La guepe rouge (Красная оса) - Страница 65
La malheureuse resta là jusqu’au petit matin.
C’était la fraîcheur de l’aube, l’humidité de la rosée glaciale et pure qui la tirait de son assoupissement.
Le suaire dont elle s’était enveloppée était trempé, elle le rejeta. La robe dont elle était vêtue lors de son ensevelissement était maculée de sable, qu’importait, elle s’y enroula étroitement et, consciente cette fois, prise d’un grand désir de vengeance, elle referma sa propre tombe, y enfouit le grand suaire, puis elle prit la fuite par la porte qui venait de s’ouvrir.
Lady Beltham alla se cacher dans la maison déserte de Ville-d’Avray. C’est là, dans cette retraite qu’elle s’était ménagée depuis longtemps pour le jour où il lui faudrait disparaître, le jour où Fantômas l’abandonnerait – car elle avait vécu dans la crainte de cet abandon – que lady Beltham s’était terrée.
Chose effroyable, ce n’était plus une jolie femme, qui se dissimulait dans la villa déserte. Lady Beltham avait eu l’épouvante, en se contemplant devant un miroir, de s’apercevoir des irréparables outrages que la terreur, l’angoisse, la mort frôlée, avaient affligés à sa beauté dédaigneuse.
Son teint nacré avait jauni, ses yeux purs s’étaient ridés, sa nuque gracile ployait sous le poids trop lourd de sa tête, ses cheveux mêmes, ses cheveux fins et souples, qui faisaient jadis une auréole triomphale à sa beauté, avaient blanchi.
Dans le sépulcre, la jeune et jolie femme était devenue vieille, vieille de cent ans, c’était une ruine désormais.
***
Lady Beltham, depuis lors, n’avait vécu que pour se venger.
Elle n’avait rien compris aux incidents tragiques qui s’étaient passés dans sa villa, et qui avaient failli coûter la vie au bâtonnier Faramont. Elle avait soupçonné que Fantômas était pour quelque chose dans cet attentat, et ce n’était point vrai.
Elle avait cru depuis, que Fantômas avait voulu, ayant appris qu’elle vivait, la revoir, et ce n’était point vrai encore.
C’était Dick Valgrand, une première fois, qui s’était rendu chez elle.
La veille, enfin, lady Beltham, en achetant le tableau, n’avait eu d’autre but que d’attirer auprès d’elle Fantômas, Fantômas qu’elle accusait toujours d’avoir voulu la tuer.
Cette fois-là, c’était bien sur Fantômas qu’elle venait de faire feu, c’était bien le bandit que ses balles avaient frôlé.
Mais Fantômas n’avait pas été atteint, il n’avait même pas été blessé, et lady Beltham, frémissante sous le vent du soir, immobile sur son balcon, songeait :
— Il reviendra. Je le connais trop pour croire qu’il puisse avoir peur, il doit s’imaginer que le tableau est ici. Il viendra pour le reprendre. Et alors je me dresserai, à l’improviste, devant lui, et alors, je me vengerai, ah, je me vengerai !
24 – UN RÉFÉRÉ MOUVEMENTÉ
— Eh bien, mon cher maître ?
— Eh bien, mon talentueux contradicteur ?
— Je crois qu’il y aura foule aujourd’hui, aux référés.
— Cela m’a l’air probable.
— Jamais monsieur Charles, le distingué président du siège, n’a vu une assistance aussi élégante.
— Cela se conçoit un peu, vous savez. On annonce que Juve en personne va comparaître ; de plus, on prétend que le tableau, le fameux tableau va être représenté.
— En tout cas, il y a déjà beaucoup de monde.
— J’allais vous le dire.
Dans la grande salle des Pas Perdus, au palais de Justice, les avocats devisaient.
L’attention, ce jour-là, se concentrait sur les groupes qui stationnaient un peu à gauche de la grande horloge, à l’entrée de la salle des référés, groupes qui discutaient avec âpreté et où les initiés reconnaissaient des figures connues, des personnalités éminentes du monde parisien, des représentants de ce que l’on est convenu d’appeler « le Tout-Paris ».
Il y avait là M. de Keyrolles, directeur de la Compagnie d’assurances L’Épargne, qui s’entretenait avec M. Havard, il y avait M e Faramont, flanqué de son fils qui parlait à un jeune homme à physionomie extraordinairement intelligente dont le nom était sur toutes les lèvres : Jérôme Fandor. Il y avait enfin des artistes, des experts, des représentants du monde des arts, du monde des lettres et encore des députés, des conseillers municipaux.
Quel était donc le référé qui allait se plaider ?
M. Germain Fuselier, l’éminent magistrat instructeur, célèbre désormais dans tout Paris pour avoir été chargé des affaires de Fantômas, traversait justement la salle des Pas Perdus, venant de la galerie Marchande [17]. Un vif mouvement de curiosité se dessina. Vingt avocats l’entourèrent à la minute :
— Eh bien, cher monsieur, quoi de nouveau ? Sans violer le secret professionnel, peut-on vous demander… ?
Fendant les groupes, Jérôme Fandor vint saluer le magistrat :
— Vous avez vu Juve ? demanda-t-il.
— Je le quitte à l’instant, répondait Germain Fuselier, opposant un mutisme souriant à tous les bavards. Juve arrive.
— Il ne vous a rien dit ?
— Non.
Mais en même temps, il passait son bras sous celui du journaliste et l’entraînait à l’écart.
— Juve est inquiet, murmurait Fuselier. C’est pourquoi il attend la dernière minute pour venir. Il a le tableau sous le bras. Je suis chargé de vous demander de sa part, mon cher Fandor, de rester, tout le temps de l’audience, à côté des portes de la chambre. Vous guetterez tous ceux qui entreront.
— Juve se méfie donc de quelque chose ?
— Et vous ? Et vous mon cher ami ? Est-ce que vous ne croyez pas qu’avec Fantômas, tout est possible, et qu’il convient d’être toujours sur ses gardes ?
Jérôme Fandor allait répondre, lorsqu’il en fut empêché par la surprise.
Un petit homme extraordinaire, vêtu d’une longue redingote qui eût fait l’honneur et la joie d’un pasteur protestant, coiffé d’un extraordinaire chapeau haut de forme, venait d’allonger une bourrade dans les côtes du journaliste.
Fandor se retourna.
— Bouzille ! Ah, çà, que faites-vous ici ?
— Monsieur Fandor, je promène mes élégances.
— Peste, vous avez donc l’intention de lancer la mode, Bouzille ?
— Quelque chose comme cela, monsieur Fandor, et puis je suis témoin. C’est la première fois, constatait-il avec une certaine satisfaction que je viens dans un palais de Justice sans avoir la frousse, monsieur Fandor. Cette fois-ci, je suis témoin et rien que témoin. J’ai rien vu, par conséquent, on ne peut pas me faire d’ennuis.
Mais l’audience commençait.
Il y avait dans la salle, outre le Président et son greffier, une dizaine de personnages aux allures d’agents de police qui surveillaient l’entrée des arrivants. Il y avait surtout, devant la table en demi-cercle sur laquelle les plaideurs et référés viennent d’ordinaire s’appuyer pour parler, un tableau, un grand tableau que le public immédiatement reconnaissait : c’était le véritable Pêcheur à la lignede Rembrandt.
À droite de cette table enfin, debout, l’air grave, un homme à l’aspect énergique attendait, découvert. Ce n’était autre que Juve, le célèbre policier.
— Affaire de la Compagnie d’assurances L’Épargne, appelait l’huissier. Monsieur Juve, maître Faramont intervenants, Monsieur Bouzille, témoin, avancez à la barre, je vous prie.
Un vif mouvement de curiosité se dessina : tout le monde était debout.
— Je vous écoute monsieur, commença le Président.
Il se tournait vers un avocat, représentant évidemment la partie demanderesse.
— Pour qui vous présentez-vous, maître ?
— Pour le groupe des intéressés, monsieur le Juge. J’ai un peu fonction de ministère public. Je demande une mesure sauvegardant les intérêts de tous.
— Veuillez me rappeler les faits de la cause.
— Monsieur le Président, ils sont fort simples. Un tableau a été volé à l’exposition de Bagatelle, ou plus exactement, a disparu. Ce tableau appartenait à maître Faramont, ici présent, qui m’assiste. C’est le tableau, monsieur le Président, que vous avez sous les yeux. Ce tableau a disparu parce qu’il a été recouvert d’un autre tableau peint sur lui, ce qui fait que l’on a pu croire qu’il y avait eu substitution de toile. La Compagnie d’assurances L’Épargneayant assuré le tableau, l’a payé à maître Faramont. Or, il se trouve que le policier Juve, également présent, a découvert la ruse employée par l’escroc, qui, évidemment, ayant peint un tableau sans valeur sur un tableau de prix, pensait pouvoir acheter ce tableau sans valeur fort bon marché et restaurer ensuite le tableau de prix. Le policier Juve demande à se dessaisir du tableau de prix. Maître Faramont, d’autre part, remboursé par la Compagnie d’assurances, ne veut plus de son tableau, dont il affirme qu’il est désormais la propriété de ladite Compagnie. D’autre part, la Compagnie ne veut plus du tableau qu’elle affirme avoir remboursé à Maître Faramont parce que le tableau avait disparu ; du moment que le tableau est retrouvé, du moment qu’en fait il n’a jamais cessé de figurer à l’exposition de Bagatelle, elle prétend que son remboursement découle d’une erreur et, qu’en conséquence, elle est fondée à obliger M e Faramont à reprendre son tableau et à lui restituer les fonds qu’elle lui a précédemment versés. Cette cause, monsieur le Président est actuellement pendante au principal, devant le Tribunal de la Seine.