La guepe rouge (Красная оса) - Страница 2

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Ce jardin faisait contraste avec celui de l’habitation des Keyrolles. Le jardin de ces derniers était soigné, ratissé, tiré à quatre épingles. Au contraire, celui dans lequel Jacques Faramont venait de s’introduire était envahi par les mauvaises herbes, rempli de broussailles. Les pelouses se confondaient avec les allées, et des arbres trop feuillus, enchevêtrés les uns dans les autres, révélaient par cet inextricable chaos qu’il y avait bien longtemps qu’on ne s’était occupé d’eux.

Le jeune homme, étouffant le bruit de ses pas, se rapprocha de la maison d’habitation qui se trouvait au fond du jardin et il attendit quelques instants.

On ne sentait aucun souffle d’air. Il faisait une chaleur d’orage que la nuit n’avait point atténuée. Par moments, de grands éclairs illuminaient d’une lueur blafarde le pays entier.

Jacques Faramont prêta l’oreille. Au bout de quelques minutes, il perçut un bruit de pas légers, et son cœur d’adolescent battit à rompre.

— C’est elle, murmura-t-il.

Quelques instants plus tard, se glissant le long d’une haie, puis parvenant jusqu’au pied de la maison devant lequel s’était assis Jacques Faramont, une silhouette féminine se précisait. Le jeune homme ne s’était pas trompé, c’était elleen effet, et elle, n’était autre que Brigitte, la gentille femme de chambre des Keyrolles.

La soubrette s’était rapidement éclipsée de chez ses maîtres, une fois son service terminé. Elle arrivait en cheveux, avec son petit tablier brodé à l’anglaise, dont le lacet blanc noué au-dessus des hanches dessinait ses formes gracieuses, moulées dans une robe noire toute simple.

Brigitte se rapprocha du jeune homme, se serra contre lui.

— Monsieur Jacques, souffla-t-elle tout bas, qu’est-ce que je fais là ? Comment allez-vous me juger ?

Pour toute réponse, le jeune homme étreignit Brigitte.

— Merci, Brigitte, murmura-t-il, merci d’être venue. Si vous saviez comme je vous aime. Vous êtes si jolie !

— Si monsieur et madame me voyaient ?

— Ils ne vous verront pas, poursuivit Jacques qui couvrait de baisers la nuque et les joues de la gentille personne et cherchait ses lèvres.

— Monsieur est trop entreprenant.

— Ne me parlez donc pas à la troisième personne, je vous en prie. Quand nous sommes seuls, Brigitte, je te tutoie, fais donc de même.

— Je n’oserai jamais, dit la petite bonne qui, cependant, peu à peu s’enhardit à rendre ses caresses à son amoureux.

Ils s’étaient assis sur les marches du perron de la maison où ils s’étaient donné rendez-vous. Ils se sentaient là tranquilles et ignorés. Le lieu de leur rencontre avait été bien choisi. Les amoureux, en effet, se trouvaient dans le parc assez vaste, très touffu, d’une villa toute voisine de celle des Keyrolles, inhabitée depuis des années. On ignorait dans le pays le nom des propriétaires.

Sur les marches, comme sur les bordures des fenêtres, poussaient des herbes et de la mousse ; le toit se détériorait petit à petit et des fissures s’ouvraient entre les tuiles déplacées par le vent ou les intempéries.

— Brigitte, Brigitte, déclarait tendrement Jacques Faramont qui avait pris la soubrette sur ses genoux et l’étreignait de toutes ses forces, je vous aime de tout mon cœur, et vous aimerai toute ma vie.

— Monsieur exagère, fit-elle. Vous exagérez, monsieur Jacques. Je sais bien que ça n’est pas vrai. Tu ne peux pas m’aimer toujours. Il faudra bien que tu te maries un jour. Et on n’épouse pas la bonne de son oncle. Mais je n’en demande pas tant, je t’aime aussi, ne pensons plus qu’au présent !

Les deux amoureux échangeaient des baisers passionnés, lorsque brusquement ils s’écartèrent l’un de l’autre, contrariés :

— Bon, murmura Jacques, voilà la pluie.

De grosses gouttes d’eau lourdes et froides tombaient autour d’eux, en effet, lentement d’abord, avec précipitation ensuite. Elles transperçaient la voûte épaisse des arbres étendue au-dessus de leurs têtes et l’on pressentait, à la chaleur torride qu’il faisait ainsi qu’à l’obscurité profonde qui régnait, qu’il s’agissait là d’un orage, d’un gros orage, comme on en voit au mois de mai, orage qui allait éclater avec une effroyable violence et tout détremper autour de lui.

Brigitte et Jacques avaient remonté les quelques marches du perron et venaient s’accoter à la porte de la maison, abrités sous la petite marquise qui surplombait l’entrée. Mais soudain, alors qu’ils s’appuyaient sur cette porte comme pour se faire plus minces, plus inaccessibles à la pluie, le battant céda.

Jacques Faramont trébucha, manqua tomber en arrière. De même pour Brigitte, mais tous deux s’accrochaient l’un à l’autre, rattrapaient leur équilibre et profitaient de la circonstance pour s’embrasser une fois de plus.

Ils poussèrent un grand cri de joie :

— Ah par exemple, s’écria Jacques Faramont, c’est de la veine ! La porte était mal fermée, et voici qu’elle s’ouvre pour nous. Entrons dans cette maison.

Il attira Brigitte dans le couloir obscur :

— Monsieur Jacques, protestait la petite bonne, n’allez pas plus loin. Si l’on nous découvrait…

— Tu es sotte, ma pauvre Brigitte, poursuivait le jeune homme. Tu sais bien que cette maison est abandonnée.

La pluie faisait rage au-dehors. Les nuages avaient éclaté avec une force incroyable et la température brusquement s’abaissait.

Brigitte frissonna et elle se pelotonna à nouveau dans les bras de son amoureux. Tous deux s’enhardissaient d’ailleurs, et quittant le vestibule dans lequel ils se trouvaient, d’où les chassait un violent courant d’air dû à des vitres cassées, ils s’introduisirent dans l’une des pièces du rez-de-chaussée, une sorte de petit salon.

Jacques Faramont fit craquer une allumette et, à sa lueur, constata qu’il ne s’était pas trompé. L’entreprenant amoureux n’y vit clair que quelques secondes, mais cela lui suffit pour remarquer un divan dans un angle de la pièce.

Avec autorité, il y attira Brigitte, et la gentille soubrette, très éprise, se laissa conduire.

Au-dehors l’orage s’atténuait peu à peu. Le bruit que l’on entendait désormais n’était plus celui d’un nuage qui crève, mais bien de l’eau qui coule dans les gouttières, qui ruisselle le long des murs. C’était un murmure doux et berceur, qui accompagnait le duo d’amour du jeune avocat et de la petite bonne.

Mais brusquement, ils s’interrompirent et Brigitte, terrorisée, balbutia à l’oreille de son amant :

— Mon Dieu, qu’est-ce que c’est ? As-tu entendu ?

— Oui, qu’est-ce que c’est ?

— Mon Dieu, pourvu qu’il ne nous arrive rien, j’ai peur !

— Peur de quoi ? interrogea Jacques qui, tout en s’efforçant de demeurer calme, sentait naître en lui une réelle inquiétude.

— Il y a tellement d’aventures en ce moment, de crimes, de criminels ! Rappelez-vous, Jacques, tout à l’heure, votre oncle parlait de Fantômas. Si c’était lui ?

Jacques allait protester, s’efforcer de montrer à la jeune femme combien cette supposition était peu justifiée, mais les bruits devenaient de plus en plus nets.

— Mon Dieu, répéta Brigitte, certainement il va nous arriver un malheur.

Tout à coup, très lentement, la porte de la pièce dans laquelle étaient les deux amoureux s’ouvrit.

On n’entendait que le claquement des dents de Brigitte, incapable de dominer sa terreur. Devant les amoureux se dressait l’apparition la plus inattendue que l’on pût imaginer.

La porte avait livré passage à une forme humaine toute blanche, comme un fantôme, qu’éclairait la lueur falote d’une bougie dont la flamme vacillait, prête à s’éteindre, semblait-il, secouée par les courants d’air. Jacques et Brigitte avaient devant eux une femme, enveloppée d’un grand peignoir tout blanc, drapé de la plus étrange façon. Était-ce véritablement un peignoir, que cette sorte de drap immense qui l’enveloppait des pieds à la tête, serré à la taille, semblait-il, et aux épaules, large et fendu à la hauteur des bras qui se mouvaient eux-mêmes dans des sortes de grandes manches ? Sur le visage de cette femme était un voile de mousseline à travers lequel on distinguait mal ses traits. Elle avait une chevelure d’une abondance extrême, toute blanche aussi.

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