La fille de Fantomas (Дочь Фантомаса) - Страница 15
— Pour te plaindre, mon petit. De qui ? On t’a fait mal ? Quelqu’un t’a tourmenté ?
— Oui, docteur. Un infirmier…
Le front du directeur se plissa.
Les infirmiers de l’asile ? Gérard Herbone prenait un soin tout spécial pour les choisir, pour s’assurer que c’étaient de braves garçons, incapables de tourmenter les fous confiés à leur garde. Mais des enquêtes pouvaient-elles le rassurer à cet égard ?
Et chaque fois qu’on lui disait, que ce fût un interne ou que ce fût un dément, qu’un infirmier avait été brutal, Gérard Herbone, malgré lui, tremblait que ce ne fût vrai.
— Un infirmier t’a tourmenté ? c’est vrai cela ? dis-moi ce qu’il t’a fait ? Va, parle en confiance, tu sais que je ne veux pas qu’on ennuie mes pensionnaires ? Raconte-moi tout ? je te promets que je te ferai rendre justice.
— Ah, docteur, docteur, vous êtes bon, et que je vous remercie de tout mon cœur… Vous ne pouvez pas savoir l’importance qu’il y a précisément à ce que vous me fassiez rendre justice.
— Si, si. Mais qu’est-ce qu’on t’a fait ?
— Docteur, il y a deux jours, le soir même de l’entretien que j’avais eu avec vous, j’étais couché dans ma chambre, et avant de me coucher, j’avais posé mon crâne, vous savez, ce crâne auquel je tiens follement, sur une chaise à côté de mon lit…
— Oui, alors ?
— Docteur, vous aviez permis, n’est-il pas vrai, qu’on me laisse ce crâne ?
— Est-ce qu’on te l’a repris ?
— Oui, docteur. Figurez-vous que, pendant la nuit, j’ai été réveillé par quelqu’un, par un gardien, par mon gardien qui entrait dans ma chambre. Je dormais à moitié, c’est pour cela que je n’ai pas pu appeler tout de suite. Cet homme s’est approché de mon lit, a pris le crâne, s’est sauvé par la fenêtre.
— Par la fenêtre ? mais voyons, mon petit, il y a des barreaux à ta fenêtre ?
— C’est vrai, docteur, je me trompe. J’ai cru qu’il se sauvait par la fenêtre, mais en fait, les choses n’ont pas dû se passer ainsi… Docteur, cet homme a pris le crâne sur la chaise, il a ouvert la fenêtre, et l’a jeté dans les terrains vagues qui entourent l’asile… C’est à ce moment que je me suis réveillé.
— Et alors, qu’est-ce que tu as fait ?
— Docteur, j’ai couru à la fenêtre, pour me précipiter sur mon voleur. Mais il s’était échappé. Je me suis heurté au carreau, j’en ai même brisé un et je me suis coupé au poignet… Voyez mes cicatrices… Puis j’ai appelé, j’ai crié… J’espérais qu’un second gardien arriverait…
— Et il n’est venu personne ?
— Si, docteur, c’est le même gardien qui est arrivé accompagné d’un de ses aides, ils m’ont pris par derrière, lui a prétendu que j’avais une crise, son collègue l’a naturellement cru, ils m’ont battu, ils m’ont passé la camisole de force, ils m’ont traîné à la douche. Docteur, il faut que l’on retrouve ce crâne. Je vous en conjure, il faut que vous mettiez tout en œuvre pour qu’on le recherche dans le terrain vague.
Gérard Herbone venait de se lever.
Il se promenait à grands pas dans son cabinet de travail, tête basse, les mains enfoncées dans les poches, dans l’attitude d’un homme qui réfléchit profondément.
En fait, le directeur de l’asile était non seulement ému, mais encore très troublé.
Jérôme Fandor venait de lui parler d’un ton si pondéré, de façon si calme, alors qu’en général, les fous s’énervent quand ils font allusion à l’une de leurs anciennes hallucinations, qu’il était pris d’un doute.
Était-ce vrai ce que lui contait ce dément ?
Parbleu, c’était possible à la rigueur qu’un infirmier, par manière de plaisanterie, par cruauté bête, se fut amusé à voler à ce pauvre garçon, le crâne auquel, dans sa folie – à supposer qu’il fût fou – il attachait une si grande importance.
Mais comment le savoir ?
Gérard Herbone arrêta bientôt sa promenade :
— On t’a battu ? questionna-t-il, c’est vrai, cela ?
D’un geste spontané, Fandor se dépouilla de son veston, releva la manche de sa chemise :
— Tenez, docteur, j’ai le bras couvert d’ecchymoses…
Gérard Herbone se pencha sur le journaliste, regarda de nombreuses traces bleuâtres sur le bras qu’exhibait son patient.
Et cette fois, le docteur ne répondit rien. Pour la première fois, peut-être, de sa carrière, il lui venait une horreur soudaine de ses fonctions.
— Écoute, dit-il à Fandor, je te crois, et si cela est comme tu le racontes, je te promets que je ferai tout le nécessaire… mais si tu m’as menti… je te punirai sévèrement… voyons, m’as-tu dit la vérité ?… réfléchis ?… Tu te plains d’un infirmier, duquel, tu dois savoir son nom ? dis-le moi ? je m’en vais l’interroger là, devant toi…
Fandor n’hésita pas.
— C’est l’infirmier Georges, dit-il.
— Bon, attends.
Quelques minutes après, demandé d’urgence, l’infirmier Georges faisait son apparition dans le cabinet du directeur.
— Georges, commença d’une voix sévère, l’excellent Gérard Herbone, ne vous rappelez-vous pas qu’au moment où je vous ai engagé ici, je vous ai prévenu que je ne supporterais jamais que vous tourmentiez les malades ?
L’infirmier, en entendant ce début de réprimande, prit une figure stupéfaite.
— Mais, monsieur le directeur, commença-t-il, jamais…
— Qu’est-ce qui s’est passé l’autre jour au juste ? vous avez caché le crâne de ce garçon ?
— Moi, monsieur le directeur ?
L’infirmier, avec une conviction absolument sincère se frappa la poitrine…
— Moi, j’ai pris le crâne de ce pauvre diable ? Ah ! monsieur le directeur, c’est dur de s’entendre accuser de choses pareilles.
— Pourtant, il a bien disparu ? vous ne le niez pas ?…
— Mais, monsieur le directeur, s’il a disparu, ce n’est pas de ma faute. Puisque c’est précisément le malade qui l’a jeté par la fenêtre…
— Il l’a jeté par la fenêtre ? Mais non, Georges, il ne l’a pas jeté par la fenêtre, et la meilleure preuve c’est qu’il a appelé au secours… au voleur, donc on le lui a pris… Qu’est-ce que vous répondez à cela ?…
L’infirmier paraissait de plus en plus atterré. C’était d’une voix véritablement émue qu’il interrompit à son tour, et sans souci du protocole, en homme qui se défend d’une accusation injuste :
— Écoutez, monsieur le directeur, commença-t-il, je ne sais pas ce que ce pauvre malheureux vous a dit, mais vrai dieu, voilà ce qui est arrivé : j’étais dans le dortoir, avec le surveillant, tout d’un coup nous avons entendu appeler, en effet, « au secours » et « au voleur », nous nous sommes précipités tous les deux dans la chambre du malade – et l’infirmier désignait Fandor – nous l’avons trouvé debout, en chemise, hurlant devant le carreau de sa fenêtre, un carreau qu’il avait dû briser en jetant son crâne au travers… Il était furieux, il grinçait des dents, il faisait un tapage infernal.
— Oui… et alors vous l’avez pris ? vous l’avez battu ?…
— Non ! nous l’avons saisi, nous ne l’avons pas battu… Ah ! dame, monsieur le directeur, on l’a peut-être saisi un peu fort, un peu violemment, ça, je ne dis pas…
— Vous étiez deux, pourtant, vous auriez pu…
— Monsieur le directeur, vous savez bien comme ils sont forts quand ils ont une crise ?
— Et alors ? après ?
— Après, monsieur le directeur ? eh bien il n’y a rien, après… nous l’avons douché un peu pour le calmer, il était dans un tel état… et puis nous l’avons recouché ?
L’infirmier fit une pause, puis il reprit, de sa même voix bouleversée :
— Même, monsieur le directeur, c’est dur de voir que vous me soupçonnez d’une chose pareille… Mais pourquoi voulez-vous que je le lui ai pris son crâne…
— Est-ce que je sais, pour lui faire une plaisanterie ?
— Oh, monsieur le directeur, une plaisanterie, à un fou.
L’infirmier avait prononcé cette phrase d’un ton si sincère, si révolté, que Gérard Herbone, soudain, fut convaincu…
Après tout, c’était vrai ce qu’il disait, cet homme.
Il n’aurait eu aucun motif d’agir comme l’avait prétendu Fandor. Il y avait longtemps, du reste, qu’il était employé à l’asile, et puis, Fandor était fou. Et les fous sont capables des pires dissimulations, des mensonges les plus abominables.