La guepe rouge (Красная оса) - Страница 67

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— Voyons, mon ami, disait-il paternellement, ne donnez pas à rire ainsi. Enlevez votre chapeau, comme tout le monde.

— Très bien, répondit Bouzille, j’enlève mon chapeau.

Il enleva en effet la coiffe et immédiatement, sur le sol, tombait autour de lui une infinité de bouts de cigarettes ; car Bouzille avait, en effet, l’habitude d’enfermer sous son couvre-chef les mégots qu’il ramassait dans la rue.

— Silence, glapit l’huissier. Silence !

M. Charles recommença à questionner Bouzille :

— Qu’est-ce que vous savez au sujet de ce tableau ?

— Ah, bien des choses, mon Président, ripostait-il. Bougrement bien des choses. Seulement, il faudrait que je m’assoie pour vous dire tout ça. Y en a long et long. C’est un truc qui a amené un tas de manigances, c’est pas un tableau comme tous les tableaux, voyez-vous.

— Mais je ne vous demande pas cela. Je vous demande ceci : savez-vous, oui ou non, si on a truqué ce tableau ? Savez-vous si un nommé Sunds a été chargé par quelqu’un, par Fantômas, peut-être, de peindre un autre tableau par-dessus ?

— Oui, ripostait Bouzille, je sais cela, j’ai été à Bagatelle le jour où Sunds a fait le coup, il est resté le dernier et j’ai vu qu’il commençait à barbouiller dessus. Moi, n’est-ce pas, je me suis en allé parce que je me suis dit que ça allait faire des histoires. Mon Président, je ne regrette pas d’être parti, seulement, foi d’honnête homme, Sunds, voyez-vous…

— Allez vous asseoir, ordonna le magistrat excédé.

Mais Bouzille protestait :

— Déjà ? disait-il, j’ai déjà fini d’être témoin ? C’était pas la peine de m’habiller, alors.

Il restait debout devant la barre. Il fallut que l’huissier le prît par les épaules :

— Partez, ordonnait le fonctionnaire. Vous comprenez, on vous dit de partir. Ou on va vous arrêter.

— Ça serait contradictoire, murmura Bouzille.

Le chemineau allait cependant s’éloigner, lorsque le président le rappela.

Juve, en effet, venait de lui dire quelques mots à voix basse.

— Bouzille ? questionna le juge, encore un mot. Sunds vous a-t-il dit, par hasard, qu’il connaissait Fantômas ?

— Oui, affirma Bouzille, il me l’a dit, mais après, il m’a dit le contraire. Alors, n’est-ce pas, je ne sais pas. Foi d’honnête homme, voyez-vous, mon président, ce pauvre Sunds…

On renvoya Bouzille.

— Vous avez la parole, Juve.

— Monsieur le Juge, dit le policier, je n’en abuserai pas. Toutefois, puisque je vais avoir la charge et l’honneur d’être séquestre de ce tableau, je vous demanderai de bien vouloir inscrire à votre ordonnance une description exacte de cette toile. J’imagine que M e Faramont ne se refusera pas à dicter en personne une description et, par conséquent…

Or, à ce moment, du fond de la salle, une voix s’élevait, une voix d’homme, une voix impérative, railleuse aussi, qui criait :

— J’en demande bien pardon au tribunal, mais au nom du public, je proteste : la toile qui figure là n’est pas la véritable toile, il s’agit d’une copie du tableau, ce n’est pas le tableau authentique.

Cette déclaration naturellement fit stupeur.

Tous les regards se tournaient vers l’homme qui avait parlé, un homme jeune, aux moustaches fines, à la longue barbe noire, à la stature imposante : un artiste, semblait-il, si l’on s’en rapportait aux boucles de sa chevelure fine et soyeuse.

— Monsieur, commanda le juge, imposant du geste silence à son huissier, veuillez vous approcher de la barre ; vous prétendez que ce tableau est faux. Veuillez nous le prouver. Je vous préviens que si vous avez inutilement interrompu l’audience et fait scandale, je prononcerai contre vous une condamnation.

— À votre aise, monsieur le président.

L’inconnu s’avança lentement vers la barre.

Or, au moment même où l’artiste s’approchait du bureau derrière lequel siégeait le président des référés, au moment où il s’avançait au milieu d’un silence impressionnant parmi les rangs serrés du public, un double cri, une double exclamation retentissait.

Debout près de la barre, Juve avait poussé un cri :

— Fantômas, c’est Fantômas !

À l’autre bout de la salle d’audience, la voix de Jérôme Fandor avait retenti :

— Juve, prenez garde, il a un poignard.

Ce qui suivit se passa en un éclair. À peine Juve avait-il crié : « Fantômas, c’est Fantômas » que le soi-disant artiste s’arrachait la barbe, la moustache et la perruque :

— Eh bien oui, hurlait-il, c’est moi, Juve, et si je suis là, c’est que je veux vous tuer !

Plus vif que la pensée, Fantômas s’élança, brandissant un long poignard :

— À nous deux, Juve !

— À nous deux, Fantômas !

Epouvantés, les assistants s’écartaient. Le bras de Fantômas s’abaissa, la lame du poignard décrivit un clair chemin dans l’air.

— Touché, hurla le bandit.

— Non, hurlait Juve.

— En voilà un méchant, déclarait au même moment une voix en colère, veux-tu bien finir, il ne te parlait pas.

Alors que Juve, pour éviter le coup de poignard que lui lançait Fantômas se laissait tomber à terre et cherchait à renverser le bandit en l’empoignant par les jambes, un personnage, qui n’était autre que Bouzille, avait tranquillement saisi Fantômas par le bras gauche et le tirait en arrière.

— Laisse donc Juve, disait-il, tu vas avoir des histoires.

Bouzille était en colère.

L’inénarrable chemineau qui ne semblait d’ailleurs pas apprécier la gravité de la minute, eut peur pourtant, tout d’un coup, effroyablement peur en apercevant le visage contracté de Fantômas qui se retournant, fou de rage, bondissait vers lui.

— Bouzille, disait le bandit, tu vas me payer cher cette intervention-là !

Le poignard de Fantômas se leva de nouveau. Il allait frapper le chemineau au cœur, Bouzille était perdu… Et tout cela se passait si vite, que nul n’avait le temps d’intervenir. M. Charles, debout derrière son bureau, s’égosillait en vain :

— Arrêtez-le ! Arrêtez-le !

L’huissier, pris de peur, s’était enfui. M e Faramont hurlait : « Au secours ». Seuls, dans l’espace vide, dans la demi-lune du prétoire, demeuraient Fantômas, Bouzille et Juve.

Juve, se relevant sur le plancher, vit Bouzille perdu, il comprit que celui qui venait de le sauver, en somme, allait immanquablement avoir la poitrine trouée.

Il n’y avait plus rien à faire. Sauver Bouzille, c’était impossible. Ce fut l’impossible que Juve tenta.

— À nous deux, Fantômas ! cria-t-il.

Et aussi vite que l’avait fait le bandit, Juve, sans prendre le temps de se relever, saisissait sur la table le célèbre tableau, cause de tout le débat, et l’empoignant par le cadre, au hasard, en assenait un coup formidable sur le crâne de Fantômas.

Le bandit n’avait point prévu cette agression. Son bras dévia, il toucha Bouzille, mais ne l’atteignit pas de son poignard. Le chemineau tomba à son tour, Fantômas se retourna. Juve était devant lui. Juve terrifié, Juve considérant le malheureux tableau à demi déchiré par le coup qu’il venait de porter.

— Juve, hurla encore Fantômas, Juve, nous nous retrouverons !

Fantômas, alors, fit mine de bondir sur le policier, mais tandis que Juve se ramassait sur lui-même, prêt à une dernière lutte, Fantômas sautait de côté, par méchanceté, sans but, il crevait au passage, avec son poignard, la toile célèbre qu’il lacérait, réduisait en morceaux irréparables, puis il bondit par-dessus le bureau du président.

D’un coup de poing, Fantômas assomma le malheureux magistrat. Nul n’était encore revenu de la surprise que Fantômas, déjà, avait eu le temps d’ouvrir la porte de la chambre de conseil, qu’il s’était enfui, qu’il avait disparu.

Bouzille, alors, se releva.

— Eh bien, déclarait tranquillement le chemineau, c’est tout de même gentil ce qu’il a fait là, Juve. Il a crevé un tableau de cinq cent mille francs pour me sauver la vie. Je vaux cher tout de même. Ça, c’est d’un frère. C’est pas comme cet idiot de président et cet imbécile d’huissier.

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