La livree du crime (Преступная ливрея) - Страница 10
— Le sauver, oui. Je ne crois pas que la vie soit en danger, mais ce que je vous disais ce matin est malheureusement confirmé, les yeux sont perdus, ce garçon restera aveugle.
Sur la pointe des pieds, Juve s’approcha du lit, se pencha sur le jeune homme :
— Monsieur Marquet-Monnier ? Pouvez-vous me répondre ? C’est l’inspecteur Juve qui vous parle.
— Rita ? où est Rita ?
— Votre amie va venir, répondait Juve, qui jetait un regard vers le docteur. Monsieur Marquet-Monnier, je vous en supplie, faites un effort. C’est de la plus haute importance. Savez-vous qui vous a frappé ?
— Non, je n’ai rien vu. On m’a jeté le vitriol au visage, au moment où j’entrais dans ma chambre. Rita me suivait dans l’escalier. Où est-elle ? Je la veux.
— Elle va venir, répétait Juve, calmez-vous. Dites-moi, quelle heure était-il ?
— Neuf heures et demie, dix heures, je ne sais pas. Quelque chose comme cela. Nous montions nous coucher.
Juve allait poser d’autres questions, le médecin l’en empêcha. Il avait pris le poignet du malade, il suivait les battements du pouls.
— Monsieur Juve, dit-il, je crois qu’il serait bon de laisser reposer le malade. Avez-vous encore une question urgente à poser ?
Des bandages, la même voix faible, répétait encore :
— Rita ? Où est Rita ? Je veux qu’on retrouve Rita.
— Il y aurait cruauté, dit Juve, à pousser plus loin cet interrogatoire. Allons, docteur, je vais continuer mon enquête.
— C’est bizarre, murmurait le policier, mais j’ai beau faire, tout semble, dans cette histoire, s’enchaîner pour charger cette extraordinaire Rita d’Anrémont, si mystérieusement disparue. Ce matin, je croyais la bonne coupable, crac, elle revient. L’emploi qu’elle me donne de sa matinée est exact. Bon, je me méfie de ce qu’elle m’affirme quand elle jure n’avoir rien entendu dans la nuit, je monte à sa chambre, j’établis par surprise qu’il est exact en effet que les bruits du premier étage y sont nettement distingués, et puis, la première parole sensée que je tire du malade détruit toute mon hypothèse. Ce jeune homme affirme que le crime a eu lieu entre neuf heures et demie et dix heures. C’est précisément le moment où la jeune Adèle reconnaît qu’elle est sortie. Cela expliquerait qu’elle n’ait rien entendu. Oui, mais alors, comment admettre qu’à son retour, elle ne se soit aperçu de rien ? M. Marquet-Monnier, sans doute, une demi-heure après le crime, pouvait être évanoui. Mais sa maîtresse ? cette Rita d’Anrémont, qui n’est pas là, qui n’est nulle part ? qui le suivait dans l’escalier, au moment où le drame s’est produit ? Comment se fait-il qu’elle n’ait pas appelé ?
Et, entraîné malgré lui par les renseignements mêmes qu’il venait de recueillir, Juve finissait par penser que M. Casimir avait peut-être imaginé juste lorsque le matin il confiait ses craintes à Juve en lui disant :
— Pour moi, M me Rita d’Anrémont a dû être assassinée, je m’attends à ce qu’on trouve son corps d’une minute à l’autre.
Juve traversa le vestibule, sans presque en avoir conscience.
Il releva la tête, brusquement, s’étonnant de voir la porte d’entrée ouverte :
— Tiens, où sont donc le concierge et la femme de chambre ?
Ils étaient dans le jardin.
Juve n’était pas parvenu sur le perron que la petite bonne suivi de M. Casimir se précipita vers lui :
— Monsieur, monsieur, regardez donc, ce que nous venons de trouver.
Elle lui tendit un trousseau de clefs, et expliqua :
— Nous venons de découvrir cela dans la pelouse, tout près de la porte de la grille, ce sont les clefs de madame.
— Voilà qui est intéressant. C’est tout ce qu’il y a de curieux, cette découverte dans le jardin et M. Casimir vient de rendre un signalé service à l’enquête policière. Allons, mademoiselle Adèle, conduisez-moi vers les caves. Il ne faut rien négliger, nous allons fouiller la maison du haut en bas et ouvrir tout ce qui peut être ouvert.
— Je ne sais pas seulement par où on descend à la cave, dit la petite bonne, je n’étais placée chez Madame que depuis un seul jour, et je n’ai pas encore eu besoin…
Déjà M. Casimir intervenait :
— Venez, monsieur, je vais vous conduire moi. J’ai souvent aidé à descendre des pièces de vin, je connais le chemin.
— Il faudrait de la lumière, dit M. Casimir.
Juve tira de sa poche une petite lampe électrique qui ne le quittait jamais.
— Avancez, monsieur Casimir, pressons-nous.
M. Casimir ne semblait pas très rassuré.
— Voulez-vous passer devant ? faisait-il, s’effaçant avec une amabilité obséquieuse et plongeant des regards timides dans l’escalier tortueux qui conduisait aux caves et dont la lampe électrique de Juve n’éclairait que les premiers degrés.
— Je passe, répondit Juve, suivez-moi.
Or, Juve avait à peine fait trois pas dans le couloir de la cave qu’il s’arrêta brusquement, levant la tête, étendant la main, faisant signe à Casimir et à Adèle de s’arrêter eux aussi.
— Écoutez.
Dans le silence de la cave, des gémissements.
Le caveau était rempli de charbon. Sous les planches coincées par un vieux porte-bouteilles dont les pointes s’accrochaient dans un buffet cassé, les pieds dépassant la jupe retroussée pointaient vers le haut, ficelés d’une sorte de câble. Et tout de suite Adèle s’effara :
— Madame, c’est madame, ah mon dieu !
M. Casimir avait tout autant perdu la tête. Seul, Juve, conservait un peu de sang-froid. Il prit à bras le corps, la malheureuse qui hébétée, à demi évanouie, inconsciente, gémissait.
— Un cordial, vite, et prévenez le Docteur.
***
Une heure plus tard, dans le salon du rez-de-chaussée, Juve en présence de Rita d’Anrémont avoua qu’il ne comprenait plus rien de rien à cette tragique affaire qu’il tentait depuis le matin d’éclaircir.
— Enfin, madame, que vous est-il arrivé ?
C’était la vingtième fois que le policier posait cette question à la demi-mondaine.
— Ce qui s’est passé ? mais je n’en sais rien. Nous montions nous coucher, mon pauvre Sébastien et moi, lui était devant moi, il a eu la galanterie d’entrer dans la chambre le premier pour allumer l’électricité et j’attendais debout au milieu de l’escalier qu’il ait fait la lumière pour continuer d’avancer, lorsque soudain je l’ai entendu qui poussait un cri horrible, et au même moment, moi aussi j’ai crié, car j’ai senti qu’on me saisissait par derrière, j’ai été étouffée à moitié par un bâillon, j’ai perdu connaissance. J’ai eu l’impression qu’on m’emportait. C’est tout ce que je sais. Jusqu’au réveil dans la cave sous les planches, roulée comme un saucisson.
— Et vous n’avez pas vu vos agresseurs ? Vous n’aviez rien entendu dans l’hôtel qui vous ait intriguée avant le moment où vous êtes montée vous coucher ? Quelle heure était-il ?
— À peu près neuf heures, neuf heures et demie, peut-être un peu plus.
Juve, tête basse, s’éloigna de la chaise longue et arpenta le salon à grands pas.
C’était incroyable cette affaire où tous les suspects revenaient d’eux-mêmes se présenter, et dont les mobiles restaient incompréhensibles. Pourquoi avait-on vitriolé Sébastien ? Pourquoi sa maîtresse avait-elle été épargnée ? Mais Rita d’Anrémont, qui il y a quelques instants semblait anéantie, s’était levée, avait couru à Juve et lui disait, véhémente :
— Vous cherchez qui ? Oh parbleu, ça n’est pas difficile, c’est la bonne que j’ai engagée, c’est Adèle qui a introduit les bandits qui nous ont attaqués. C’est elle. L’agression a eu lieu quelques minutes à peine après qu’elle m’ait demandé à sortir.
— Coïncidence, répondit Juve, la bonne ne serait pas revenue si elle avait été complice des assassins, et puis elle donne un emploi de son temps scrupuleusement exact, j’ai vérifié à la minute près.
Déjà Rita s’était affaissée dans un fauteuil. La maîtresse du malheureux Sébastien, sanglotait, gémissant sur un ton désespéré :