La guepe rouge (Красная оса) - Страница 72
Était-ce donc une infâme machination ? Une atroce comédie qu’on avait voulu lui donner ? Toute la haine qu’elle avait accumulée dans son cœur, toute la jalousie qui la faisait souffrir, lui montaient au cerveau.
Lady Beltham bondit comme une folle, l’arme au poing, elle se précipita dans le vestibule, et à bout portant, fracassa la tête de Sarah Gordon.
L’Américaine tomba sans pousser un cri, baignée dans son sang.
Mais, à peine avait-elle tiré, que lady Beltham chancelait, car, devant elle, se trouvait le visage découvert du mort, du mort qui n’était pas Fantômas.
— Malédiction, hurla la malheureuse, ce n’était pas lui, et j’ai tué, j’ai tué cette femme.
À ce moment précis, de sourdes rumeurs s’élevaient. Hélène qui allait accourir, car jusqu’alors, elle était restée aux écoutes à l’entrée du jardin, se sentit trembler.
L’un des hommes qui avait accompagné Dick, surgissait dans le vestibule. C’était cette fois, véritablement Fantômas.
Mais il arrivait trop tard.
Au même instant, une nouvelle détonation retentit : lady Beltham, désespérée du crime qu’elle venait de commettre, s’était tiré un coup de revolver dans la poitrine.
Elle tomba agonisante.
— Maud ! hurla Fantômas, qui vit enfin sa maîtresse.
L’infortunée grande dame avait reconnu la voix de son amant, et faisant un effort suprême, elle essayait de se redresser.
Fantômas s’était jeté à genoux auprès d’elle, il la serrait contre sa poitrine :
— Maud, Maud, balbutia le bandit, qu’avez-vous fait ? Pourquoi mourir ? puisque je suis là, que je vous retrouve ?
Les yeux de lady Beltham se couvraient déjà d’un brouillard rouge et trouble, elle reconnut, toutefois, son amant :
— Fantômas, gémit-elle, vous êtes mon assassin. Vous avez déjà voulu me faire périr, mais soyez heureux, je meurs.
— Ah, s’écria Fantômas, comment pouvez-vous dire une telle chose, Maud. Sur ce que j’ai de plus sacré au monde, sur mon inaltérable amour pour vous, je vous le jure, jamais, au grand jamais, je n’ai voulu votre mort. Si vous saviez ce que j’ai souffert. Lorsque j’ai cru que l’on vous avait assassinée, je n’ai eu de calme et de repos qu’une fois ma vengeance accomplie.
D’un geste tragique, Fantômas désignait le cadavre de Dick :
— C’est lui, c’est cet homme-là qui a voulu vous faire périr. C’est le fils de l’acteur Valgrand.
Lady Beltham avait beau ne l’entendre plus qu’à peine, le nom tragique, le nom de cauchemar et de remords que Fantômas venait de prononcer, lui rappela tout son passé. En l’espace d’une seconde, lady Beltham revit toute son existence, si tragiquement brisée par son amour fatal pour Fantômas.
Elle se sentait mourir. Elle étouffait. Le sang qui s’échappait de sa poitrine avait rougi sa robe toute blanche. Mais un sourire errait sur ses lèvres pâlies. Fantômas venait de lui parler, de la serrer contre son cœur, et elle mourait heureuse. Heureuse d’avoir su qu’elle n’était pas trahie, qu’elle était toujours aimée.
— Maud, Maud, balbutiait Fantômas, en proie à une émotion intense.
Il s’arrêta une seconde, relâcha son étreinte.
Une voix brève et dure venait de s’élever derrière lui :
— Mon père, la police arrive.
Il se retourna, vit Hélène.
La jeune fille avait un masque impénétrable. Elle avait dû, pour arriver jusqu’à Fantômas, écarter de son chemin, le cadavre de Sarah Gordon. Son corsage, ses mains étaient couverts de sang.
— Hélène, gémit Fantômas, lady Beltham se meurt !
La jeune fille ne répondit point. Elle recula de quelques pas, revint sur le perron.
Insensible à se qui se passait, indifférent, Fantômas cherchait sur les lèvres de Lady Beltham son dernier souffle, il épiait son dernier regard :
— Maud, Maud, répéta-t-il d’une voix infiniment douce, je vous aime, je vous aime…
La voix d’Hélène, plus catégorique, plus froide encore que d’ordinaire, retentit dans le silence tragique :
— Mon père, la maison est cernée, disait-elle, la police approche.
On entendait, en effet, des rumeurs qui se précisaient, de plus en plus violentes, des bruits de pas, de branches cassées. Visiblement, les hommes de la Sûreté cherchaient la maison et s’en rapprochaient peu à peu. Quelques ordres brefs, à mi-voix, au lointain. Lady Beltham se mourait. Elle eut un grand soupir, dans lequel elle parut exhaler son âme. Et d’une voix presque imperceptible :
— Fantômas, au nom de notre amour, pardonnez-moi comme je vous pardonne.
— Mon père, cria Hélène, mais un peu plus fort cette fois, ils viennent de faire les trois sommations. Ils vont tirer.
— Qu’ils tirent donc, hurla Fantômas, au comble du désespoir.
Et le bandit, dans un sanglot, ajouta :
— Lady Beltham est morte.
Désormais, Fantômas, en proie à une douleur insensée, s’écroulait sur le plancher du vestibule, serrant dans ses bras le cadavre de lady Beltham couvert de sang.
L’aube se levait. Une vingtaine d’agents de la Sûreté s’étaient dissimulés dans les magasins, entourant la demeure mystérieuse et tragique.
M. Havard avait donné des instructions. On avait fait les trois sommations pour intimer à ceux qui se trouvaient dans la maison l’ordre d’en sortir, les mains hautes, et de se livrer aux autorités. Personne n’avait obtempéré. M. Havard consulta Juve. Bien que sa décision fût déjà prise, il dit au policier :
— Mes hommes ont des balles en quantité suffisante, je vais leur ordonner de faire un feu de salve.
Juve hocha la tête affirmativement :
— C’est votre devoir, monsieur Havard, dit-il, je ne puis m’y opposer.
Le chef de la Sûreté donna un coup de sifflet, ce qui signifiait pour ses subordonnés : « Attention, préparez-vous. »
Mais soudain, Fandor, qui était demeuré à côté de Juve jusqu’alors, bondit devant le policier.
D’un bras qui tremblait d’émotion, il désigna le perron de la maison.
Sur ce perron s’avançait une femme seule, dont la vue fit pâlir les deux hommes :
— C’est la fille de Fantômas, c’est Hélène, c’est la Guêpe, murmuraient les agents.
La Guêpe, le surnom que l’on avait donné jadis à la jeune fille leur revenait à l’esprit.
Et il s’imposait, en effet, car la silhouette d’Hélène se détachait de l’ombre et l’on voyait la finesse extrême de sa taille se découper, une vraie taille de guêpe.
La délicieuse jeune fille qu’était Hélène présentait, cependant un aspect épouvantable. Des pieds à la tête, elle était couverte de sang, elle avait du sang sur le visage, sur sa robe, sur ses mains, et Juve, machinalement, déclara :
— La Guêpe Rouge.
Fandor, néanmoins, avançait seul dans la direction de la maison.
M. Havard, qui allait donner l’ordre de tirer, n’osa le faire :
— Revenez, Fandor ! cria-t-il.
Mais Fandor s’était interposé entre les agents et Hélène.
Et il s’avançait vers elle, lentement, tandis que la jeune fille le voyait venir et demeurait immobile sur le perron. Hélène avait un revolver à la main, elle aperçut Fandor, ses yeux se fixèrent dans les siens, ils exprimèrent un infini désespoir.
Fandor continuait d’avancer, il était au pied du perron, à deux mètres à peine de celle qu’il aimait.
Alors, les lèvres pâles d’Hélène s’agitèrent. La jeune fille le mit en garde :
— N’approchez pas, Fandor, n’approchez pas.
Fandor ne répondit pas un mot, ne fit pas un geste, mais il gravit la première marche, et Hélène lui semblait plus belle qu’elle ne l’avait jamais été, tragique aussi, avec ses pupilles dilatées desquelles sortait un éclair sombre, avec ses bras à demi nus, dont la peau blanche ressortait sous les traces rouges.
Hélène trembla. Elle se rendit compte que la résolution de Fandor était irrévocable, et, le fixant de son regard fou d’amour et d’épouvante, elle répéta :
— De grâce, au nom de notre amour, n’approchez pas.
Fandor monta la seconde marche.