La fille de Fantomas (Дочь Фантомаса) - Страница 5
Avec une pointe d’ironie, Fräulein Grosschen, dont le regard malicieux pétillait derrière les lunettes à cercle d’or, répliqua lentement :
— Si nous en croyons les Écritures, monsieur Hans Elders, le principe de l’honnêteté remonte encore plus haut que votre bisaïeul, mais, néanmoins, il y a lieu de vous féliciter de le respecter car, notamment dans ce pays neuf que vous habitez, l’observation du Devoir et la correction ne sont pas tellement répandues.
— C’est exact, reconnut Hans Elders, vous avez pu vous en apercevoir comme moi.
— Oui, répliqua la grande et sèche Allemande avec un air dépité.
Hans Elders faisait allusion à un vol dont avait été victime, quelques semaines auparavant, Fräulein Grosschen. Un rat d’hôtel lui avait dérobé son porte-monnaie, la nuit, ainsi qu’une chaîne en or, et l’anguleuse personne en voulait à la nation entière du dommage qu’elle avait éprouvé.
Fräulein Grosschen, célibataire invétérée, était depuis quelques mois déjà dans l’Afrique du Sud, où elle venait effectuer une étude économique et sociale pour le compte d’un journal de Berlin. Il était bien évident que les travaux de la femme écrivain refléteraient cette opinion assez fâcheuse sur les habitants du Natal.
Hans Elders, cependant, lui expliquait le mécanisme de son affaire.
Venu dans ce pays nouveau quinze ans auparavant, avec l’intention de s’y livrer à des travaux agricoles, il avait eu la chance de découvrir dans le lit d’une rivière une série de petits diamants qui lui avait donné à croire qu’il existait là un gisement de premier ordre.
Hans Elders avait tenu sa découverte secrète, avait acheté de nombreux terrains. Il avait embauché un important personnel et, une fois seulement que son organisation avait été au point, il avait publié sa merveilleuse trouvaille.
D’abord, nul avait voulu le croire, car, de mémoire d’homme, on n’avait jamais trouvé de diamants au Natal.
Il fallu bien se rendre à l’évidence toutefois : Hans Elders en trouvait dans sa chercherie, et même de forts beaux.
— Mais, poursuivit Fräulein Grosschen, qui, scrupuleusement, prenait des notes, vous avez fait mieux encore, n’est-il pas vrai ?
…Et tandis qu’elle passait dans le jardin avec Hans Elders, elle lui désignait les cheminées d’une grande usine qui se profilaient sur le ciel, à quelque distance de la propriété.
— Effectivement, répliqua Hans Elders, afin d’abaisser le prix du diamant en supprimant les intermédiaires et en diminuant la main-d’œuvre, j’ai installé ici même une taillerie semblable à celles d’Anvers ou de Rotterdam.
Fräulein Grosschen allait poser des nouvelles questions à son hôte, mais celui-ci la quitta brusquement pour aller saluer un couple qui faisait son entrée dans la véranda. Couple important à coup sûr, puisqu’à son entrée, les conversations s’étaient arrêtées, et l’orchestre des tziganes avait interrompu sa valse lente, pour attaquer le God Save the King.
Les nouveaux arrivants n’étaient autres, en effet, que sir et lady Houston.
Sir Houston était le gouverneur de Durban. Il représentait le gouvernement anglais avec une majesté et une morgue tout à fait caractéristiques.
Hans Elders s’était précipité au-devant de ces invités de marque qui, pour la première fois, avaient daigné accepter son invitation. Il se confondait en salutations et en remerciements.
— Lady Houston, dit-il en baisant galamment la main de la belle Anglaise, vous excuserez cette petite réception familiale, qui est loin de la splendeur de vos réunions au palais de la Résidence, mais vous savez que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a.
Sir Houston félicitait Hans Elders :
— Vous occupez, déclara-t-il, de nombreux ouvriers dans votre chercherie, je suppose que la plupart sont Anglais ?
— Oh, certainement, ce sont d’ailleurs les meilleurs ouvriers du monde, et cela a l’avantage d’affirmer encore l’influence de l’empire britannique dans la colonie.
Hans Elders interrompit soudain ses compliments pour présenter au gouverneur et à sa femme, sa fille Winifred.
— C’est le plus beau joyau de ma collection, déclara-t-il en souriant.
Cependant que sir Houston s’inclinait devant la jeune fille, lady Houston lui tendait la main cordialement.
— Et, ajoutait-elle en répondant à Hans Elders, c’est assurément aussi le bijou qui vous est le plus cher.
Par déférence pour le gouverneur et respect pour l’actualité, on s’était entretenu dans les groupes susceptibles d’être entendus de lui, du récent désastre des docks, de l’incendie dont les dégâts étaient heureusement couverts par l’assurance.
Puis cet hommage au malheur une fois rendu, chacun avait repris la mine souriante de rigueur.
Winifred Elders était l’objet de tous les regards, aussi des commentaires les plus flatteurs.
La jeune fille faisait les honneurs de la demeure de son père à l’épouse du gouverneur.
Quant à celui-ci, ayant avisé un groupe d’officiers qui fumaient dans le jardin, à l’ombre d’un grand arbre, il allait se mêler à eux.
Un instant, Hans Elders, resté seul, se faufila hors de la salle où les valseurs reprenaient leurs danses, lorsqu’il se heurta à un jeune homme, qui le salua le premier d’un léger hochement de tête.
— Tiens, s’écria Hans Elders, vous voilà vous, petit sauvage… Comment se fait-il qu’on vous rencontre dans une fête mondaine ?
L’adolescent que Hans Elders avait qualifié de « petit sauvage » pâlit et murmura les dents serrées :
— J’ai fait un effort sur moi-même, monsieur… mais croyez bien que je trouve votre réception charmante.
Hans Elders déjà s’était éloigné, cependant que le jeune homme, de plus en plus ému, se disait tout bas :
— Et dire qu’il faut lui serrer la main… qu’il faut lui faire bon visage… à ce monstre, à ce bandit… Heureusement qu’il ne se doute de rien, et que moi je le connais… j’ai donc l’avantage sur lui.
Il fut arraché presque aussitôt à ses réflexions. Des jeunes gens et des jeunes filles en costumes de sport avaient surgi dans le petit salon. Les uns et les autres appelaient :
— Teddy… Teddy…
Teddy, car c’était lui, sourit aux nouveaux arrivants, distribua des poignées de mains.
— Nous allons faire un « golf », dit un robuste gaillard. Déjà tout prêt à cet exercice, il avait constitué une équipe où se trouvaient quelques femmes très résolues à parcourir une dizaine de milles à pied avant l’heure du thé.
Mais la partie de golf était concurrencée par une attraction sensationnelle, et Teddy, entraîné dans la foule de ses amis, se trouva soudain dans la véranda, au milieu d’une foule compacte de jeunesse qui entourait un nègre véritablement magnifique de silhouette et de musculature.
Jupiter.
On connaissait Jupiter, depuis cinq ou six ans, comme l’ouvrier le plus dévoué de la chercherie de diamants.
Certes, il eût été étrange de le rencontrer à cette réception élégante et mondaine, s’il n’avait été, comme ses collègues, qu’un simple noir obligé de gagner sa vie en fouillant dans la terre molle pour en extraire le diamant. Mais Jupiter, mettant à profit sa vigueur herculéenne, s’était entraîné à la boxe depuis de longues années. Rapidement, il avait excellé dans ce sport et il était devenu le champion de la région.
C’était déjà quelque chose.
Or, depuis trois jours, Jupiter avait fait mieux.
Au cours d’un match sensationnel, il avait mis « knock-out », c’est-à-dire battu le champion d’Australie, le célèbre Boully Stone, et, de ce fait, avait gagné la jolie somme de dix mille livres sterling.
Le clan des auditeurs de Jupiter se divisait en deux groupes : il y avait ses admirateurs absolus, gens épris de sport et pleins de respect pour la vigueur de ces poings qui avaient démoli l’homme considéré jusqu’alors comme invincible. Il y avait aussi les puristes, les gens de tradition, qui ne pouvaient admettre que l’on reçût dans une société, même un peu mêlée, un homme de couleur.