’elle devait être repentante et prête à s’amender, ils obtiendraient d’elle une alliance qui leur permettrait de rattraper plus facilement l’insaisissable Fantômas.

Quelques heures plus tard, Juve et Fandor s’étaient rendus rue des Mathurins. Mais lorsqu’ils parvinrent à l’appartement de M me Gauthier, encore une fois, il était trop tard.

Que s’était-il passé ? Oh, la chose était simple. On la racontait dans le quartier avec des commentaires peu flatteurs pour la locataire du 149. M me Gauthier était partie avec l’argent de l’Œuvre des Loyers.

La présidente, M me Marquet-Monnier, s’en était aperçue à cinq heures du soir. En vain était-elle allée porter plainte au commissariat de police, la trésorière avait disparu.

— Que veux-tu, s’était écrié Juve, nous ne sommes pas plus avancés désormais que nous ne l’étions hier. Retourne surveiller les apaches. Moi je suis obligé de parer au plus pressé, il faut d’ailleurs que je retourne immédiatement à la villa Saïd où il va se passer quelque chose d’important.

Juve, en effet, savait qu’à dix heures du soir le frère de l’infortuné Sébastien, M. Nathaniel Marquet-Monnier, allait venir voir le jeune homme auprès duquel il avait rempli jusqu’à ces dernières années le rôle d’un père.

M. Nathaniel Marquet-Monnier, certes, depuis la liaison de Sébastien, était en termes plutôt froids avec son frère cadet. Mais le drame qui était survenu, le malheur qui s’appesantissait sur le jeune homme avaient décidé l’aîné à se précipiter chez lui, à oublier tous les froissements de ces derniers mois.

L’entrevue des deux frères n’avait duré que quelques minutes. Le docteur interdisait à Sébastien toute conversation. Il redoutait pour lui la moindre émotion. Et Nathaniel, sur les conseils même de Juve, s’était abstenu de paraître pendant deux jours. Or, ce soir-là, il était revenu à la Villa Saïd. Le banquier, ému, demeura longtemps devant l’hôtel, attendant qu’on vînt lui ouvrir. Enfin la porte s’entrebâilla, une femme apparu : Rita d’Anrémont. Elle considéra le visiteur d’un air glacial :

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