La guepe rouge (Красная оса) - Страница 12
— Probable, Bébé. Je te l’avais d’ailleurs déjà dit dans la taule du bistrot. Y a pas deux femmes au monde pour avoir cette façon de vous regarder. On dirait les mirettes d’un juge d’instruction.
— Enfin, c’est toujours ça et nous savons où est la fille de Fantômas.
— Oui, dit le Bedeau en riant, on s’en fout de cavaler derrière elle, on sait où l’oiseau perche, et si jamais on a besoin de le dénicher, la chasse sera facile.
5 – LES RENCONTRES
Encore émue de la rencontre qu’elle venait de faire, Hélène, qui avait pressé le pas, s’arrêta stupéfaite au seuil de son domicile.
Devant elle se dressait la silhouette d’une femme, jeune, élégante, à la toilette tapageuse : Sarah Gordon.
— Enfin ! dit l’Américaine, cependant que dans ses yeux brillait un éclair de triomphe.
— Que voulez-vous de moi ? Comment se fait-il que vous soyez ici ?
— Que vous importe ? J’ai simplement besoin de vous parler. Oserez-vous me recevoir chez vous ?
— Suivez-moi.
Quelques instants plus tard, les deux femmes étaient dans la modeste demeure de la fille de Fantômas.
C’était un appartement étriqué, petit, composé de deux pièces qu’Hélène avait louées meublées, et dans lesquelles s’affirmait nettement le mauvais goût banal d’un logeur qui visait à l’économie. L’Américaine croisa les bras et fixant Hélène de son regard soupçonneux chargé de colère, elle interrogea :
— Oserez-vous me soutenir encore, mademoiselle, que vous êtes la maîtresse de Dick ?
Hélène avait donné sa parole, et il lui était impossible de rompre le pacte mystérieux qu’elle avait conclu avec Dick. Sans regarder son interlocutrice, courbant les épaules et baissant les yeux, la jeune fille déclara :
— Dick est mon amant.
— Vous êtes odieuse, mademoiselle, d’avouer semblable chose devant moi. Moi qui suis aimée de Dick, moi qui l’aime.
— Je n’y puis rien, les faits sont là indiscutables, et le passé ne nous appartient ni à l’une ni à l’autre.
— Mademoiselle, aimez-vous Dick ?
Cette fois, à cette question, Hélène pouvait répondre honnêtement :
— Non, dit-elle de la façon la plus catégorique.
Sarah soupira profondément :
— Alors pourquoi êtes-vous sa maîtresse ?
— Parce que… parce que cela est, voilà tout.
— Vous êtes la maîtresse de Dick et vous ne l’aimez point ? Alors, je vous en prie, promettez-m6i de le quitter, promettez-moi que vous ne serez désormais plus rien pour lui. Si vous saviez combien je suis éprise. Tenez, je vous avais dit, l’autre jour, que j’étais décidée à retourner en Amérique, à partir avec ou sans lui, eh bien, j’y ai renoncé. Je n’ai pas pu le faire, je suis restée, lâchement.
Hélène, cependant, se sentait peu à peu gagnée par la douleur très sincère de cette malheureuse, à qui la richesse n’apportait évidemment pas le bonheur. Et elle faillit lui avouer qu’elle était toute prête à accéder à ses désirs. Elle aussi ne demandait qu’une chose, c’était de ne plus jamais voir Dick, de ne plus le rencontrer. Mais elle se souvenait du serment terrible qu’elle avait fait, quinze jours auparavant, lorsqu’elle était en tête à tête avec ce mystérieux personnage. Et puis, un doute lui venait. Comment Sarah Gordon se trouvait-elle chez elle ? Qui avait pu lui communiquer son adresse ? Quelle était la nouvelle machination que l’on ourdissait contre elle ? Et, résolue désormais à ne rien modifier aux promesses qu’elle avait faites, Hélène, dissimulant ses véritables intentions, déclara :
— Je ne peux rien vous promettre, mademoiselle, bien au contraire, et je continuerai à être la maîtresse de Dick, tant qu’il lui plaira d’être mon amant.
— C’est bien, proféra l’Américaine, la guerre est déclarée entre nous, mademoiselle.
— Comme il vous plaira.
— Puisque vous ne voulez pas céder, je ne céderai pas non plus. Je me suis abaissée, voici un instant, à vous supplier et vous m’avez montré que vous n’aviez point de cœur, tant pis ! Puisque la douceur n’agit pas sur vous, j’agirai par la force. Ah vous êtes bien la digne fille de votre père.
Hélène blêmit, mais se mordit les lèvres pour ne pas répondre. L’Américaine continua :
— Fantômas est en prison, tant mieux, mais vous y manquez et votre liberté, mademoiselle, je vous en préviens, ne durera pas longtemps. J’ai des motifs suffisants pour vous faire arrêter. Croyez que rien désormais ne pourrait m’en empêcher. Ah, vous ne savez pas ce que c’est que la ténacité d’une femme jalouse. Et ce que j’ai manqué à Enghien, je le réussirai à Paris.
Sarah Gordon venait de bondir vers la porte du modeste appartement, elle la claqua derrière elle, on entendit son pas menu et précipité trébucher dans l’escalier sombre.
***
Il y avait eu, en effet, entre Hélène et Dick, un entretien mystérieux et secret, au cours duquel des propos tellement graves avaient été échangés, que la jeune fille, pour rien au monde, n’aurait voulu les révéler, même à l’être qu’elle chérissait le plus au monde, même à Jérôme Fandor.
Hélène s’était endormie fort tard dans la nuit, et, terrassée par la fatigue, elle reposait encore, bien que la matinée fût fort avancée, lorsqu’un coup discret, frappé à sa porte l’éveilla en sursaut.
— Qui va là ? Que me veut-on ? demanda-t-elle, toute pâle à l’idée que peut-être Sarah Gordon avait déjà mis ses menaces à exécution, que sa retraite était découverte, que la police venait l’appréhender.
Une voix cependant, lui répondait et Hélène frissonna. Ce n’était point la police, c’était Dick, le mystérieux acteur qui voulait lui parler.
Quelques instants après, l’artiste était devant elle.
Hélène était de plus en plus perplexe. Comment celui-ci savait-il désormais son adresse, de même que Sarah la veille au soir avait su où elle demeurait ?
Dick rougit imperceptiblement :
— Votre adresse, dit-il, je l’ai eue par le fait d’une indiscrétion. Il y a trois jours, mademoiselle, vous écriviez au policier Juve pour l’informer des aventures qui vous étaient survenues, et demander, je crois, sa protection. Vous lui disiez où il pourrait vous joindre.
— C’est vrai, déclara Hélène, toute pâle. Comment se fait-il que Juve vous l’ait communiquée ?
— J’ai été incorrect, vous dis-je, interrompit l’acteur en esquissant un sourire, mais nécessité n’a pas de loi, il me fallait savoir où vous étiez, j’ai vu cette lettre non décachetée chez Juve, je l’ai prise, ouverte, voilà pourquoi je suis chez vous.
— C’est indigne, monsieur !
— Je l’avoue, mademoiselle, mais il fallait que je vous voie et surtout que je m’assure de la façon dont vous respectiez les promesses faites.
Hélène comprit alors pourquoi Sarah Gordon était venue la voir la veille. On avait voulu l’éprouver. Dick, sans doute, avait envoyé chez elle l’Américaine pour s’assurer que la fille de Fantômas tiendrait sa promesse.
Elle foudroya l’acteur du regard, puis, s’efforçant de rester calme, cependant que sa voix tremblait, elle proféra, hautaine et dédaigneuse :
— Il est difficile, monsieur, même pour un cerveau très imaginatif, de concevoir semblable ignominie, je vous en fais mon compliment.
L’acteur rougit, fronça le sourcil :
— Là n’est pas la question, déclara-t-il.
Et il ajoutait, cependant qu’il se dirigeait vers la porte, dans l’intention de se retirer :
— Je suis venu simplement pour m’assurer de votre présence et aussi pour vous dire qu’il fallait encore continuer comme précédemment, plus peut-être, à soutenir devant Sarah Gordon que je suis votre amant.
— J’allais justement vous dire, à mon tour, monsieur, qu’il me sera désormais impossible de continuer cette abominable comédie.
— Vraiment ? À votre aise ! Mais dans ce cas, je vous préviens que si vous reprenez votre parole, je m’estimerai délié de mon serment à votre égard.
— Non, non, je vous en prie ! Puisqu’il en est ainsi, ne changeons rien à ce que nous avons décidé, je ne vous rendrai pas votre parole et puisque vous l’exigez, je tiendrai mon serment jusqu’à ce qu’il vous plaise de me faire dire le contraire.