La guepe rouge (Красная оса) - Страница 4

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— Taisez-vous, dit Juve.

Le policier, à cet instant, réfléchissait profondément. Depuis plus de dix ans, Juve vivait avec le désir de s’emparer de Fantômas, d’appréhender le forban, de le mettre hors d’état de nuire, et voilà qu’à l’instant même où il s’était saisi de lui, où il le tenait à sa merci, où il allait l’emporter comme une chose sans défense, vers les prisons dont on ne s’évade pas, Juve ne goûtait encore aucune joie. Bien plus, il éprouvait une secrète angoisse.

Fantômas disait vrai. Juve ne l’avait pas pris. Il s’était livré aux mains de Juve. S’il était devant le policier chargé de menottes, dans l’impossibilité de se défendre, c’était parce que cela lui avait plu. C’était qu’il avait trouvé bon de se constituer prisonnier.

— Je n’ai pas tué lady Beltham, répétait Fantômas.

Et Juve devait se l’avouer, il apparaissait bien en effet que Fantômas était innocent de ce crime. Mais quel était alors le sombre mystère qui avait entouré la mort tragique, incompréhensible de la malheureuse maîtresse du bandit ?

Si véritablement, ce n’était pas Fantômas qui avait tué lady Beltham, qui donc l’avait tuée ? Et si Fantômas s’était livré à Juve pour que Juve recherchât l’assassin de la grande dame, contre qui Juve aurait-il à diriger ses recherches ? Or, tandis que Juve réfléchissait ainsi, Fandor, de son côté, songeait. Le jeune homme, furieux tout à l’heure, du ton de bravade qu’avait employé Fantômas, brusquement s’était calmé. Il reprit la parole :

— Fantômas, vous venez vous-même en effet de vous livrer à nous, nous allons faire notre devoir, et vous remettre aux mains de la justice. Mais, s’il est vrai que vous n’êtes pour rien dans l’assassinat de lady Beltham, je vous jure, en mon nom, comme au nom de Juve qui nous écoute, que nous n’aurons de cesse l’un et l’autre que la vérité soit faite sur la mort de celle que vous avez aimée.

— Je vous remercie, Fandor.

D’une voix grave, Fantômas venait de répondre au jeune homme. Les mots étaient simples, mais ils avaient un caractère poignant, échangés entre ces deux hommes qui se haïssaient depuis si longtemps.

— Je vais rester ici, reprit Juve, en face de Fantômas. J’ai mon browning à la main, au premier mouvement qu’il esquissera, je ne me ferai point faute de tirer. Toi, Fandor, va chercher une voiture. Dans une heure, nous l’aurons fait écrouer.

Fandor ne répondit pas. Il s’assura d’un coup d’œil de la disposition de la pièce. Tant de fois Fantômas avait réussi d’invraisemblables prodiges d’audace, tant de fois, il avait risqué de formidables tentatives d’évasion, toujours couronnées de succès, que Fandor, malgré lui, malgré les affirmations du bandit, doutait presque de la réalité, ne pouvait croire que Fantômas fût réellement prisonnier.

Juve, cependant, ne se trompait pas à l’émotion que manifestait son ami.

— Allons, reprenait-il, descends, Fandor. Va chercher un fiacre, je te dis qu’il ne peut pas s’échapper.

Juve agitait son revolver comme un argument suprême. Fandor allait peut-être répondre. Fantômas eut un éclat de rire.

— Je m’échapperais si je le voulais, raillait-il, mais je ne le veux pas. Soyez tranquille, Fandor. Vous me retrouverez ici, je vous le promets.

Les promesses de Fantômas, toutefois, n’étaient point de nature à calmer les appréhensions de Jérôme Fandor. Il fallait cependant se décider.

— Juve, dit encore le jeune homme, il est bien entendu, n’est-il pas vrai, qu’au moindre mouvement… ?

— Mais oui, interrompit Juve, dépêche-toi de m’obéir. Descends !

À regret, Jérôme Fandor partit. Il descendit quatre marches par quatre marches l’escalier de la maison, héla un fiacre, lui expliqua qu’il s’agissait de conduire un prisonnier au Dépôt. Puis, ayant fait ranger la voiture le long du trottoir, remonta pour prévenir Juve. En mettant la clé dans la serrure de l’appartement du policier, la main de Jérôme Fandor tremblait. Il entra brusquement dans le cabinet de travail. Alors, un soupir de soulagement s’échappa de sa poitrine. Ni Juve, ni Fantômas n’avaient bougé. Le policier était toujours assis en face du bandit, Fantômas toujours ficelé se tenait immobile sous la menace du revolver de Juve.

— La voiture est là, Fandor ?

— Oui.

— Descendons, alors.

Juve remit son revolver dans sa poche. Il passa aux poignets de Fantômas qui se laissa faire sans la moindre résistance, un cabriolet d’acier, une chaînette fine et solide dont il maintenait soigneusement les deux bouts. À la moindre tension imprimée par Juve, les poignets du misérable subiraient une atroce pression, seraient aux trois quarts écrasés.

Parbleu, il pouvait bien essayer de fuir, Fantômas ! Juve, d’un geste était en mesure de le dompter, de le forcer à demander grâce et cela impitoyablement. On ne résiste pas à la douleur qu’impose la torture d’un cabriolet.

— Allons, Juve !

— Allons, Fandor !

Fantômas ne disait rien. Loin d’avoir l’air honteux, loin de paraître bouleversé, à l’idée de descendre si humblement ligoté, il riait. Le bandit était véritablement prisonnier parce qu’il l’avait voulu et sa situation misérable le touchait peu, si peu, qu’il semblait encore garder un sourire ironique et dominer les événements.

— Avancez, Fantômas !

— Je vous suis.

Juve, tenant toujours son prisonnier, s’engageait dans l’escalier, accompagné de Fandor, prêt, au moindre mouvement, à se jeter sur le bandit. Rapidement, les trois hommes atteignirent le trottoir. Fantômas, toujours souriant, monta en fiacre, Juve le fit asseoir sur la banquette du fond, à côté de lui. Fandor s’installa sur le strapontin.

— Quai des Orfèvres ! cria le journaliste. Au service de la Sûreté !

Le cocher fouetta son cheval, l’équipage s’ébranla. Le trajet n’est guère long de Montmartre au service de la Sûreté, et, pourtant, il parut s’effectuer avec une extraordinaire lenteur à Juve et à Fandor, peut-être même à Fantômas.

Les deux amis, en effet, encore qu’à cet instant ils fussent véritablement bien persuadés que Fantômas ne pouvait pas s’enfuir, étaient incapables de s’empêcher de frémir au moindre incident : un embarras de voitures retardant la marche du fiacre faisait trembler Fandor. Le regard d’un passant qui, sur un refuge du boulevard, remarquait les cabriolets mis aux mains de Fantômas inquiétait Juve. On pouvait tout attendre de Fantômas. De la part du bandit, rien n’était impossible. Un coup de force eût été aisé après tout : il avait tant et tant de complices. C’est cependant sans qu’il y ait eu le moindre incident, sans que la moindre aventure fût survenue, que le fiacre arriva à destination. Fandor descendit le premier.

Juve fit ensuite passer Fantômas, puis, quand le bandit fut sorti du fiacre, lui-même en descendit.

Fantômas, jusqu’alors s’était tu. Or, brusquement, en apercevant les murailles hautes des bâtiments, en voyant que Juve le poussait vers les longs couloirs qui mènent au service de la Sûreté, le monstre frissonna :

— Juve… commença-t-il.

Mais Juve avait senti son hésitation. Il avait déjà remarqué que la marche de son prisonnier était moins ferme et moins assurée.

— Avancez, ordonna-t-il.

Et il serra un peu le cabriolet. Or, à cet instant, Fantômas s’arrêta :

— Juve, reprit le bandit, vous pouvez me broyer le poignet si bon vous semble, mais vous ne me ferez pas hâter le pas si cela me déplaît. Juve, voici l’instant où vous allez me livrer. Fort bien. Je n’ai qu’un mot à vous dire : « Souvenez-vous que je suis ici parce que je veux que vous vengiez lady Beltham. Souvenez-vous. »

Tout le temps que Fantômas parlait, Juve, nerveusement, avait tordu le cabriolet.

Fantômas n’avait même pas paru sentir l’horrible douleur qui lui était ainsi occasionnée. Ayant achevé, il repartit d’un pas tranquille.

Trois minutes plus tard, le bandit, Fandor et Juve étaient dans une sorte de petite salle basse et obscure, meublée d’un simple escabeau de bois blanc, d’une table boiteuse, d’une cruche remplie d’eau. Ce local sommaire était la chambre de force mise à la disposition des inspecteurs de la Sûreté ayant besoin d’enfermer quelques instants un individu avant de le faire écrouer définitivement au Dépôt.

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