La fille de Fantomas (Дочь Фантомаса) - Страница 12
C’était avec une angoisse secrète qu’il s’épiait lui-même, s’espionnait continuellement, passait son temps à se demander :
— Je fais ceci, je pense cela, est-ce d’un fou ? ou est-ce d’un homme normal ?
À minuit seulement, Jérôme Fandor ferma les yeux.
Il dormit d’un sommeil agité, fiévreux, entendant les moindres bruits. On avait laissé la porte de sa chambre ouverte pour donner plus de facilité au gardien dormant dans le dortoir voisin de le surveiller. Il entendait de temps à autre l’éclat de rire d’un dément, le hurlement d’un autre et puis aussi des interjections, des ordres de l’infirmier :
— Veux-tu te tenir tranquille, braillard ?
— Sapristi, vas-tu retirer tes draps ?
— Tu vas voir, toi, N° 28, si je vais te calmer avec une bonne douche.
En même temps qu’il percevait dans une demi conscience ce qui se passait auprès de lui, Fandor inventait les extraordinaires péripéties d’un cauchemar abominable :
C’était un homme à figure d’assassin qui surgissait dans sa chambre…
Tiens ! le gardien hurlait :
— Si vous criez encore, je vous douche.
… Oui, oui, c’était un homme qui pénétrait dans sa chambre…
Mais était-ce lui qui faisait craquer le parquet en marchant ?
Ou bien ce bruit venait-il du dortoir ?
Et puis que voulait-il, ce mystérieux visiteur de nuit ? Comment était-il entré ?
Fandor se retourna dans son lit, repris par sa fièvre… Oh ! mais il le reconnaissait, l’homme qui s’introduisait dans sa chambre. Parbleu ! ce n’était pas un cauchemar… il avait beau avoir bien sommeil, il ne rêvait pas. Quelqu’un était vraiment entré.
Oui ! oui ! c’était un uniforme qu’il portait, c’était un gardien, l’infirmier du dortoir, sans doute ?
Fandor, de plus en plus pris par le cauchemar, se tournait et se retournait. Il ouvrit des yeux hagards… Voyons, rêvait-il ou ne rêvait-il pas ? Ce gardien, qui était entré dans sa chambre, qui s’approchait de lui, qui frôlait son lit… Que méditait-il donc, cet homme ?
Fandor faisait effort pour se dresser sur son séant, mais le sommeil paralysait ses mouvements.
— Je rêve, je rêve, se dit-il.
Et puis, brusquement, la conscience lui revint.
Le journaliste venait d’étendre la main hors de son lit pour vérifier que le crâne auquel il tenait tant, et qu’il avait posé sur une chaise, était toujours à sa place.
Or, le crâne avait disparu.
Fandor chassa le sommeil d’un effort de volonté… Il ouvrit des yeux dilatés par l’effroi, il vit. Oui, il vit :
Un homme, vêtu comme un gardien, un gardien, son gardien, s’enfuyait par la fenêtre et emportait le crâne.
Fandor, d’un mouvement se jeta à bas de son lit… Il se rua vers la croisée, il hurla :
— Au voleur !…
Mais l’élan du jeune homme était tel qu’il se heurta brusquement aux vitres fermées… sa main passa au travers du carreau… Il s’était blessé… du sang giclait, chaud, rouge, précipité… mais Fandor n’y prêta même pas attention.
À travers les barreaux qui garnissaient la fenêtre, voilà qu’il croyait encore apercevoir la silhouette du gardien s’enfuyant et brandissant la tête de mort.
Pour la seconde fois, Fandor hurla :
— Au secours, au voleur…
Mais il n’acheva pas.
Dans le couloir où donnait sa chambre, des pas pesants retentissaient, un homme accourait :
— Mon crâne ! mon crâne ? On vient de voler mon crâne…
Fandor criait cela, agitant ses bras ensanglantés…
Et puis, il se senti empoigné par deux robustes gaillards, un bâillon s’appliqua sur sa bouche, des coups de poing l’étourdirent à demi.
— C’est la crise, dit une voix.
— Parbleu.
— Ce qu’il gueulait, l’animal. Un peu plus, il réveillait tout le monde…
Fandor se sentit enlevé, transporté. La lutte était impossible. On avait dû lui passer la camisole de force : il avait les mains prises, les jambes immobilisées.
Fandor sentit qu’on le déposait brutalement sur le sol… Et, avant même qu’il ait pu se reconnaître, c’était, sur sa poitrine, le rude choc d’un lourd jet d’eau ; c’était le fourmillement, sur tout son corps, d’une pluie glacée, si glacée qu’elle le brûlait… On le douchait.
Et maintenant qu’il s’éveillait, meurtri, brisé, affolé, sous le jet d’eau qui le torturait, qui le fouettait, Fandor songeait, indifférent presque à sa torture :
— Voyons, est-ce que je viens d’avoir un cauchemar ? est-ce que je suis fou ? est-ce que tout à l’heure je retrouverai le crâne dans ma chambre ? ou bien me l’a-t-on volé ? ou bien, s’est-on réellement enfui ?
5 – LA VIEILLE LAETITIA
Il était très tard.
Au vol circulaire des oiseaux de nuit qui rasaient de leurs battements d’ailes précipités le sommet des hauts arbres, aux cris des bêtes sauvages dont on devinait par moments les yeux flamboyants dans les broussailles, au croassement énervant des corbeaux attardés autour de quelque charogne, au hululement plaintif des chouettes, à tous ces riens qui sont pour l’homme habitué à la nuit du veld autant de détails parlants, autant d’indices certains, Teddy lisait l’heure.
La nuit était noire, sombre, froide, sans lune ni étoiles et peut-être, même, de gros nuages étaient prêts à crever, en une de ces pluies torrentielles, lourdes et brutales, comme il en tombe en Afrique du Sud.
Le jeune homme, indifférent à l’aspect lugubre des choses qui l’entouraient, sifflotait un air de marche. Il était à cheval et, de temps à autre, d’une pression du genou, d’un discret appel de l’éperon, il pressait sa monture.
Mais, bien que ce fut une bête de sang qu’il chevauchât, son allure ne s’accélérait guère.
Aussi bien, il y avait longtemps que cheval et cavalier menaient un train d’enfer. L’un et l’autre étaient rompus, brisés de fatigue. Il fallait toute l’énergie et toute l’habileté consommée de Teddy pour que la marche en avant pût se continuer, dans le sol détrempé où l’obscurité ne permettait pas de voir les obstacles, où les broussailles prenaient des allures fantastiques qui effaraient la bête, où les fossés étaient des pièges qui la faisaient buter, où tout était péril pour le cavalier, depuis le sable mouvant qu’il convenait d’éviter, jusqu’aux rochers où pouvaient être embusqués quelques malfaiteurs, jusqu’aux hautes herbes d’où quelque animal féroce pouvait sans doute surgir et bondir en avant.
Mais de tout cela, de tous les dangers familiers du veld qui menacent homme et bête chevauchant par une nuit sombre, Teddy, vêtu comme le sont les habitants boers du Cap – petite veste courte boutonnée jusqu’au menton, pantalon brun foncé, chapeau rond assez élevé, bottes à l’écuyère – semblait se soucier fort peu. On le sentait, alors qu’il excitait son cheval, en pleine possession de ses moyens, heureux de vivre sa vie de grand air et de liberté, accoutumé à la nuit, aux dangers, à la fatigue, et trouvant en somme tout naturel de se trouver dehors à pareille heure, par pareil temps…
Au surplus, Teddy avait été élevé dans ces grandes plaines et il connaissait tout alentour de la ferme où il habitait, à plus de cent kilomètres à la ronde, les moindres détails de ces champs encore incultes, où, tout le jour, des troupeaux paissaient, cependant que la nuit, ces bêtes domestiques une fois rentrées à l’étable, la brousse appartenait sans partage aux animaux de proie.
Or, tandis que Teddy se hâtait vers sa demeure, vers la ferme où il habitait, une pauvre ferme, d’aspect vétuste, aux bâtiments croulants, à la cour herbeuse, au puits verdâtre, tari depuis longtemps, une ferme où achevaient de pourrir de vieux chariots effondrés sur leurs roues faites d’un seul morceau de bois et toutes disjointes par l’humidité, Laetitia, la vieille nourrice de Teddy, que le jeune homme appelait « mama » se désolait de tout son cœur.
La vieille femme qui, sans doute, avait été maintes fois témoin des tragiques incidents qui trop souvent surviennent aux cavaliers qui se risquent la nuit dans les plaines, ne pouvait admettre que le jeune homme ne fût toujours pas de retour à la ferme à dix heures du soir au plus tard.