La guepe rouge (Красная оса) - Страница 62
— Pas tout à fait, déclara celui-ci, mais j’ai suivi jadis des procès intentés à des peintres truqueurs de Montparnasse qui fabriquaient de fausses œuvres du XVIII e siècle. Il est en outre connu de tout le monde qu’à maintes reprises, on a superposé des peintures sur des tableaux existants. Est-ce là le cas, comme je le suppose ? Nous n’allons pas tarder à le savoir.
Désormais, dans un coin du tableau, sur une surface d’un centimètre carré environ, Juve, avec une brosse dure mettait ce qu’il appelait « son décapant ».
— C’est un composé, dit-il à Fandor, de potasse, d’essence et d’eau, cela nous sert à désagréger la peinture fraîche. Celle-ci est bien plus facile à délayer que la peinture ancienne, nous en aurons donc raison avant d’avoir attaqué l’œuvre de Rembrandt si, comme je l’espère, celle-ci existe en dessous.
Tout en parlant, Juve procédait fort habilement.
Son décapant avait fait rouler la peinture fraîche et désormais, Juve, prenant mille précautions pour ne pas appuyer trop fort, frottait légèrement la toile avec son petit grattoir.
— Ah, s’écriait-il, je crois que nous sommes bons !
Il se rejeta en arrière, son visage était illuminé de joie.
Juve alla prendre sur son bureau une grosse loupe et examina désormais longuement le petit coin de la toile qu’il venait de gratter.
— Victoire, cria-t-il enfin, ça y est, le voilà ! Je retrouve l’original de Rembrandt sous la copie d’Érick Sunds.
Et il passa la loupe au journaliste qui, vivement intéressé, regarda à son tour. Pas de doute.
Le verre grossissant permettait nettement de reconnaître la différence existant entre les deux couches de peinture. La première était brillante, vive, peu consistante aussi semblait-il. Quant à la seconde, elle présentait nettement cette teinte noircie que donne la patine du temps, on la sentait aussi plus résistante, plus robuste, plus desséchée.
Il y avait surtout, enfin, cette finesse de touche, cette puissance, qui caractérisait la qualité du maître.
Le raisonnement de Juve recevait sa consécration et sa logique n’était point prise en défaut, tout au contraire. C’était bien sous la grossière copie d’Érick Sunds que se dissimulait l’œuvre authentique du véritable Pêcheur à la lignede Rembrandt.
— Bravo, Juve ! s’écria Fandor qui chaleureusement alla serrer les mains de son ami.
Mais, à ce moment, la porte du cabinet de travail de Juve s’entrouvrit et Jean, le vieux domestique, apparut :
— C’est M. Paquerett, dit-il, qui veut vous parler.
— Ah, c’est vrai, s’écria Fandor, j’avais oublié de vous prévenir de sa visite qu’il m’avait annoncée. Je lui avais conseillé, cette nuit, de venir vous raconter l’affaire du mécanicien et du tableau volé.
— Qu’il entre donc, s’écria Juve, il arrive à point.
M. Paquerett en entrant dans la pièce, s’arrêta pétrifié sur le seuil.
Ce n’était pas de voir Juve revêtu d’une grande blouse blanche qui l’étonnait, car il savait que Juve avait l’habitude de perpétuels déguisements, mais ce qui ahurissait ce bon commissaire c’était de trouver chez l’inspecteur de la Sûreté ce fameux tableau dont tout Paris avait parlé quelques jours auparavant, et aux aventures duquel il avait été mêlé lui-même la nuit précédente.
— Ah par exemple, Juve, s’écria-t-il, c’est vous qui avez entre les mains…
Il s’arrêta, s’approcha du tableau puis, achevant sa pensée, il affirma :
— La copie du Rembrandt.
— Non, déclara Juve, avec un sourire railleur, ce n’est pas la copie, c’est l’original, ou pour mieux dire, si vous voulez, j’ai fait coup double, puisque je possède l’un et l’autre.
Le commissaire ouvrit des yeux perplexes, ce qui sembla amuser Juve infiniment.
Mais Fandor eut pitié de ce pauvre M. Paquerett et, en deux mots, lui expliqua l’extraordinaire découverte de Juve et l’habileté dont il avait fait preuve pour découvrir l’original sous la copie.
Juve, à son tour, s’excusa auprès du commissaire de la mauvaise nuit qu’il lui avait fait passer.
— Car, conclut-il, l’homme qui a momentanément dérobé l’automobile et définitivement volé le tableau, n’est autre que moi.
Et le policier conclut, affectant une attitude honteuse :
— J’ai avoué, monsieur le Commissaire, vous pouvez si vous le voulez, procéder à mon arrestation.
Mais M. Paquerett partit d’un gros éclat de rire :
— Ah, décidément, Juve, fit-il, vous serez toujours le plus extraordinaire bonhomme que j’aurai connu !
Puis il se leva.
— Je vous quitte, fit-il. Il importe que je rédige au plus tôt mon rapport sur cette affaire étonnante. Je tiens à ce que vous en preniez connaissance avant que je le fasse parvenir à la préfecture. Si vous ne sortez pas tout de suite, attendez mon secrétaire qui viendra vous le remettre.
***
Deux heures s’étaient écoulées et Juve et Fandor, joyeux, s’installaient dans la salle à manger du policier, lorsque le téléphone retentit.
Juve courut à l’appareil, eut une brève conversation.
Lorsqu’il revint trouver Fandor, il avait l’air navré.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda le journaliste.
— Il y a, grogna Juve, que cet imbécile de commissaire a bavardé, qu’il a téléphoné à M e Faramont et c’est ce dernier qui vient de m’appeler pour me féliciter d’avoir retrouvé son tableau et me demande aussi de le lui rendre au plus vite.
— Eh bien, cela se comprend.
Juve allait répondre, mais la sonnerie du téléphone tintait à nouveau. Le policier alla répondre en maugréant, et lorsqu’il revint, il avait l’air encore plus furieux.
— De mieux en mieux ! grommela-t-il. Ce commissaire est décidément une fichue bête, il va crier la chose à tous les coins de Paris, voilà qu’on l’a apprise à M. de Keyrolles et que cet excellent homme, qui a assuré et payé le tableau, me téléphone pour me le réclamer.
— Dame, c’est assez juste, somme toute. Le tableau lui appartient, puisqu’il en a payé la valeur.
— Sans doute, sans doute… Je n’en sais fichtre rien, moi. C’est affaire aux tribunaux de le décider.
Juve s’étranglait à moitié en buvant.
Après avoir toussé, craché, mouché, il dit à Fandor :
— Cette histoire-là, personne ne devait la connaître. Grâce au bavardage de Paquerett, tout le monde la sait.
— Tout le monde la sait ? s’écria Fandor qui, très joyeux malgré tout, se versait une rasade.
— Juve, s’écria-t-il.
— Quoi, Fandor ?
— Juve, poursuivit le journaliste en éclatant de rire, il ne manque plus que Fantômas, et je ne serais pas étonné de le voir arriver chez vous pour vous réclamer le tableau.
Le policier donna un violent coup de poing sur la table.
— Plaisante si tu veux, Fandor, dit-il, mais j’y pensais précisément, et d’ailleurs, après tout, avec ce gaillard-là, nous en avons vu bien d’autres.
23 – LA MORTE
Qui donc cependant, alors que Fantômas, après avoir quitté le bric-à-brac de la mère Toulouche, était à Ville-d’Avray pour y reprendre le fameux tableau acheté par la grande dame en automobile, avait osé tirer sur le Maître de l’Effroi ?
Quelle était tout d’abord cette mystérieuse femme aux cheveux blancs, à l’attitude toujours grave, toujours sombre et triste, qui paraissait sous le coup d’un effroyable chagrin, d’une douleur immense et tragique ?
Tandis que, sous les coups de feu tirés dans la nuit, Fantômas s’enfuyait du jardin de la villa abandonnée, la mystérieuse dame était debout, sur le perron de son petit hôtel, tremblante, livide, prête à défaillir, et pourtant, semblant prête à la lutte, fouillant l’ombre de ses regards, prêtant l’oreille et murmurant tout bas d’une voix chargée de haine :
— Je le tuerai. Je le tuerai.
Cette femme extraordinaire demeurait sur ce perron de longues minutes, elle ne paraissait pas avoir conscience du temps, elle paraissait oublier tout ce qui l’entourait, comme prise par la hantise d’une idée fixe, comme entraînée par ses propres réflexions, comme courbée sous la rafale de sentiments.