La guepe rouge (Красная оса) - Страница 64
Des jours d’horreur avaient suivi.
Veillée par Juve, enfermée dans sa chambre, que le policier avait en quelque sorte blindée, lady Beltham, se croyant menacée par Fantômas, avait connu l’angoisse d’attendre la date fixée pour son trépas.
Cette date était arrivée.
Juve, stupide d’effroi, avait découvert le lendemain matin, la jolie femme étendue froide, inanimée, glacée, dans son grand lit.
Comme un fou, le policier avait couru jusqu’au Laboratoire municipal. Un médecin avait confirmé la mort de lady Beltham. Juve avait trouvé et prouvé qu’elle avait été empoisonnée par les émanations d’une conduite de gaz, rompue dans le sol, sous le plancher de son appartement situé au rez-de-chaussée d’un bel immeuble, avenue Niel, à Paris. Et l’inévitable, l’effroyable, s’était alors accompli. Lady Beltham était morte.
Cette morte, on l’avait mise en bière, on avait clos sur elle la planche qui ferme le cercueil des humains. On avait transporté son corps au cimetière, on l’avait enfouie dans un caveau, ainsi qu’elle le demandait dans son testament.
Lady Beltham était morte ?
Non.
La destinée de cette femme était vraiment une destinée d’horreur. Elle qui était riche et jolie, elle qui rencontrait partout où elle se présentait les succès les plus enthousiastes, les hommages les plus flatteurs, les adulations les plus folles, devait se réveiller dans l’épouvante d’une tombe.
Lady Beltham n’était pas morte.
L’asphyxie l’avait tout simplement plongée dans la léthargie, et le froid, l’humidité suintant du sépulcre, son horreur, la ranimaient petit à petit.
Lady Beltham, alors, avait ouvert les yeux. En vain. Elle ne voyait rien. Elle voulut bouger, et ne put faire un mouvement. Elle se sentait emprisonnée, enserrée dans une étreinte qu’il lui était d’abord impossible de définir. L’air manquait à sa poitrine haletante. Une odeur de camphre lui entêtait l’esprit. Sous elle, du sable crut-elle, du son plutôt, lui meurtrissait les reins. Où était-elle ?
Lady Beltham qui, en s’éveillant, n’avait point compris, devait bientôt se rendre compte de l’effroyable réalité des choses.
Elle était dans son cercueil, elle était morte, et morte assassinée par son amant, assassinée par Fantômas.
Enterrée vive, conservant toute sa lucidité, elle goûtait véritablement à la mort, elle mourait lentement, minute par minute.
Pourtant c’était une pensée qui la rongeait, qui la rongeait vive, qui la faisait crier de douleur :
— C’est Fantômas qui m’a tuée ! C’est l’homme que j’aimais, qui m’a assassinée !
Ah certes, elle l’avait aimé Fantômas, elle l’avait aimé au-delà de tout, plus que le devoir, plus que l’honneur !
Pour lui, la grande dame s’était abaissée jusqu’aux plus infâmes complicités, pour lui, elle s’était roulée jusqu’au crime, pour lui, ses mains s’étaient teintes de sang, c’était elle, en somme, qui avait déclenché le couteau du bourreau sur la tête de l’innocent Valgrand.
Lady Beltham, clouée dans sa bière, enfermée dans sa tombe, murmurait :
— Fantômas, ah que je te hais.
Mais que pouvait bien sa haine, hélas ?
Elle était plus morte qu’une morte, elle se savait au tombeau. La haine, cependant, accomplit des miracles. Elle a des flammes qui torturent, elle a des morsures qui raniment les énergies les plus défaillantes. Lady Beltham affolée, incapable de vouloir quoi que ce soit, se tordit dans sa bière, prise d’une véritable crise nerveuse.
Effroyable était sa situation. L’air contenu en son cercueil se raréfiait, elle allait être asphyxiée. Cette fois, véritablement, elle allait périr.
Et soudain, comme brisée des convulsions qui venaient de la secouer, elle demeurait pantelante, sa pensée, machinalement, instinctivement, lui souffla :
— Il y a de l’air encore puisqu’il est possible que tu respires. Il y a de l’air.
Elle imagina alors que la bière était mal clouée. C’était fou de penser à se sauver, et pourtant lady Beltham espéra.
— Il faut que je vive, murmura-t-elle, il faut que je vive pour me venger.
Dans son cercueil, elle médita, horrible chose, le moyen de sortir du sépulcre. Mais sort-on d’un sépulcre ? Même, si elle voulait briser sa bière, ne se trouverait-elle pas au fond de son caveau, d’un caveau que murait inexorablement le poids formidable de la pierre tombale ?
Vanité des vanités, Lady Beltham songea que jadis, elle avait elle-même pris soin de faire édifier au cimetière la pierre de grès qui devait assurer le repos de ses cendres, et qui maintenant la condamnait à mort. Et sa pensée, à ce moment, était un tourbillon.
Alors qu’elle désespérait, elle espérait. Au moment où elle comprenait qu’on ne sort pas du sépulcre, elle voulait en sortir.
Une crispation encore, effroyable, tordit ses membres ; dans la bière où elle étouffait, son corps s’arqua, se détendit. Elle se retourna sur elle-même, elle eut le visage enfoui dans le son que l’on avait mis au fond de son cercueil pour absorber la pestilence de ses chairs décomposées.
Sur ses genoux, sur ses bras, elle voulut se soulever, elle était mourante, puis, soudain, une force extrême semblait être à sa disposition, le couvercle de la bière craqua, une vis lâcha, une autre céda encore, ce fut une chose brusque, imprévue, qu’elle ne comprit même pas, dans l’état d’affolement où elle était réduite.
Elle venait de défoncer sa bière.
La bière s’ouvrait.
Quelques secondes, lady Beltham demeura encore immobile au fond de son cercueil.
Puis, elle se jeta hors de la boîte sinistre. Elle roula sur le sol et, respirant à pleins poumons, un rire de folle sur les lèvres, les bras étendus, elle demeura encore quelques instants, n’osant comprendre qu’elle avait déjà fait ce premier pas vers la vie, qu’elle était sortie de son cercueil.
Lady Beltham, plus folle que raisonnable, bientôt se redressait. Elle était toujours dans le noir, à genoux, elle sentait, de ses doigts tremblants, la maçonnerie grossière, humide, suintante, du caveau.
Au-dessus d’elle, son bras étendu, elle cria à la nuit :
— Je ne peux pas sortir de là, on enterre les morts bien trop profondément, je vais périr. Oh, j’aurais tant voulu me venger.
L’abattement qui l’avait reprise, durait peu, cependant.
Elle se redressa tout à fait. Son cercueil, qu’elle repoussait du pied, lui servait d’échelle. Elle le dressa contre la muraille du sépulcre, elle se hissa sur lui. Glacée, frissonnante, elle s’était enveloppée de son suaire. Dans l’ombre du tombeau, c’eût été une vision fantastique, que celle de cette femme enterrée vive, dressée sur son cercueil et voulant remonter du fond de la tombe jusqu’à la vie.
Lady Beltham, debout sur la bière, les mains saignantes, les genoux écorchés, une effroyable douleur mettant un vertige dans sa tête, longtemps palpa, sous ses doigts, la surface unie de la pierre tombale.
Elle sentait bien qu’il lui serait impossible de soulever cette pierre, mais, pourtant, elle frémissait en pensant que si jamais elle était capable de l’arracher du sépulcre, elle pourrait sortir de la mort, et retourner parmi les vivants.
Or, en poussant la pierre tombale, en se meurtrissant les doigts à vouloir la soulever, lady Beltham se rendait compte soudain, avec une joie affolée, qu’elle la faisait légèrement glisser, qu’elle la déplaçait.
La pierre n’était pas encore fixée.
Enterrée la veille au soir, très tard, par crainte de manifestations, la pauvre femme avait été abandonnée dans sa tombe, sans que les fossoyeurs eussent eu le temps de sceller son sépulcre.
Cela devait la sauver.
La pierre tombale qui fermait la fosse était en effet encore en équilibre sur des rotins de bois. Elle put, lentement, péniblement, la déplacer, la faire rouler.
Au terme d’une heure d’efforts, dans la nuit, dans la paix du cimetière, dans l’immensité tranquille du champ de repos où la lune répandait une clarté blafarde, où les croix tendaient leurs bras dénudés, lady Beltham sortit de sa tombe, et pantelante, épuisée, au pied même de cette tombe, la tête sur la pierre funéraire, elle s’écroula.