La guepe rouge (Красная оса) - Страница 3
Jacques remarqua les mains de l’apparition, longues, maigres, décharnées, diaphanes.
Et dans ce visage tout blanc, dans cette figure dont les ailes du nez, les lèvres, le lobe des oreilles étaient blancs, deux points paraissaient noirs et brillants, c’étaient les yeux, des yeux immenses, extraordinairement profonds.
Le regard de ces yeux s’était fixé désormais sur les deux amoureux et il demeurait dirigé vers eux, avec une insistance singulière.
— Qui êtes-vous ? Que venez-vous faire ici ?
Jacques rassembla tout son courage. Il s’avança d’un pas vers l’arrivante qui, semblait-il, voulut reculer, mais néanmoins demeura figée sur le seuil de la porte.
— Madame, murmura l’amoureux de Brigitte en s’inclinant très bas devant la mystérieuse apparition, je vous demande infiniment pardon. Il pleuvait, nous avons été surpris par l’orage, la porte de cette maison était entrebâillée et nous sommes entrés. Je vous en supplie, madame, pardonnez-nous cette incorrection.
D’un geste, la femme mystérieuse interrompit son interlocuteur. Tandis que Jacques parlait, elle avait curieusement dévisagé Brigitte, puis regardé de même le jeune homme :
— Je sais qui vous êtes, dit-elle, et je ne vous en veux pas. Mais j’ai eu peur, bien peur, tout à l’heure en entendant du bruit.
— Nous partons, madame, en nous excusant encore, et soyez assurée que…
— Je ne vous en veux pas, mais au nom du Ciel, je vous en supplie, ne dites à personne ce qui s’est passé, ne racontez jamais que vous êtes entré ici, ni surtout que vous avez vu, que vous avez vu…
Elle se tut, sa voix semblait s’étrangler dans sa gorge.
— Madame, reprit Jacques, vous pouvez être assurée de notre discrétion absolue, c’est d’ailleurs à nous, au contraire, de vous demander de bien vouloir ne pas nous compromettre, d’éviter de nous déshonorer en racontant…
Un faible sourire erra sur les lèvres de la dame mystérieuse.
— Je suis le silence et la tombe, dit-elle. Nul ne doit me voir, et ceux qui m’ont vue se doivent de m’oublier.
Brigitte s’était rapprochée de Jacques, et lui serrait le bras à lui faire mal.
— Partons, murmura-t-elle à son oreille, j’ai peur !
La dame aux cheveux blancs, cependant, reculait de quelques pas, elle se tenait désormais dans le vestibule. Brusquement, le vent qui, par les fenêtres, soufflait en courant d’air, éteignit la lumière qu’elle tenait à la main, et l’obscurité la plus profonde régna.
— Je vais m’évanouir, balbutia Brigitte. Partons, de grâce, partons d’ici !
Ils firent quelques pas dans la direction de la porte, titubant comme des gens ivres, se heurtant aux meubles, mais ils s’arrêtèrent net. Comme ils allaient sortir de la maison, la voix de la dame aux cheveux blancs venait de retentir encore, et de ce ton sépulcral et lointain, qui les avait si singulièrement émus, elle articulait :
— Au nom du Ciel, ne dites jamais à personne que vous êtes entrés dans cette maison, que vous y avez vu quelqu’un. Personne ne doit savoir.
Elle s’interrompit, puis reprit après un silence, d’un ton plus doux, presque cordial :
— Vous qui vous aimez, revenez dans ce jardin quand vous voudrez, restez-y aussi longtemps qu’il vous plaira. Mais quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne, ne levez jamais les yeux sur cette maison. Ne franchissez plus jamais le seuil de cette porte.
— Nous vous le jurons, madame, articula d’un air convaincu et respectueux Jacques Faramont, cependant que Brigitte, qui sentait ses jambes se dérober sous elle, insistait :
— Partons, partons, pour l’amour de Dieu, allons-nous-en !
La pluie avait cessé. Les deux amoureux se retrouvaient dans le jardin, ils étaient derrière un buisson qui leur dissimulait la silhouette sévère et massive de la mystérieuse maison dans laquelle ils venaient de vivre de si étranges minutes. Ils se rapprochèrent. Leurs lèvres s’unirent. Elles étaient glacées. Ils échangèrent un long baiser muet.
***
Une heure plus tard, Jacques Faramont descendait du train à la gare Saint-Lazare. Le jeune homme, encore tout ému, se dirigeait machinalement vers le domicile de ses parents, rue d’Amsterdam, ruminant dans sa pensée les dernières aventures dont il avait été le héros, lorsque soudain un camelot qui criait l’édition spéciale d’un journal du soir, se jeta pour ainsi dire sur lui.
— Achetez-la moi, mon prince ! criait le pauvre hère.
Jacques Faramont obtempéra. Il jeta les yeux sur la manchette du journal et ne put retenir un cri de stupéfaction. Il venait de lire cette information sensationnelle :
« Fantômas est arrêté. Le bandit s’est constitué prisonnier entre les mains de l’inspecteur Juve. »
Suivaient quatre colonnes de détails.
2 – FANTÔMAS EST PRIS
L’acteur Dick venait de partir.
Dans le cabinet de travail de Juve, dans ce cabinet où déjà, tant de fois, de mystérieux drames avaient eu lieu, le policier et Fandor demeuraient seuls face à Fantômas.
Cela se passait l’après-midi même du jour où le jeune Jacques Faramont avait prêté serment au Palais de Justice.
— Fantômas, avait hurlé Juve, au nom de la Loi, je vous arrête !
La poigne du policier s’était abattue sur l’épaule du Roi du Crime. Fantômas n’avait pas eu un tressaillement, il n’avait tenté aucune résistance, il s’était laissé très docilement ligoter, étroitement ficeler par Fandor.
Les instants semblaient interminables. Devant Fantômas qui était venu se livrer, qu’ils venaient de prendre, devant Fantômas, chargé de liens, devant eux, incapable désormais de tenter un geste de défense, Fandor et Juve demeuraient égarés, surpris et si joyeux qu’une émotion, une peur se mêlait à un sentiment de soulagement infini.
Juve, le premier mouvement de stupeur passé, épongea d’une main qui tremblait la sueur qui lui perlait au front.
— Fandor, déclara enfin le policier, il est pris, et il ne peut plus s’échapper. Il faut agir maintenant et agir vite. Nous allons le mener au Dépôt.
Juve parlait ainsi comme si Fantômas avait été frappé soudain de surdité, comme s’il n’avait pas pu entendre ; or, précisément, aux paroles de Juve, Fantômas éclata de rire, amusé, semblait-il.
— Juve, disait le bandit, vous répétez bien souvent ces mots : il est pris. Vous seriez peut-être plus sincère si vous reconnaissiez que je me suis livré, vous ne m’avez pas pris, Juve. Je me suis constitué prisonnier, voilà tout.
Il y avait une certaine insolence, une raillerie non dissimulée dans le ton du misérable. Fandor, de blême qu’il était, devint subitement rouge. Le sang lui monta à la tête, une colère le fit frémir.
— Taisez-vous ! ordonna-t-il en fixant le bandit. Vous avez sans doute pensé, Fantômas, qu’une fois encore vous trouveriez le moyen de vous échapper quand bon vous semblerait, mais je vous le jure, vous vous êtes trompé. Vous vous êtes livré, tant pis pour vous ! Au moindre de vos mouvements, ni Juve, ni moi, n’hésiterions à vous brûler la cervelle. Tenez-vous-le pour dit.
Fantômas haussa les épaules.
C’est d’un air résigné, quoique toujours un peu moqueur, qu’il répondit :
— J’ai les bras liés, les jambes attachées, comment diable voulez-vous que je puisse tenter un mouvement ? Même si la fantaisie me prenait, cela me serait impossible, et puis, pourquoi voudrais-je m’échapper, puisque je suis ici de mon plein gré ?
Puis, comme s’il eût dédaigné de converser plus longtemps avec Fandor, Fantômas se tourna vers Juve.
— Allons, faisait-il, dépêchez-vous, Juve. Si vous devez me conduire au Dépôt, j’ai hâte d’être sous les verrous. Allons-y tout de suite.
— Vraiment ? railla Juve à son tour. Je puis vous demander pourquoi ?
— Je vous l’ai dit, Juve. J’ai quelqu’un à venger, on a tué lady Beltham.
— Vous l’avez tuée, Fantômas.
— Non, ce n’est pas moi. C’est un autre. Je ne sais qui. Quand je serai sous les verrous, Juve, je ne doute pas qu’une courte et rapide enquête n’arrive à vous convaincre de ma franchise. Je ne suis pas l’assassin de lady Beltham. J’aimais lady Beltham et sa mort m’a cruellement fait souffrir, c’est pourquoi je suis ici. Libre, vous n’auriez pu vous occuper de venger ma malheureuse maîtresse, mais, moi pris, votre devoir sera d’éclaircir ce crime resté mystérieux. Voilà pourquoi j’ai hâte d’être au Dépôt. Allons, faites votre devoir, emmenez-moi.