La guepe rouge (Красная оса) - Страница 59

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— Assez de blague, la mère Toulouche, je n’aime pas qu’on se paie ma tête. Où est ce tableau ?

La vieille pâlit. Elle savait qu’il ne fallait pas affronter les colères de Fantômas et elle lui donna la réplique de l’accent le plus sincère :

— Je te le jure, Fantômas, il est vendu. Vendu depuis dix minutes.

Le bandit avait regardé autour de lui, dans la boutique, il n’y voyait pas, en effet, le tableau.

Fantômas serra le poing, grinça des dents. Il se dominait cependant :

— À qui, vendu ? demanda-t-il.

« Ma foi, songeait la mère Toulouche, autant lui dire la vérité. »

Elle le mit au courant et lui indiqua pour finir :

— Elle demeure à Ville-d’Avray, quarante-sept avenue des Peupliers.

Si l’annonce que Juve avait voulu se rendre propriétaire du tableau surprenait Fantômas, la dernière déclaration de la mère Toulouche l’impressionnait singulièrement.

Le bandit, en effet, était devenu tout pâle et la mère Toulouche vit les traits de son visage se contracter sous sa barbe postiche. Après avoir hésité un instant, Fantômas, brusquement, bondit hors de la boutique, sans prononcer une parole.

— Bon sang de bon Dieu, grogna la mère Toulouche, il me semble que depuis une heure, je ne vois que des fous autour de moi.

Et elle ajouta :

— J’en ai assez pour ce soir, je ferme ma boîte.

Il était sept heures moins le quart. La mégère avait bien promis à Juve de l’attendre jusqu’à sept heures, mais elle ne tenait guère à revoir le policier, et, en outre, elle n’avait plus besoin de l’attendre, puisque le tableau était parti.

La mère Toulouche ferma son magasin.

***

À Ville-d’Avray, cependant, le silence absolu régnait, l’obscurité était profonde, on n’entendait que le souffle du vent se jouant dans les arbres. De distance en distance, quelques mauvais réverbères éclairaient mal leur voisinage immédiat.

Les avenues étaient désertes, nul n’y passait.

Vers dix heures, à l’entrée de l’allée des Peupliers, une silhouette se profila. Un homme s’avançait avec précaution, semblait-il, longeant les grilles et les jardins, les haies épaisses séparant de l’avenue les propriétés.

Cet homme était enveloppé dans une sorte de grand manteau noir et son visage se dissimulait sous un chapeau de feutre sombre, aux grands bords rabattus.

L’homme s’avança lentement, contourna la villa des Keyrolles, puis s’arrêta à la grille toujours entrebâillée de la maison abandonnée.

L’homme murmura :

— C’est là que la dame aux cheveux blancs a dit à son mécanicien d’apporter le tableau.

Et il réfléchissait.

— Elle a donné cet ordre très haut, intentionnellement. Il est bien évident que si elle a agi de la sorte, c’est pour que son adresse soit répétée, c’est un rendez-vous qu’elle a donné.

L’homme s’avança de quelques pas, franchit la grille. Il était dans la propriété.

Dès lors, il s’arrêta, et, dissimulé derrière un massif, il entreprit de se masquer le visage.

C’était Fantômas qui procédait ainsi, Fantômas qui abaissait, sur ses traits énergiques, la fameuse cagoule grâce à laquelle il passait mystérieux et terrible, invisible, indéfinissable, partout où il voulait se faire voir, se manifester, sans que l’on pût, toutefois, distinguer ses traits.

— Est-ce moi, se demandait Fantômas, que cette mystérieuse personne veut voir, ou un autre ? C’est ce qu’il va s’agir de découvrir.

Le terrible bandit était armé. Il vérifia son revolver, puis dès lors, précautionneusement, lentement, il traversa la pelouse du gazon, pour se rapprocher de la maison mystérieuse.

Tout était sombre, obscur, silencieux, aux abords de cette villa, mais Fantômas, qui semblait fort ému, gravit lentement les premières marches du perron.

Il arrivait à la porte d’entrée donnant sur le vestibule.

Celle-ci était fermée, mais cela ne gênait pas le bandit. Avec un passe-partout, qu’il introduisait dans la serrure, il entrebâillait le battant de la porte.

Il allait entrer dans le vestibule, lorsque soudain, il s’arrêta pétrifié, sur le seuil.

Une légère lueur scintillait à l’intérieur de la maison, et elle éclairait une grande forme blanche, aux allures de spectre.

Fantômas voyait se préciser devant lui une apparition, et cette apparition lui semblait sans doute si extraordinaire, si fantastique, que le bandit, malgré son audace et sa témérité, se sentit devenir blême, et pour la première fois de sa vie, peut-être, Fantômas trembla, trembla de tous ses membres.

Il voulut articuler une parole, sa gorge serrée l’en empêcha. Il fit un geste, mais à ce moment une détonation retentit. L’apparition s’évanouit aussitôt et Fantômas sentit une balle lui siffler aux oreilles.

Cependant, une voix, une voix lointaine et presque surnaturelle, avait proféré, comme dans un sanglot :

— Misérable.

Fantômas resta un instant immobile, comme frappé de stupeur, puis brusquement, il tourna les talons, prit la fuite.

Et alors Fantômas trébucha, tombant dans les massifs, se relevant pour aller se heurter dans les arbres et arrivait en titubant comme un homme ivre jusqu’à la grille de la propriété.

Il s’élança dans l’avenue déserte et courut, courut à perdre haleine, en proférant d’une voix surchargée d’épouvante :

— Mon Dieu, c’est elle et pourtant, non. C’est impossible, impossible, absolument !

22 – LA COPIE ET L’ORIGINAL

Un double coup de sonnette énergique et violent apprit à Juve l’arrivée de Fandor.

Le vieux domestique Jean alla ouvrir et, quelques instants après, le journaliste bondissait littéralement dans le cabinet de toilette où le policier achevait de se vêtir.

Il était à peine huit heures du matin, c’était le lendemain du jour où avait eu lieu la vente à l’hôtel Drouot des objets ayant appartenu au Danois Érick Sunds et au cours de laquelle le commissaire-priseur avait adjugé, à fort bon compte, d’ailleurs, la fameuse copie du tableau de Rembrandt que la mère Toulouche payait la modique somme de quinze francs.

Fandor arrivait chez Juve, ce matin-là, avec un visage chaviré qui détermina une question immédiate de la part de l’inspecteur de la Sûreté.

— Que se passe-t-il donc ? interrogea celui-ci. Mon pauvre Fandor, tu parais ravagé ?

Le journaliste se laissa tomber sur un fauteuil :

— Ouf, je ne tiens plus debout ! Il est vrai, ajoutait-il en se passant les mains sur le front, que j’ai couru toute la nuit. En vain, d’ailleurs. Je voulais à toute force retrouver Hélène qui se dérobe, qui me fuit sans que je puisse savoir pourquoi.

— Et l’as-tu rencontrée ?

— Non. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’elle en ce moment, j’ai des choses urgentes à vous dire et qui réclament toute votre attention. Au moment où j’allais, de guerre lasse, rentrer chez moi pour me reposer de cette nuit de démarches inutiles, figurez-vous, Juve, que j’ai rencontré Paquerett.

— Le commissaire de police de Clignancourt ?

— Lui-même ! Il m’a raconté des choses extraordinaires.

— Paquerett est un imaginatif, je t’en préviens d’avance.

— Imaginatif ou non, grommela Fandor, il y a les faits qui sont là. Ils vont vous faire bondir.

— Je t’écoute.

— Donc, commença Fandor, Paquerett a été saisi hier soir d’une plainte.

— Ce sont des choses, constata Juve, qui arrivent assez souvent aux commissaires de police.

— Si vous m’interrompez tout le temps, je n’en aurai jamais fini.

— Commence donc.

— Eh bien, dit Fandor, voilà : figurez-vous Juve, que, hier soir vers huit heures et demie environ, un mécanicien s’est présenté au commissariat, bouleversé. Il voulait à toute force parler au commissaire, celui-ci était précisément à son bureau. L’homme lui a déclaré : « Je suis propriétaire d’une automobile de grande remise [16] et, depuis ce matin, j’étais loué par une dame d’un certain âge. Nous avons fait diverses courses dans Paris, nous sommes retournés déjeuner chez elle en banlieue, puis revenus ensuite sur les boulevards, et enfin, vers sept heures du soir ma cliente m’a commandé d’aller rue Lepic, à Montmartre. Nous y chargeons un tableau d’assez grandes dimensions et la cliente, qui m’avait payé ma journée d’avance, me dit : « Allez porter cela chez moi, à Ville-d’Avray, où je vous retrouverai à dix heures ce soir. »

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