La guepe rouge (Красная оса) - Страница 70
Il déclara simplement :
— Nous sommes peut-être descendus trop tôt.
— Ou trop tard.
Dick feignit de ne pas l’entendre ; il continuait à regarder autour de lui. Cependant Fantômas sentait la colère gronder en son cœur.
« Il ne me sert à rien d’être bon, pensait-il, et ce misérable que je viens d’épargner jusqu’ici me trahit encore. Mais il ne perd rien pour attendre. Sa vie ne vaut pas cher en ce moment. »
Il dissimula sa pensée. Il venait d’apercevoir, rangée le long du trottoir, une superbe limousine automobile qui attendait.
C’était sa voiture.
Fantômas suggéra d’une voix douce, aimable, pour ne point inquiéter son compagnon :
— Partons, voulez-vous ? Allons ensemble à Ville-d’Avray sans nous occuper de Sarah ?
Dick était si troublé qu’il accepta la proposition. Il hésita cependant en voyant Fantômas le conduire vers l’automobile. L’acteur connaissait le bandit pour n’avoir pas de pitié. Un instant, il eut peur de monter avec lui.
— J’ai votre parole, demanda-t-il, vous épargnerez mon existence jusqu’à ce que nous ayons vu si lady Beltham existe ou non ?
Fantômas ne répondait rien. Il ouvrit la portière du véhicule, fit un signe à l’homme qui était sur le siège, qui aussitôt descendit pour mettre la voiture en route.
Dick résigné, résolu aussi à en finir, monta dans la limousine.
Fantômas s’installa à côté de lui. Le véhicule démarra.
Le bandit, cependant, avait un air sinistre, et, désormais seul à seul avec Dick, dans la voiture, il le regardait d’une si terrible façon que le malheureux acteur eut l’impression qu’il était perdu.
Il répéta en balbutiant :
— Vous m’avez promis, n’est-ce pas, de m’épargner ?
Alors, Fantômas, lentement, s’expliqua :
— Je vous ai promis, Dick, de vous épargner si Sarah, comme vous me l’aviez annoncé, avait été là auprès de ma demeure à vous attendre, mais elle n’y était pas.
La voix de Fantômas devenait frémissante :
— Elle n’y était pas, et j’en conclus qu’impatiente de vous revoir, elle m’a trahi, elle a couru me dénoncer à la police. Ah, voyez-vous, Dick, on ne se joue pas impunément de Fantômas.
Un râle effroyable lui répondit, un cri d’angoisse et de douleur indicible retentissait.
Ce cri se perdit dans la nuit silencieuse, il fut couvert par le ronflement du moteur et l’appel de la sirène qui troubla la nuit.
Seul, peut-être, avec Fantômas, un autre homme avait entendu ce cri d’agonisant : c’était le conducteur du véhicule. Mais cet homme avait bien trop l’habitude des drames et des crimes. Il connaissait bien trop son maître pour s’en émouvoir un seul instant. L’automobile, à ce moment, lancée dans une avenue droite du Bois de Boulogne, accélérait son allure.
***
Cependant à cette même heure, la plus grande animation régnait dans les bureaux de la Sûreté Générale.
Une vingtaine d’agents de la Sûreté attendaient dans un couloir sur lequel s’ouvrait le cabinet de M. Havard. On allait et venait, les ordres se succédaient les uns aux autres. Tantôt un homme ou deux se détachaient du groupe des inspecteurs qui attendaient, tantôt il en revenait d’autres essoufflés, haletants, que l’on introduisait d’urgence dans le cabinet du chef de la Sûreté.
Juve, arrivé enfin, aperçut Léon et Michel, ses deux collègues et amis, mais il leur serra la main en hâte et pénétra dans le bureau de M. Havard.
Dès que le chef suprême vit le policier, il déclara :
— Vous aviez raison, Juve, le domicile actuel de Fantômas est bien cet hôtel de l’avenue Malakoff, mais on me téléphone à l’instant que notre filature a dû être éventée, et qu’il vient d’en partir.
Juve, nerveux, préoccupé, sans s’attarder à d’inutiles récriminations, déclarait :
— Peu importe, monsieur Havard, il nous reste Ville-d’Avray.
Le chef de la Sûreté prit le téléphone :
— Faites retenir, dit-il, une dizaine de taxi-automobiles, c’est pour aller en banlieue. Au besoin, réquisitionnez-les. Nous partons tout de suite.
M. Havard saisit dans un tiroir un revolver qu’il chargea avec précaution.
— Vous êtes armé, Juve ? interrogea-t-il.
— Toujours, répliqua le policier qui, précédant son chef, quittait le cabinet de M. Havard, gagnait le couloir où étaient amassés les agents de la Sûreté.
À ce moment quelqu’un surgissait, se précipitait vers Juve.
C’était Fandor.
Le journaliste était tout pâle, haletant. Il prit le policier à l’écart et lui demanda :
— Est-ce exact, Juve, que tout ce déploiement de force policière est destiné à l’arrestation de Fantômas ?
— Oui, fit Juve.
— Est-il exact, continua Fandor en baissant la voix, que les opérations de la police vont s’effectuer cette nuit même à la maison mystérieuse de Ville-d’Avray ?
— Oui, fit encore Juve.
— Ah mon ami, s’écria alors douloureusement Fandor qui gémissait. Savez-vous ce que je viens d’apprendre ? Ce que je crois avoir deviné ? C’est que, dans cette maison de Ville-d’Avray nous allons nous trouver en présence d’une femme que dans la pègre on surnomme la Guêpe. Cette femme, vous le savez, c’est Hélène.
— Le sort en est jeté et nous ne pouvons pas reculer, car Fantômas sera cette nuit à Ville-d’Avray. Alors, ceux qui s’y trouveront…
— Juve, supplia Fandor, vous ne pouvez pas permettre cela. C’est impossible que vous ordonniez une perquisition sachant qu’Hélène peut y être compromise.
Le policier regarda Fandor sévèrement :
— Le devoir est le devoir, fit-il, et tu sais que je ne transigerai jamais avec ma conscience. Je souhaite vivement qu’Hélène ne soit pas à Ville-d’Avray, cette nuit, mais si elle y est, tant pis, je n’y puis rien. Il faut que justice s’accomplisse. Ferais-tu donc autrement à ma place ?
Fandor courba la tête :
— Je vous accompagnerai, Juve, je serai là moi aussi.
26 – LA GUÊPE ROUGE
Ah ! qu’elle effroyable nuit se préparait !
Lady Beltham était haletante. La malheureuse venait de sortir de la cachette aménagée dans les sous-sols de la mystérieuse maison de Ville-d’Avray.
Depuis quelques jours, la tragique maîtresse de Fantômas n’osait plus sortir de cette maison où elle avait essayé d’attirer son amant et d’assouvir sur lui toute sa haine jalouse.
En fait, lady Beltham avait vu Fantômas apparaître dans le jardin et, comme elle était armée, rien ne lui aurait été plus facile alors que de tirer, pour ainsi dire à bout portant sur lui.
Mais, au dernier moment, elle avait manqué de courage, son bras tendu était retombé vers le sol et c’était alors seulement qu’elle avait appuyé sur la gâchette.
Deux détonations avaient retenti et Fantômas, aussi stupéfait de les entendre que terrifié par la vision qui se dressait soudain devant lui, s’était enfui.
Puis, les événements s’étaient précipités. Lady Beltham avait appris, par le récit des journaux, l’extraordinaire aventure du palais de Justice. À deux ou trois reprises, elle avait voulu sortir. Fuir cette maison de Ville-d’Avray qu’elle sentait devenir de plus en plus suspecte. Mais elle n’avait pas osé. À chaque fois, en effet, qu’elle voulait partir, elle avait l’impression qu’on l’épiait, que, de tout côté autour d’elle, s’organisait une surveillance active et minutieuse.
Et lady Beltham avait peur de tout et de tous. Elle n’éprouvait désormais plus de sympathie que pour deux personnes au monde : ce gentil couple d’amoureux qui, pendant quelque temps, avaient considéré sa maison comme un asile sûr pour y abriter leurs caresses et qu’elle avait dû leur interdire pour leur éviter un malheur.
Depuis trois soirs, lady Beltham sortait de sa cachette vers dix heures. Dès lors, comme une âme en peine, comme un revenant, elle errait dans la maison et dans le jardin, écoutant sans cesse, tressaillant au moindre bruit.
Or, ce soir-là, comme si elle avait été mue par un pressentiment, lady Beltham se sentait plus nerveuse, plus inquiète encore qu’à l’ordinaire. Elle avait l’impression, la certitude presque, qu’il allait se passer quelque chose de définitif, et de terrible en même temps.