La fille de Fantomas (Дочь Фантомаса) - Страница 6
Le nègre, toutefois, auquel on avait donné, indépendamment de ses dix mille livres sterling, un superbe bracelet d’or, exprimait sa joie intense par une mimique expressive et une perpétuelle agitation. Sans cesse, il montrait son poignet orné du bijou, et ne s’interrompait que pour frapper de sa large main la poche intérieure de son veston où il tenait sa fortune en billets de banque.
Jupiter, d’ailleurs, se réjouissait beaucoup plus, semblait-il, du bracelet d’or que du papier-monnaie.
Avisant Hans Eiders qui passait dans le voisinage, il l’interpella presque familièrement.
— Moussié Hans, disait-il, moi pas vouloir garder cet argent… Moi te le donner pour mettre dans la caisse à secret… Jupiter pas besoin… il le reprendra quand il achètera une femme.
Hans Elders sourit de la confiance du nègre. Il commença par refuser ce dépôt. Mais – comme un véritable enfant – Jupiter avait pris une mine contrite, et le directeur de la chercherie finit par céder.
On insistait d’ailleurs auprès de lui :
— Vous ferez bien, lui disait-on, de mettre cette petite fortune en sécurité. Jupiter livré à lui-même irait la jouer ou la boire.
— Soit, avait répondu Hans Elders.
Avec quelques intimes il avait passé dans son cabinet de travail, et déposé provisoirement les billets de banque dans un tiroir fermé à clef, avant d’aller les porter dans son coffre-fort.
Le jeune Teddy, toutefois, n’était pas resté longtemps en contemplation devant le nègre, pour lequel il éprouvait cependant une sincère et cordiale affection.
Teddy avait une préoccupation évidemment plus sérieuse. De ses yeux intelligents et fureteurs, il fouillait l’ombre des massifs et les allées touffues du parc.
Un couple s’y promenait, cherchant la solitude, semblait-il.
Teddy, amusé, suivait des yeux ce manège.
— Oh ! oh ! pensa l’adolescent, voilà un flirt qui, non seulement se dessine, mais s’affirme joliment. Winifred et le lieutenant Wilson Drag. Ma foi, ils me paraissent faire un joli couple. Mais jamais ce vieux bandit de Hans ne consentira…
Teddy eut un geste évasif cependant que son front se plissait. Il semblait qu’à chaque fois que le nom de Hans Elders lui venait à l’esprit, il éprouvait comme une douleur et qu’une colère sourde s’allumait dans son cœur.
Quels pouvaient bien être les motifs qui déterminaient chez ce gentil garçon, aux manières douces et élégantes, une haine semblable pour un homme d’âge mûr, et qui avait gagné l’estime et la considération par son travail opiniâtre ?
Le soir venait ; les invités du chercheur de diamants qui, jusqu’alors avaient erré, soit dans les salons de la villa, soit dans le vaste parc de la propriété, avaient regagné le jardin d’hiver pour y déguster la boisson traditionnelle… le thé… Et c’était dans cette pièce une gaieté charmante, une réunion pleine d’entrain, d’où fusaient les rires les plus joyeux, où les hommes élégants, distingués et aimables courtisaient avec tact les femmes les plus gracieuses et les plus délicatement parées.
Les conversations, toutefois, s’interrompirent à l’arrivée d’un personnage tout couvert de poussière, qui s’arrêta interdit sur le seuil de la porte, surpris sans doute de se trouver en si belle compagnie.
Mais Hans Elders avait déjà couru vers lui et l’attirait au milieu des invités, voulant de toute force le présenter au gouverneur :
— Sir Houston, permettez-moi de vous faire connaître mon collaborateur et ami : M. Ribonard, un Français qui s’occupe très activement du placement de nos diamants.
— Ils doivent être d’un placement facile ? dit le gouverneur, facétieux comme tous les gouverneurs qui viennent de prendre le thé, auquel Ribonard répondit :
— Mon Dieu, monsieur, cela dépend de la demande… les marchés sont très variables, particulièrement depuis ces dernières années, et le Brésil nous fait une grosse concurrence, mais les affaires ne vont pas mal en ce moment… J’arrive de Pretoria où la Bourse est excellente…
Le courtier et le gouverneur causèrent encore quelques instants cependant que les salons se vidaient peu à peu.
Devant le perron de la maison s’alignaient les modes de transport les plus variés : calèches élégantes, d’un autre âge, attelées en poste et conduites par des Cafres montés à califourchon. Il y avait aussi des automobiles de luxe qui trépidaient au milieu de l’escadron des chevaux de selle.
Teddy, plus renfrogné encore qu’au début de la journée, s’esquiva parmi les derniers invités.
Décemment, il ne pouvait rester plus longtemps chez Hans Elders. Il semblait toutefois que le jeune homme aurait voulu ne pas quitter la villa du riche prospecteur de diamants.
Quels étaient donc les motifs qui pouvaient l’y retenir ? Quels qu’ils fussent, d’ailleurs, Teddy n’y obéissait pas. Sautant à cheval, d’un seul bond, sans s’aider de l’étrier que lui tenait un serviteur, il se mit en selle rapidement, et ne suivant pas les autres invités qui, pour la plupart, regagnaient la ville, élégant cavalier, il s’élança à travers la campagne, galopant dans la direction de la lisière d’une grande forêt au bord de laquelle, à six miles de chez Hans Elders, se trouvait la ferme pittoresque où il avait été élevé.
***
La tristesse silencieuse, qui succède à une fête qui vient de s’achever, planait maintenant sur la villa de Hans Elders, que les familiers avaient baptisée tout naturellement « Diamond House » pour la distinguer de la chercherie proprement dite, alors que les immeubles des ouvriers de la taillerie, groupés autour de l’usine, avaient été appelés, non moins évidemment, « Diamond City ».
Dans le salon encore en désordre et que les tziganes venaient de quitter, Winifred, son père et le nègre Jupiter se trouvaient réunis.
On avait pris le thé fort tard, c’est à peine si le père et la fille avaient dîné. L’un et l’autre fumaient distraitement des cigarettes en écoutant le brave nègre qui donnait libre cours à sa joie :
— Miss Winie, disait l’excellent Jupiter, moi pas besoin d’argent. Si ton papa veut bien, moi donner tout pour toi marier avec qui tu voudras…
La jeune fille sourit, mais Hans Elders gourmanda le nègre :
— Tu es plus naïf, Jupiter, que l’enfant qui vient de naître… Merci de tes bonnes intentions, mais Winie ne veut rien accepter… que diable… à chacun ce qui lui appartient… et c’est bien le moins – puisque tu as gagné cet argent honnêtement, – que tu en profites… L’honnêteté, vois-tu, c’est toujours ma devise.
Sur ce, grande profession de foi, tendant à démontrer que Hans Elders était assurément le plus honnête homme que la terre eût jamais porté.
Jupiter l’écouta un instant, mais incapable de commander à sa pensée, le nègre changeant soudain d’avis formait les projets les plus extravagants.
Il allait, disait-il, acquérir une province entière, et chercher de l’or. Il en trouverait des montagnes. Il en ferait des bijoux, des ustensiles de ménage, des couverts et de la vaisselle, des bracelets de toutes sortes… Jupiter se grisait de l’idée qu’un jour, peut-être, il serait paré comme une châsse et vêtu d’or de la tête aux pieds.
Déjà pour donner quelque consistance à son projet, il méditait de transformer les billets de banque en belles et bonnes pièces d’or qui pèseraient lourd une fois mises dans des sacs, et qu’il pourrait faire miroiter en les étalant au soleil. Tout en parlant, le nègre buvait et rebuvait de copieuses lampées de whisky.
Hans Elders, allongé sur un canapé d’osier, ne prêtait qu’une médiocre attention aux propos et aux actes de l’excellent Jupiter.
Winifred était sortie de la pièce.
Quelques paroles brèves avaient été échangées entre elle et son père, paroles qui laissaient ce dernier tout soucieux. Hans et sa fille n’étaient pas d’accord : Winifred avait déclaré vouloir épouser le lieutenant Wilson Drag. Depuis de longues années les jeunes gens étaient épris l’un de l’autre. Ils s’étaient juré un amour éternel et voici que lorsque Winie avait annoncé, toute rougissante, cette grande nouvelle à son père, au cours même de la fête donnée pour célébrer ses dix-huit ans, le chercheur de diamants s’était mis dans une violente colère et avait déclaré à Winie que jamais il ne consentirait à lui donner pour mari cet officier sans le sou. Winifred avait pâli. Winifred avait fui la pièce où se trouvait son père.