La guepe rouge (Красная оса) - Страница 66
— Alors, maître ?
— Alors, monsieur le Président, j’ai l’honneur de demander que vous vouliez bien ordonner qu’il soit nommé un séquestre par mesures conservatoires, peu importe à M e Faramont ou à la Société L’Épargne, le nom de ce séquestre, ni M e Faramont, ni la Société n’ont l’intention de faire d’opposition à votre choix ; mais l’un et l’autre de ces intéressés tiennent à la nomination d’un séquestre pour voir sûreté de leurs gages.
L’avocat toussait, puis, ayant ainsi expliqué de façon très compliquée quelque chose qui était très simple, à savoir que nul n’étant d’accord pour décider à qui appartenait le tableau en définitive, il y avait lieu de charger quelqu’un de le conserver en attendant que le procès soit jugé, il reprit avec une grande autorité :
— J’attire en outre votre attention, monsieur le Président, sur ce point tout spécial. Il y a lieu dès à présent, de chercher à connaître, par témoignages, s’il s’agit bien là du tableau exposé à Bagatelle. Si votre ordonnance de référé, monsieur le Président, peut décider de la question, ce sera un grand point d’acquis pour le procès au principal.
— En effet, approuva le Président.
Une hésitation cependant semblait demeurer dans la pensée du magistrat :
— Je crois, commençait-il, qu’il convient d’abord de décider qui sera séquestre. Nous verrons ensuite à identifier le tableau. Voyons, maître Faramont, voulez-vous accepter ce séquestre ?
Si le magistrat venait d’hésiter, M e Faramont, lui, n’hésita pas. Tandis qu’un rire discret courait dans la salle bondée de public, l’éminent bâtonnier se hâta de répondre :
— Je prie très respectueusement monsieur le président de bien vouloir ne pas me nommer comme séquestre. La charge est honorable, certes, mais périlleuse aussi. Monsieur le Juge voudra se rendre compte que j’ai déjà été assez suffisamment éprouvé par les aventures occasionnées par ce tableau. J’ai été volé de cinq cent mille francs, j’ai eu d’incessantes angoisses et, par conséquent…
Un léger signe de tête du magistrat fit comprendre à M e Faramont qu’il était inutile d’insister :
— M e Faramont déclinant l’offre d’être séquestre pour des motifs personnels, le représentant de la société L’Épargnevoudra bien, je pense, accepter cet office ?
— La Société que je représente, déclara le jeune avocat appuyé à la barre, croit devoir décliner l’offre qui lui est faite, monsieur le Président. Ce tableau est d’un prix élevé, il a suscité déjà de multiples convoitises, sa possession semble périlleuse, la société L’Épargnecroit avoir fait tout son devoir vis-à-vis de M e Faramont et refuse de s’associer à d’autres risques que ceux consentis par l’assurance dont il vous a été parlé. Je refuse donc, en conséquence, monsieur le président, d’être nommé séquestre, à moins que vous n’en décidiez autrement par autorité de justice.
Cette fois, l’embarras du président siégeant apparut manifeste. Ni M e Faramont, ni la société L’Épargnene voulaient accepter le tableau. À qui pouvait-il le confier ? Il n’est pas d’usage de nommer de force des séquestres, la chose eût été d’autant plus désagréable en l’espèce que les incidents déjà survenus semblaient bien établir qu’il n’était point sans danger de détenir le Pêcheur à la ligne.
M. Charles interrogea, considérant l’avocat qui, le premier, avait parlé :
— Maître, puisque vous représentez tous les intéressés, voulez-vous me permettre de vous nommer séquestre ?
— Je remercie monsieur le président de l’honneur qu’il veut bien me faire en pensant à moi pour une mission si délicate, mais je la décline en raison de mon incompétence. Je ne connais rien aux tableaux, et, de la meilleure foi du monde, je risquerais de ne pas être pour celui-ci le bon et sage dépositaire dont parle le code.
Cette fois, le juge hésita, avant de reprendre la parole :
— Maître, déclara-t-il enfin sur un ton légèrement agacé, il faudrait être pourtant raisonnable, vous me demandez de nommer un séquestre, je ne vous le refuse pas en principe, mais je ne peux pas trouver, vous en êtes témoin vous-même, quelqu’un qui veuille accepter cette mission ; dès lors, que dois-je faire ?
— Monsieur le président, ripostait l’avocat, qui a les honneurs, doit avoir les charges. Je n’ai point l’avantage envié d’être à votre place, mon rôle n’est point de décider, mais de plaider.
— Évidemment.
— Monsieur le président me permettrait-il de lui suggérer un nom ? demanda M e Faramont. Il y a, ce me semble, une personnalité toute désignée pour remplir ce rôle de séquestre, personnalité en qui j’ai toute confiance, en qui la société L’Épargnea certainement aussi toute confiance, personnalité qui a déjà rendu de si grands services en l’espèce que…
— De qui parlez-vous ? demanda le juge.
— Du policier Juve. Juve a déjà retrouvé le tableau, c’est lui qui l’a rapporté ici, je pense qu’il accepterait ?
— Monsieur Juve, demandait le président, voulez-vous accepter d’être séquestre ?
— Assurément, répondit le policier, si cela peut rendre service, je ne vois pas pourquoi je refuserais.
— La mission est dangereuse, répéta le juge.
— Raison de plus pour qu’elle me plaise.
Juve venait de répondre à voix basse. Des bravos n’en crépitèrent pas moins.
— Silence, glapit l’huissier, pas de manifestations ici ou l’on fait évacuer la salle.
Tant bien que mal, l’ordre se rétablit.
— Monsieur Juve, déclarait alors le juge des référés, je vais donc, dans quelques instants, vous commettre en qualité de séquestre. Mais dans le placet que j’ai sous les yeux, je vois que vous avez fait citer un témoin, le nommé Bouzille ; pour quel motif désirez-vous que j’entende cet homme ?
— Parce que, monsieur le juge, Bouzille peut donner toute la clé du mystère ; d’après ce qu’il m’a dit, il sait dans quelles conditions ce tableau a été truqué.
— Vraiment ? Je vais l’entendre.
Derrière le magistrat, l’huissier se leva :
— Bouzille, appela-t-il, avancez, Bouzille.
— Dame, je voudrais bien, mais je ne peux pas.
La voix venait du fond de l’auditoire ; il y eut un brouhaha. Bouzille enfin apparut :
— Mon Président, dit-il avec un sourire aimable, faut pas m’en vouloir d’être en retard, c’est rapport à ce que j’avais enlevé mes souliers pour les faire sécher sur le calorifère. Alors, comme j’ai beaucoup marché, mes pieds avaient gonflé, et dame…
Derrière le chemineau, naturellement, la salle éclatait de rire.
— Taisez-vous, Bouzille !
— Je me tais, mon Président, je me tais.
— Votre nom ?
— Je me tais, mon Président, je me tais.
— Dites-moi votre nom.
Mais Bouzille, à ce moment, souriait aux anges et posait un doigt sur sa bouche.
— Chut, fit-il d’un air malin.
Et il apparaissait alors, ou qu’il était complètement abruti, ou qu’il se moquait du juge avec une aimable ironie.
La scène se fût peut-être prolongée, si l’huissier, au même moment, n’avait eu une fâcheuse inspiration.
Ce fonctionnaire venait de remarquer, en effet, que Bouzille avait jusqu’alors conservé son chapeau haut de forme sur la tête. Il glapit, terrible :
— Témoin, découvrez-vous.
Bouzille ne broncha pas.
— Découvrez-vous, Bouzille, répéta l’huissier. Ôtez votre chapeau.
Bouzille eut un geste navré :
— Ça va faire un malheur, dit-il.
— Comment, ça va faire un malheur ? demanda l’huissier.
— Évidemment, mais je vous ai prévenu.
Bouzille, à ces mots, empoignait son chapeau qu’il enlevait. Mais le bord ne tenait pas à la calotte, car il avait été artistement collé. Bouzille, ayant donc retiré son chapeau, apparaissait coiffé d’un tuyau de poêle invraisemblable. Son aspect était si comique, que M. Charles lui-même en eut le sourire.