La guepe rouge (Красная оса) - Страница 69
Une seule personne au monde pouvait enfreindre sa volonté sans s’attirer la colère et les représailles du monstre : Hélène, sa fille.
***
Le visage de Fantômas était désormais transformé. Ses traits avaient repris leur impassibilité, car Fantômas était en face de Dick.
Sur le visage de ce dernier se lisait également une sombre résolution.
— Que voulez-vous ? demanda Fantômas.
— La paix.
Et Dick demeura les bras croisés devant son interlocuteur :
— Il faut en finir, déclara-t-il.
Un sourire cruel erra sur les lèvres de Fantômas :
— C’est mon avis, dit-il, et qu’entendez-vous par là ? Quelle est la conclusion que vous me proposez ?
— Fantômas, je renonce à la lutte, vous êtes trop fort, et je suis trop amoureux. Et puis je n’ai pas une âme de bandit, et je souffre de savoir Sarah perpétuellement exposée. Vous voyez que je suis venu vers vous sans arme et que, s’il vous plaisait désormais de me faire mourir, vous pourriez le faire.
— Je vous épargne, fit Fantômas, vous le voyez bien, mais pourquoi m’avez-vous provoqué ?
— Il le fallait, soupira Dick. J’avais à venger la mort de mes parents et c’est pour cela que j’ai tué lady Beltham.
Fantômas serra les poings :
— Vous osez, Dick, répéter devant moi cette horrible chose ?
— Oui, fit l’acteur nettement.
D’une voix sourde, inquiète, Fantômas interrogea :
— C’est bien vrai, n’est-ce pas ? Vous êtes bien l’assassin de lady Beltham ?
— Je suis le justicier. Lady Beltham est morte par ma volonté.
D’une voix hésitante qui suppliait presque, le bandit questionna encore :
— Et ne l’avez-vous jamais revue depuis ?
Si cette question était extraordinaire, venant après l’affirmation de Dick, la réponse de l’acteur fut plus étrange encore.
Il se passa la main sur les yeux :
— Si, je l’ai revue, mais ce n’était pas elle, c’était son spectre, c’était un cauchemar, une image évoquée par ma conscience. C’est pour cela que je viens vers vous, Fantômas, c’est cela que je veux oublier. Faisons un pacte, voulez-vous ? Oubliez-moi, je vous oublierai. Épargnez Sarah.
Le bandit eut un sourire cruel ; se rapprochant de l’acteur, il souffla ;
— Je pourrais vous perdre, désormais. Vous tuer. Vous êtes à ma merci.
Mais Dick protesta :
— Ma mort serait vengée, dit-il, car Sarah est prévenue de ma visite et elle m’attend au-dehors. Si dans un quart d’heure je n’étais pas sorti, la police serait prévenue de l’endroit où vous vous cachez et votre repaire serait cerné.
Un instant, Fantômas parut réfléchir, puis il proposa, paraissant accéder au désir de son interlocuteur :
— Je suis prêt à m’entendre avec vous, dit-il, à une seule condition. C’est que nous irons ensemble, sans plus tarder, à la maison mystérieuse de Ville-d’Avray. Vous avez vu apparaître devant vous le spectre de lady Beltham. Moi aussi. Vous prétendez que c’est un spectre, une vision de cauchemar, moi je me demande si ce n’est pas lady Beltham elle-même. Que cela vous paraisse extraordinaire, peu m’importe. Il faut que vous veniez avec moi, il faut que nous allions là-bas ensemble.
— Soit.
— Je vous épargnerai comme je vous l’ai promis à la condition que vous vous écartiez de mon chemin dès ce soir, après notre visite à Ville-d’Avray.
***
Cependant, Hélène, quittant son père, s’était vêtue en hâte. Elle était descendue dans la rue et y cherchait une voiture pour se rendre à la gare, afin d’y prendre un train pour Ville-d’Avray, lorsque soudain elle poussa un cri de surprise.
En face d’elle se trouva une femme qu’elle reconnut.
— Sarah !
— Hélène !
Les deux jeunes filles se toisèrent. Elles étaient seules dans l’avenue Malakoff. Machinalement, elles marchèrent l’une à côté de l’autre, en silence jusqu’au carrefour de l’avenue du Bois.
Que signifiait cette rencontre, et pourquoi Sarah Gordon se trouvait-elle dans ces parages, épiant, semblait-il, ce qui se passait dans l’habitation du bandit ?
Hélène ne tarda pas à être renseignée. L’Américaine, d’une voix suppliante et douce, qu’Hélène ne lui connaissait pas, articulait faiblement :
— Mademoiselle, nous sommes deux malheureuses.
— Je suis malheureuse, répliqua Hélène, mais pas vous.
Et elle ajouta en soupirant :
— Vous êtes aimée comme moi, sans doute, mais il vous est permis d’aimer. Et je ne vois qu’une chose à faire, pour vous, c’est de fuir au plus tôt avec celui qui vous aime.
— Je ne demanderais pas mieux, répondit Sarah Gordon, si cela se pouvait, mais Dick…
— Dick acceptera de s’en aller si vous le décidez, et vous pouvez le faire désormais. Oui, poursuivit la fille de Fantômas, il y a quelques semaines, à Enghien, j’ai vu Dick pour la première fois de mon existence et j’ai consenti, avec lui, une entente. Je m’engageais même, au prix d’un mensonge, à vous retenir coûte que coûte à Paris, à vous empêcher de partir en Amérique, comme vous en aviez l’intention. C’est pour cela que je vous ai raconté que j’étais sa maîtresse. Or, je vous jure sur l’honneur que ce n’était pas vrai.
— Je sais, fit Sarah Gordon, mais que serait-il arrivé si vous n’aviez pas joué cette comédie à mon égard et si je n’étais pas restée ?
— Si vous étiez partie, Dick serait parti avec vous et, au préalable, il aurait tué mon père. C’est ce que je ne voulais pas. Hélas, la situation a changé désormais et nos promesses respectives n’ont plus de valeur. Dick et mon père se poursuivent de leur haine, et ils se tueront si nous n’intervenons pas.
— Que faut-il faire ? Je sens que je deviens folle, protégez-moi !
— Il faut les séparer l’un de l’autre, obtenir qu’ils s’épargnent mutuellement, qu’ils s’oublient. Vous évitez Fantômas, en habitant l’Amérique. Partez, partez, Sarah Gordon, au plus vite, et emmenez Dick avec vous !
— Ah, dit l’Américaine, Dieu veuille que je puisse faire ce que vous dites. Il faudrait pour cela que nous puissions les joindre, leur parler.
De plus en plus émue, elle confiait à Hélène :
— Un remords effroyable torture le cœur de Dick et ne lui laisse pas un instant de repos. C’est lui qui a tué lady Beltham et sa conscience d’honnête homme lui reproche le crime qu’en tant que justicier il a commis pour venger ses parents. En admettant qu’il renonce à la lutte, votre père consentira-t-il à l’épargner, à renoncer à sa vengeance ?
— Je crois, fit Hélène, que nous parviendrons à réaliser nos vœux. Dick est en ce moment avec mon père, il est certain que tous deux vont se rendre à Ville-d’Avray d’ici peu. Il faut, Sarah Gordon, que nous y allions aussi.
— À Ville-d’Avray ? Pour quoi faire ?
— Pour y retrouver quelque chose, ou pour mieux dire quelqu’un, dont la présence atténuera la haine de mon père pour vous et aussi les remords de celui que vous aimez.
— Est-ce possible ?
— Je vous le jure, dit Hélène, qui pensait à lady Beltham dont l’existence, une fois découverte, constituerait en effet la meilleure solution de nature à atténuer la colère de Fantômas et à écarter de l’esprit de l’acteur les remords qui bourrelaient sa conscience.
Les deux jeunes femmes venaient d’aviser une voiture :
— Ne perdons pas un instant, dit Hélène en y montant. Chauffeur, à Ville-d’Avray !
***
Dick était descendu avec Fantômas, et ils arrivèrent dans l’avenue du Bois de Boulogne quelques instants après le départ des deux femmes. Ils marchaient l’un à côté de l’autre, silencieux, dans l’avenue déserte où ne passaient que quelques promeneurs attardés.
— Eh bien ? interrogea Fantômas railleusement, où est Sarah Gordon ?
Dick regardait de tous côtés, paraissant fort surpris, fort ému de ne point voir l’Américaine, qui devait l’attendre dans le voisinage. Il ne voulut pas confier ses appréhensions à Fantômas, car Dick se demandait si Sarah, impatiente, inquiète de ne point le voir revenir n’était pas allée prévenir la police.