La guepe rouge (Красная оса) - Страница 68
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Une heure plus tard, comme l’émotion se calmait au Palais de Justice, comme on perdait définitivement l’espoir de retrouver Fantômas, à la souricière, on écrouait Bouzille.
Le pauvre diable avait été si joyeux d’être sauvé au prix d’un tableau de cinq cent mille francs qu’il en avait profité pour prononcer de sottes injures à l’adresse de la magistrature tout entière.
On était fort nerveux au Palais de Justice ce jour-là, Bouzille en supporta les conséquences. On le coffra purement et simplement. Mais cela ne le troublait guère, car l’hiver approchait.
25 – LES JUSTICIERS
— Vous pleurez ?
Cette interrogation était formulée par Hélène. La fille de Fantômas était en face de son père, debout devant le sinistre bandit, lequel était effondré dans une bergère tandis que de grosses larmes lui coulaient sur les joues.
Il pouvait être dix heures du soir. Le père tragique et la fille mystérieuse se retrouvaient face à face dans cet hôtel somptueux de l’avenue Malakoff où le bandit s’était installé avec l’argent qu’il avait volé si audacieusement au bâtonnier Henri Faramont.
C’était là le repaire actuel de Fantômas. Mais il semblait que le bandit prît encore moins de précautions qu’auparavant.
Il s’enhardissait de plus en plus et ne se gênait en aucune façon pour aller et venir, lui et sa bande, autour de cet hôtel.
Fantômas, en coup de force, avait obtenu que sa fille vînt loger, chez lui. Hélène, provisoirement, avait accepté cette hospitalité. Elle y avait été contrainte pour ainsi dire, lorsque, après s’être enfuie de chez Érick Sunds, elle s’était trouvée sans gîte et sans argent.
Hélène était donc avenue Malakoff et lorsqu’elle avait voulu enfin s’enfuir de chez son père, coup sur coup, étaient survenus la mort du Danois, et enfin le dernier crime de Fantômas, le plus audacieux, le plus téméraire, la lacération du tableau de Rembrandt au Palais de Justice.
Le regard dur, le sourcil froncé, Hélène regardait son père, sombrement.
Fantômas paraissait ravagé par la douleur et l’émotion. La jeune fille se rendait bien compte, encore qu’elle ne le vît que rarement en tête à tête, que le génial bandit était vraiment beau.
Hélène ne pouvait s’empêcher de l’observer avec admiration et épouvante à la fois. Il était, malgré tout, superbe à voir avec son visage énergique, sa robuste carrure, son expression intelligente et volontaire et Hélène se prenait à avoir une sorte d’admiration superstitieuse pour un tel homme.
Mais si, par moments, elle se laissait aller à ces sentiments, il lui suffisait de regarder les mains de Fantômas, blanches, soignées, délicates, distinguées, pour sentir aussitôt une insurmontable répulsion, une véritable horreur monter en elle. Hélène ne pouvait oublier en effet que ces mains-là avaient semé le deuil et la mort autour d’elles. Ces mains-là c’étaient les instruments du Crime. C’étaient elles qui, impitoyables, obéissant à la volonté farouche du monstre, faisaient partir les coups de feu ou serraient les cordes destinées à étrangler.
Non. Hélène avait beau invoquer la voix du sang, elle ne pouvait arriver à éprouver le moindre sentiment d’affection naturelle, pour cet homme qu’elle épargnait par devoir, uniquement.
Et Fantômas cependant, ce soir-là, faisait pitié. Lorsque le bandit ne songeait pas à sa propre sécurité ou à sa vengeance, il faisait un retour sur lui-même et, dés lors, son cœur saignait à la pensée de la mort de celle qu’il avait tant aimée, de lady Beltham.
Hélène, après un long silence, se rapprocha de lui ; il y avait des années que les mains de la jeune fille n’avaient touché celles de son père, que ses lèvres n’avaient effleuré son front.
Elle ne voulut pas faire ce geste de douceur, mais elle interrogea d’une voix moins rude qu’à l’ordinaire :
— Vous souffrez ?
Fantômas hocha la tête.
— Je souffre, dit-il, de ne pas savoir, de ne rien pouvoir faire.
— De quoi s’agit-il donc encore ?
— De quoi il s’agit ? répéta-t-il en la fixant de son regard perçant, il s’agit d’Elle, de lady Beltham.
— Vous savez bien, fit-elle, que lady Beltham est morte.
Fantômas ne répondit point tout de suite. Il regarda longuement sa fille, puis, après un léger hochement de tête :
— Je ne sais pas.
Mais Hélène répéta d’un ton catégorique :
— Lady Beltham est morte.
— Écoute, il faut que je te dise…
Le bandit raconta la visite qu’il était allé faire quelques jours auparavant à la maison mystérieuse de Ville-d’Avray, il avoua à sa fille qu’à peine était-il arrivé dans le jardin, de l’intérieur de la maison avait surgi une vision affolante, un véritable spectre.
— C’est une hallucination.
— Les coups de revolver, dit-il, que l’on a tirés sur moi étaient pourtant réels, et je me demande d’où cela peut provenir. Qui donc pouvait m’en vouloir de la sorte ?
Brusquement, Fantômas prit les mains de sa fille qui tressaillit :
— Hélène, interrogea-t-il, on te soupçonne dans divers milieux d’être la femme mystérieuse qui se dissimule parfois dans la maison de Ville-d’Avray. Sois franche. Dis-le-moi. Est-ce toi ?
— Non, ce n’est pas moi.
Une lueur d’espoir traversa le regard de Fantômas :
— J’aime mieux cela. Néanmoins il faut percer à jour ce mystère ; je veux savoir et je saurai ce qui se passe dans cette maison de Ville-d’Avray.
— Mon père, fit-elle, ignorez-vous donc que la police tout entière a l’attention attirée sur cette maison mystérieuse où il se passe des choses ?
— Peu importe, cria Fantômas dont la résolution semblait désormais définitive, j’irai là-bas, pas plus tard que ce soir, et je saurai.
Puis, comme s’il se parlait à lui-même, il ajouta :
— Je crois à quelque chose d’insensé, d’invraisemblable, je crois que lady Beltham habite cette maison. Je vais m’y rendre en me dissimulant. Je ne me montrerai pas tout d’abord.
— Pourquoi ?
— Ceci est mon secret.
En réalité, Fantômas, qui parlait à sa fille, plaidait un peu le faux pour savoir le vrai.
Sans doute, l’extraordinaire vision qu’il avait eue auparavant lui permettait de croire, d’espérer que peut-être lady Beltham était vivante, encore que cela lui parût invraisemblable, et que peut-être elle habitait cette demeure. Mais si c’était la vérité, pourquoi lady Beltham avait-elle tiré sur lui ? Devait-il considérer désormais sa maîtresse adorée, celle qui avait commis les plus épouvantables crimes pour lui, comme une adversaire redoutable ? Un seul pouvait – pensait le bandit – le renseigner sur ce point, c’était celui qui s’était accusé d’avoir fait mourir la grande dame, c’était le vengeur qui se dissimulait sous le nom de Dick, c’était le fils de l’acteur Valgrand.
Or, ce soir-là, si Fantômas était si énervé, si ému, c’est qu’il avait rendez-vous avec Dick. Le jeune homme devait venir le trouver, ayant, paraît-il, des choses importantes à lui dire.
À ce moment, la sonnerie du téléphone intérieur retentit. Fantômas bondit à l’appareil, son visage s’éclaira : on venait de lui annoncer l’arrivée de Dick. Il se tourna vers sa fille.
— Laisse-moi, dit-il, et dans une heure je partirai pour Ville-d’Avray.
Hélène avait réfléchi ; elle aussi avait un mystérieux besoin de savoir et de se rendre compte :
— Dans une heure, je partirai également pour Ville-d’Avray.
— Je te remercie, Hélène, de bien vouloir m’accompagner. C’est la première fois que je vois ma fille aussi douce à mon égard… J’aurai une automobile, à minuit, qui nous attendra à l’entrée de la porte de l’hôtel.
— J’irai seule, déclara-t-elle, et de mon côté.
Hélène quittait la pièce. Fantômas lui demanda auparavant :
— Où vas-tu donc, maintenant ?
— Ai-je des comptes à vous rendre, fit-elle, et ne suis-je pas libre, libre absolument ?
Fantômas baissa la tête et ne répondit point.