La guepe rouge (Красная оса) - Страница 61

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— Tu as deviné, Fandor.

— Mais tout cela, mon vieux Juve, c’est bête, et je ne comprends pas du tout pourquoi vous n’avez pas, plus simplement, acheté ou fait acheter à l’hôtel Drouot, la croûte d’Érick Sunds. Tout cela, avouez-le, c’est toujours votre perpétuelle manie de faire des mystères.

— Je n’ai pu voir Fantômas venir prendre le tableau chez la mère Toulouche. C’est une femme qui est venue le chercher, c’est une femme aux cheveux blancs, mais tant pis, si Fantômas n’est pas venu lui-même – ce dont je me doutais un peu d’ailleurs – je suis arrivé à un résultat : j’ai repris le Rembrandt et c’est déjà quelque chose.

— Vous avez repris le Rembrandt ? Vous devenez fou, Juve ?

— Non, mon petit, regarde.

Fandor écarquilla les yeux et il regarda le chevalet où se trouvait le faux Pêcheur à la ligned’Érick Sunds.

— C’est la copie, s’écria-t-il, mais…

Juve l’interrompit :

— D’accord, j’ai donc la copie. Désormais, Fandor, reste à découvrir le tableau authentique.

— Ma foi, c’est vrai, conclut le journaliste qui, ne sachant pas où devait en venir le policier, interrogea :

— Mais comment allez-vous parvenir à ce résultat ?

— Par la logique et la déduction, déclara Juve. Tu verras que la chose n’est pas très difficile. Écoute-moi bien, petit.

— Le temps d’allumer une cigarette et je suis tout oreille.

— Il est prouvé, n’est-ce pas, que la grossière copie que l’on a découverte aux lieu et place du vrai tableau, lors de l’inauguration de l’Exposition de Bagatelle, a été effectuée par ce malheureux Érick Sunds, si lâchement assassiné par Fantômas. Or, j’imagine qu’il a dû faire ce travail à Bagatelle même, dans la nuit qui précéda l’inauguration de l’exposition.

— C’est certain, déclara Fandor, cela a été démontré par les enquêtes, que c’est bien le véritable tableau de Rembrandt qui a été apporté la veille au soir par Sunds et le bâtonnier au palais de Bagatelle.

— Oui, précisa Juve, le vrai tableau a été mis en place devant témoins. On ne peut élever le moindre doute à ce sujet. Mais il y a quelque chose de plus extraordinaire.

— Quoi donc ?

— Ce fait qu’il est démontré aussi que le véritable tableau n’a pas pu sortir de l’exposition.

— C’est impossible, observa Fandor, puisqu’il a été remplacé par la copie.

— Je ne dis pas le contraire, continua Juve, je veux simplement affirmer que si le tableau est sorti de Bagatelle – je parle du vrai – il n’en est pas sorti en cachette, mais bien au vu et au su de tout le monde.

— Je ne comprends pas.

— Cela n’a pas d’importance. Le tableau, le vrai, est sorti dis-je, devant tout le monde de l’exposition de Bagatelle, et personne ne s’en est aperçu, parce que nul ne savait le fond des choses, sauf deux personnes : l’auteur de la copie, c’est-à-dire Sunds et l’individu malfaisant qui lui a commandé cette copie, c’est-à-dire Fantômas, j’imagine.

— Fantômas ? Pourquoi ?

— Parce que c’est Fantômas qui a imaginé de voler le tableau du bâtonnier, c’est lui qui en a chargé Sunds, et c’est pour cela qu’il a tué ce malheureux, afin de faire disparaître un témoin gênant.

— J’admets encore votre théorie, mais cela ne nous dit pas ce qu’est devenu le vrai tableau.

— Crois-tu ? s’écria Juve en riant. Nous n’aurons pourtant pas besoin de chercher bien longtemps. Le vrai tableau est ici.

Et, d’un geste solennel, Juve montrait la toile qui se trouvait à côté d’eux, sur le chevalet.

Fandor, un instant interloqué, ne répondit rien. Puis, brusquement, il éclata de rire :

— Eh bien, Juve, fit-il, je m’attendais à mieux que cela de votre part. Vous prétendez que c’est le vrai tableau qui est là ! Moi, sans être connaisseur, je vous affirme que c’est le faux.

Juve hocha la tête en souriant :

— Tu as raison, Fandor, et moi je n’ai pas tort, car, en réalité, les deux tableaux sont là.

— Où ?

— Ne cherche pas midi à quatorze heures, déclarait le policier, je te dis que les deux tableaux sont là, devant nous, sur le chevalet. Malheureusement, nous avons l’un et l’autre des yeux si médiocrement construits qu’ils ne nous permettent de voir qu’un seul tableau à la fois.

— Juve, Juve, ou vous vous moquez de moi, ou vous avez juré de me rendre fou, ou alors vous êtes fou, absolument louftingue ! Ce que vous racontez là est incompréhensible et ça ne tient pas debout.

— Merci, fit Juve d’un air fâché, j’aime à t’entendre parler de la sorte alors que c’est toi qui déraisonne, Fandor, et je m’en vais te le prouver.

Le journaliste ne répondit point. Il serra les dents, ferma les lèvres, désormais résolu à ne plus prononcer une seule parole jusqu’à ce que Juve ait fait la lumière dans son esprit.

Le policier, toutefois, semblait se faire un malin plaisir de vouloir taquiner Fandor jusqu’au bout. Il le prit par la main, l’amena auprès du tableau et lui fit considérer la peinture.

— Tu le vois bien, dit-il, reconnais avec moi que ce Pêcheur à la ligneest une œuvre grossière, faite hâtivement, à peine vernie, et qu’en aucun cas, on ne saurait l’attribuer au maître Rembrandt sans insulter gravement à la mémoire de cet admirable artiste.

— D’accord, grogna Fandor.

Juve le prenait par la main encore, l’obligeait à contourner le chevalet et lui faisait observer désormais l’envers du tableau.

— Vois-tu cette toile, dit-il, remarque combien elle est noircie, vieillie, usée. C’est une toile qui ne date pas d’hier, et remonte assurément aux temps les plus lointains, c’est assurément la toile authentique sur laquelle l’illustre maître a peint son Pêcheur à la ligne, je veux dire le véritable.

— Vous vous foutez de moi, Juve, ça n’est pas possible, où voyez-vous ça ?

— Tu es un sot, Fandor, et, à la manière des ignorants, tu te fâches et tu deviens grossier, simplement parce que tu ne comprends pas. Regarde donc, aveugle, et comprends, imbécile ! Si d’un côté se trouve la toile authentique, de l’autre, la mauvaise copie, c’est qu’entre cette mauvaise copie et le dos de cette toile authentique se trouve le véritable tableau…

— Le véritable tableau, hurla Fandor, il serait donc sous la copie ?

— Enfin ! cria Juve. Enfin, t’y voilà ! Ce n’était pourtant pas sorcier à deviner, mais tu y as mis le temps. Parbleu, oui, mon petit Fandor, la copie grossière et maladroite de Sunds a été peinte sur l’original lui-même. Voilà toute la vérité. Le tableau n’a pas été retrouvé, parce qu’on a cherché partout ailleurs que dans son cadre, qu’il n’a jamais quitté.

— Ça, reconnut Fandor, c’est génial ! C’est digne de Fantômas !

Juve, brusquement, s’écarta de Fandor et alla prendre dans un placard une grande blouse blanche qu’il passa par-dessus ses vêtements, puis il gagna son cabinet de toilette et revint avec tout un attirail mystérieux qu’il apporta sur un plateau.

Il y avait là une cuvette, une bouteille d’alcool, une sorte de mixture délayée dans un bol, et deux gros pinceaux. Il y avait aussi un petit grattoir en écaille.

Fandor s’étonna :

— Qu’est-ce que vous allez faire ? demanda-t-il.

— Tenter une expérience, dit Juve.

— Qu’allez-vous faire ? demanda encore Fandor inquiet en voyant Juve prendre le tableau et l’étaler à plat sur une table.

— Je vais, dit le policier, nettoyer ou pour mieux dire, m’efforcer de faire disparaître les couches de peinture apposées sur cette toile par cet animal d’Érick Sunds. De deux choses l’une : ou nous verrons apparaître la toile elle-même, et alors je me serai fourré dedans, je ne serai qu’un imbécile, ou alors nous découvrirons sous la couleur fraîche, la peinture ancienne, le tableau véritable, et dans ce cas, je demande un petit bravo pour moi.

Juve ne dit plus un mot, et Fandor le regarda faire.

— Vous avez donc été de la partie autrefois ? demanda-t-il en voyant le policier manier avec dextérité les divers ingrédients dont il allait se servir.

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