La guepe rouge (Красная оса) - Страница 71
Lady Beltham, pourtant, ne pouvait soupçonner la vérité.
Trois groupes de personnages s’acheminaient, en effet, par des voies différentes, vers la mystérieuse maison de l’avenue des Peupliers.
Il y avait, d’une part, l’automobile de Fantômas dans laquelle se trouvait avec le bandit l’acteur Dick, la voiture tragique d’où s’était échappé, au départ de Paris, un cri d’angoisse, un hurlement de douleur, un râle.
D’autre part, il y avait le taxi-auto loué par Hélène et Sarah Gordon, qui venaient là comme à un rendez-vous dont seule Hélène connaissait le véritable but.
Il y avait enfin, toutes les voitures réquisitionnées par le chef de la Sûreté, voitures emmenant une vingtaine d’agents armés. Au nombre de ces voitures il y en avait une où Juve et Fandor se trouvaient.
Lady Beltham qui avait péniblement gravi les marches du sous-sol, accédant au rez-de-chaussée, arrivait dans le hall de la maison. Il y faisait une lumière discrète, et, drapée de blanc, cependant que ses longs cheveux blancs également étaient épars sur ses épaules, la grande dame écouta avec une secrète angoisse le silence de la nuit.
Oh, cette nuit sombre d’où se dégageait une chaleur moite, une torpeur d’orage ! On n’entendait rien, absolument rien. Pour un peu, lady Beltham aurait perçu les battements de son cœur.
Et, tandis qu’elle réfléchissait, instinctivement sa pensée se reportait à dix ans en arrière :
Dans une maison misérable, située aux environs de la prison de la Santé, elle avait vécu sensiblement à la même époque, une nuit d’angoisse, de terreur et d’émotion semblable à celle-ci, une nuit que rien au monde ne pouvait effacer.
C’était la nuit effroyable qui avait précédé immédiatement l’aube de l’exécution de Fantômas.
Et lady Beltham était alors haletante dans cette maison, attendant l’arrivée de l’acteur Valgrand, qu’elle avait décidé de substituer à son amant :
L’effroyable machination avait réussi, et lady Beltham en condamnant un innocent, avait sauvé la tête de Fantômas.
Cela s’était passé il y avait dix ans, mais lady Beltham en revivait les péripéties comme au premier jour ; alors, elle était jeune et belle, et Fantômas était follement épris d’elle.
Les choses avaient changé. L’amant de la grande dame était devenu plus cruel, plus sanguinaire, mais il était resté aimé. Lady Beltham s’était dégradée pour lui, et folle de cet être, avait décidé d’en faire sa victime.
Car lady Beltham était toujours convaincue que son assassin, c’était Fantômas.
Et dès lors, dans son cœur de femme éprise, était née une haine irréductible qui s’aggravait d’un sentiment effroyable de jalousie. Si Fantômas avait voulu la tuer, c’est parce qu’il en aimait une autre et, depuis ce moment, depuis qu’elle avait miraculeusement échappé à la mort, lady Beltham ne songeait plus qu’à une chose : se venger du traître, avant d’expirer.
Lady Beltham, soudain tressaillit. Un bruit se faisait entendre dans le jardin. Un bruit de pas. La grande dame prêta l’oreille.
— Mon Dieu, balbutia-t-elle, que votre volonté s’accomplisse.
Lady Beltham sentit, devina plutôt, que l’heure solennelle avait sonné. D’une main qui ne tremblait pas, elle arma son revolver et attendit.
Les bruits de pas s’étaient atténués, puis, sur le perron de la maison, lady Beltham vit paraître quelqu’un : une seule personne.
C’était une femme, Sarah Gordon.
Lady Beltham la reconnut et son cœur se serra, une violente douleur l’étreignait, pareille à une morsure.
N’avait-elle pas désormais, devant elle, la femme qu’elle croyait être la maîtresse de Fantômas ? Ne l’avait-elle pas vue s’enfuir, il y avait de cela une dizaine de jours, entraînée par l’homme à la cagoule, alors qu’elle se trouvait dans cette maison, alors que lady Beltham elle-même ne pouvait s’élancer sur leurs traces, obligée qu’elle était de se défier de Fandor et de fuir devant les recherches que le journaliste faisait dans sa maison ?
Si lady Beltham n’avait écouté que sa jalousie, elle aurait tiré lâchement sur la silhouette de l’Américaine, qui se précisait de l’autre côté de la porte, se rapprochait d’elle peu à peu.
Mais lady Beltham se dominait. Avant d’agir, elle voulait savoir la vérité tout entière, avant de se venger. Il lui fallait acquérir la certitude qu’elle était trahie de toutes les façons.
Et lady Beltham décida de parler à cette femme, de l’interroger, d’obtenir ses aveux.
Mais soudain, Sarah Gordon, qui s’avançait, recula dans l’ombre du jardin. On venait d’entendre ronfler dans l’avenue une automobile, dont trois hommes descendaient. La lueur des phares de la voiture permettait à lady Beltham de les voir dans la nuit. Elle poussa un cri de désespoir. Ces hommes marchaient se tenant par le bras, semblait-il, en réalité ils étaient deux, placés de part et d’autre d’un troisième personnage qu’ils soutenaient étroitement, la main sous les aisselles.
Or, ce troisième personnage était drapé dans un grand manteau noir, il avait une cagoule sur le visage.
Lady Beltham crut reconnaître Fantômas.
Elle ne douta pas un instant de ce qui était arrivé : on amenait Fantômas chez elle, mais Fantômas arrêté, ligoté. Et dès lors, il lui semblait qu’un vide immense se faisait dans son cœur, que tout s’écroulait autour d’elle. Fantômas arrêté, Fantômas réduit à l’impuissance, Fantômas prisonnier. Non, cela n’était pas possible. Et pourtant…
Ses yeux s’écarquillaient. Il n’était pas possible de douter de ce qu’elle voyait. Les trois hommes s’approchaient de la maison tragique, avec l’intention bien nette d’y pénétrer.
Tandis qu’ils gravissaient le perron, lady Beltham reculait et, lorsque la porte forcée par une fausse clé s’ouvrit, lady Beltham, par la sortie de derrière, gagna le jardin de la maison. Elle voulait voir sans être vue, elle cherchait à comprendre ce qui allait se passer, ce que signifiaient ces présences.
Alors qu’elle contournait sa tragique demeure, et s’avançait avec précaution, une autre personne, dissimulée derrière un massif auprès du perron, avait vu elle aussi l’arrivée des trois hommes, et cette femme qui les regardait anxieusement, c’était Sarah Gordon.
L’Américaine s’attendait à l’arrivée de Fantômas, ainsi qu’à celle de Dick. Hélène ne lui avait-elle pas annoncé la venue des deux adversaires à cette maison ? Sarah chercha des yeux Hélène qui, jusqu’alors, l’avait accompagnée. La jeune fille avait disparu.
Sarah Gordon, au bout d’un instant, ne songeait plus à sa compagne. Elle regardait les trois hommes et poussa un cri de surprise.
Certes, elle ne voyait pas les traits de Fantômas sous sa cagoule, mais elle voyait ses mains, sortant des plis de son grand manteau noir. Elles étaient toutes blanches, elles avaient une teinte de cire, ces mains sur lesquelles se fixait le regard de Sarah Gordon. L’Américaine poussa un cri. À l’un des doigts de l’homme à la cagoule qui paraissait blessé, brillait un diamant : le diamant d’une bague que Sarah Gordon avait donnée à Dick.
Une crainte affreuse s’emparait d’elle. Les trois hommes venaient d’entrer dans le vestibule. Ils avaient fait asseoir sur un fauteuil l’homme que lady Beltham avait cru être Fantômas. L’homme à la cagoule, lâché par ses deux compagnons, demeurait inerte. Sarah se précipita. Elle parvint jusqu’au mystérieux personnage, elle souleva le masque cachant le visage. Un cri d’épouvante s’échappa de ses lèvres. L’homme qu’elle avait pris pour Fantômas, c’était Dick, mais un Dick blafard, un Dick portant à la gorge une effroyable blessure : Dick l’acteur était mort.
Sarah Gordon chancela, tomba sur le corps de son amant. Elle était folle. Elle le serrait contre elle, voulant hurler sa douleur.
Ses lèvres, simplement, balbutiaient :
— Dick ! Dick !
Et elle s’écroula.
Du fond du jardin, lady Beltham avait vu cette scène, mais sans la comprendre. Elle ne s’était pas aperçue de l’extraordinaire substitution qui avait eu lieu et elle ne retenait qu’une chose, c’est que Fantômas était là dans cette maison, et qu’une femme s’était précipitée sur lui, qu’elle le couvrait de baisers, follement éprise.